Quel virus extraordinaire ! Qu’il passe de la chauve-souris à l’homme, s’échappe d’un laboratoire ou d’un marché de Wuhan, le coronavirus fait plusieurs fois le tour de la planète, se modifie en variants, perturbe scientifiques et prophètes. Le voilà de retour en Chine où, au-delà de ses méfaits, il accomplit un exploit digne de la contre-révolution culturelle. Comme Mao en son temps, Xi Jinping recule. Les régimes autocratiques seraient-ils aussi sensibles que les gouvernements démocratiques aux paniques virales ?
Si Xi Jinping ouvre portes et fenêtres, laissant les Chinois vagabonder jusqu’au fléau, les démocraties, elles, avaient verrouillé les libertés élémentaires. A rebours des clichés, on vit des Italiens disciplinés et des Allemands émeutiers. Les Suédois refusèrent de fermer les cafés et ne furent pas plus infectés que les Français, deux fois enfermés. Le Brésil connut le même taux de mortalité que l’Argentine voisine, confinée six mois.
Les effets politiques de la crise épidémique ont la vie longue
Nul n’explique encore le dramatique record de mortalité au Pérou, les ravages dans l’est de l’Europe, les résistances des pays de l’Asie du Sud-Est, y compris, relativement, de l’Inde. En Afrique, le virus n’a pas modifié les courbes de mortalité. Il faudra bien du temps pour évaluer la réelle mortalité du virus, et les effets, y compris négatifs – des mesures prises par les différents gouvernements : la mise à plat de l’économie mondiale, ses effets dans les pays les plus pauvres.
Quant aux effets politiques, ils ont la vie longue. Outre l’étonnante privation des libertés élémentaires dans les démocraties, voici la non moins étonnante rébellion des Chinois. Pour la première fois depuis Tian’anmen, un dirigeant suprême est publiquement pris à partie.
Une révolte ne fait pas une révolution. Le virus a eu raison du Hirak, le mouvement de protestation algérien. Tous les gouvernements d’Amérique latine (et celui des États-Unis) ont changé (sauf Maduro et Ortega, qui ont maté les révoltes). Est-ce l’effet virus ? Est-ce le balancier démocratique normal ? L’Amérique latine est passée à gauche. Comment ne pas lier l’instabilité péruvienne avec le record mondial de victimes par habitant du coronavirus au Pérou ?
La Russie, qui, comme la Chine, se vantait d’une gestion efficace de l’épidémie, s’est retrouvée débordée par la publication des chiffres des victimes par son institut statistique, révélant un mensonge que personne ne pouvait nier. L’inefficacité du vaccin sputnik, comme celui du vaccin chinois, démontrait l’inefficacité totale d’une gestion prétendument exemplaire.
Le rôle de la coronacrise dans le déclenchement de la guerre a été sous-estimée.
Les réactions occidentales, dans leurs paniques et leurs cacophonies, avaient fait apparaitre les démocraties comme des systèmes fragiles, dépendants, peureux. Elles restaient empêtrées dans les conséquences sociales et économiques de la crise. Comment croire, à la place d’un Poutine, qu’elles réagiraient à une invasion de l’Ukraine ? Le rôle de la coronacrise dans le déclenchement de cette guerre a été sous-estimée.
Jusqu’à cette guerre, jusqu’à cette rébellion chinoise, combien dans le monde pensaient que, tout compte fait, les autocraties étaient plus sûres, plus sereines, que les démocraties ? En Occident, combien n’appelaient-ils pas de leurs vœux, « l’homme fort », au risque de mettre un peu de démocratie de côté, comme, d’ailleurs, cela fut fait ? L’autoritarisme montait avec la fièvre.
Les Chinois ne mettaient-ils pas en avant, leur surveillance sociale et digitale pour combattre le fléau ? Un bonhomme vert, vaquez ; Orange, circulation limitée ; Rouge, interdiction de sortir. C’est ce système de contrôle du coronavirus qu’ils utilisent aujourd’hui pour gérer les mouvements de la population et prévenir tout regroupement.
La Chine, durant ces deux dernières années, a multiplié les initiatives diplomatiques, en Asie centrale, en Afrique, au Moyen-Orient, promettant ordre et volupté. Aux contrats commerciaux, aux prêts, s’ajoute l’éloge d’un système de gouvernance alternatif au modèle occidental, qui mêle régime autoritaire et succès économique. Cela plait, évidemment, à beaucoup de dirigeants. Près de la moitié de la population mondiale vit dans un régime plutôt démocratique, la moitié sous une régime autoritaire. La Chine entend bien, s’appuyant sur la Russie, l’Iran et quelques autres, vanter ce mode de fonctionnement : l’anti-Occident.
L’« opération spéciale », en cas de succès, eut été une victoire exemplaire. Avec son échec, un réarmement général est en cours. L’OTAN ressuscitée, l’Amérique de retour, l’Europe unie, malgré tous les obstacles. Même sa dépendance énergétique n’a pas suffi à la faire éclater. Tous parent aux sacrifices, financent l’Ukraine, l’arment, engagent de nouvelles dépenses militaires : Allemagne, France, Belgique, Grèce, Pays-Bas, Suède, Pologne, jusqu’au Japon.
Apparait donc un « quoi qu’il en coûte », militaire, mais aussi « moral ». C’est évidemment la leçon ukrainienne. D’abord dire non, les armes viendront. Comme le dit Zelensky, « avoir un peuple en servitude à ses frontières est une menace pour sa propre liberté ». Le soutien européen dépasse désormais le soutien américain : 52 milliards, dont 7.4 pour la France, (troisième contributeur mondial), 48 milliards pour les États-Unis (selon le Kiev Institute).
L’aspiration démocratique des peuples, une arme redoutable
Il est tout à fait possible, dans une analyse géopolitique « réaliste », de s’en tenir aux intérêts et aux rapports de force, les ignorer serait stupide. Mais il n’est pas possible d’ignorer la nature idéologique du conflit, bien au-delà de l’Ukraine. Ni la force de l’aspiration démocratique des peuples, une arme redoutable. La diplomatie chinoise présente son système comme une alternative à la démocratie occidentale. Quand Joe Biden parle des bienfaits de la démocratie en Afrique devant une brochette de chefs d’Etat au sommet Afrique/États-Unis, il sait qu’il ne fait pas plaisir à tout le monde. Il sait que bien des experts expliquent que la démocratie n’y est qu’un leurre, que les réalités électorales y seraient avant tout tribales. Mais il sait aussi que la vision ethnique ne résume pas la politique africaine, et que le discours démocratique porte une espérance au moins aussi forte que l’antioccidentalisme utilisé par la Russie, la Chine, juntes, djihadistes et autres mouvements.
L’Occident est une puissance subversive. C’est bien difficile de maintenir ce cap face à des pays amis et alliés, comme le Qatar, l’Arabie, ou tout simplement la Turquie. Commet garder des alliés qui ne sont pas démocratiques, tout en allant mener la bataille sur le conflit entre modèles politiques ?
Quel empire le virus pourrait-il abattre ? Et si c’était le début de la fin des autocrates ?
Le jeu est rendu plus simple par l’audace chinoise, et la tragique erreur russe. Ce qui transparaissait, c’était la faiblesse du monde occidental et son inexorable déclin, miné par son confort, sa violence interne, ses peurs, révélés par la crise épidémique. Le virus avait fragmenté le monde et justifié des politiques autoritaires, jusqu’au sein des démocraties. Avec son retour à Pékin, il provoque une contagion démocratique. Le virus autocratique devient virus démocratique. Echec russe, rébellion chinoise, révolte iranienne, résistance ukrainienne, unité européenne, retour américain. Son tour du monde, n’est pas fini. La peste antonine aurait été le facteur décisif de l’effondrement de l’empire romain. Quel empire le virus pourrait-il abattre ? Beaucoup crurent que ce serait l’alliance des démocraties. Et si c’était le début de la fin des autocrates ?
Laurent Dominati
a. Ambassadeur de France
a. Député de Paris
Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press
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