La victoire de Zohran Mamdani à la mairie de New York illustre l’émergence d’une nouvelle génération de progressistes, engagés sur le logement, la justice sociale et la représentation des communautés locales, tout en révélant certaines limites de l’establishment démocrate traditionnel. En France, cette actualité est souvent simplifiée et utilisée dans des récits qui ignorent les subtilités de la politique américaine. Pour mieux en comprendre les dynamiques, nous sommes partis à la rencontre d’Annie Michel, installée aux États-Unis depuis plus de trente ans, conseillère des Français de l’étranger à New York et engagée de longue date sur les questions sociales et les dynamiques politiques locales. En répondant à nos questions, elle invite à une lecture fine de la politique américaine.
Victoire de Zohran Mamdani : un tournant pour la politique américaine
Lesfrançais.press : « Qu’est-ce que la victoire de Zohran Mamdani révèle, selon vous, du moment politique actuel à New York, et plus largement aux États-Unis ? »
Annie Michel : « La victoire de Zohran Mamdani révèle, à mon sens, qu’il a centré sa campagne sur la crise du coût de la vie, car les habitants de New York — et plus largement dans les grandes villes américaines — sont de plus en plus préoccupés par l’augmentation des dépenses quotidiennes. Sa victoire montre également une érosion de l’« establishment » politique traditionnel, souvent plus âgé, et illustre un renouvellement générationnel et identitaire.
« Ce qui distingue Mamdani,
c’est qu’il ne parle pas à la place des habitants, mais avec eux »
Annie Michel, Conseillère des Français de l’étranger à New York
Zohran Mamdani a réussi à mobiliser particulièrement les jeunes de la génération Z, les urbains et les populations multiculturelles, bien au-delà de New York. De plus, en tant que membre des Democratic Socialists of America, il incarne une gauche plus progressiste, notamment sur les questions de justice sociale. Ses propositions pour réduire les inégalités pourraient influencer le débat national et inspirer d’autres initiatives similaires aux États-Unis. »
Lesfrançais.press : « Zohran Mamdani s’est illustré par son implication dans des luttes concrètes du quotidien, notamment sur le logement et la justice sociale. Selon vous, qu’a-t-il su comprendre ou représenter que d’autres élus n’ont pas réussi à porter ? »
Annie Michel : « Zohran Mamdani, s’est effectivement distingué par une approche politique très ancrée dans la vie quotidienne des habitants de New York. Il surgit en s’imposant de manière très rapide auprès, notamment, des jeunes mais également, à mon avis, des personnes qui ont perdu l’espoir en Donald Trump. Sa technique est très humaine : il part des problèmes concrets locaux : coût de la vie, transport, logement et les mentionne de manière simple puis propose des solutions pour les améliorer : promesse de geler les loyers des logements réglementés pendant 4 ans pour deux millions de personnes aux revenus modestes, de rendre le transport gratuit en bus, d’augmenter les impôts des plus riches, d’instaurer « une garde d’enfants âgés de 6 semaines à 5 ans, gratuite pour tous les New-Yorkais ».
Pour financer ces propositions, Zohran Mamdani a annoncé vouloir augmenter les impôts : une hausse du taux d’imposition sur le revenu de 2 % pour les 1 % les plus riches. Ce qui le distingue des autres élus qui n’ont pas réussi à s’imposer, c’est qu’il ne parle pas à la place des habitants, mais avec eux. D’autre part, Il nomme les causes structurelles — spéculation immobilière, financiarisation du logement, inégalités raciales — et relie ces réalités à un projet de justice économique et raciale. Cette franchise séduit notamment les jeunes générations désillusionnées par le langage technocratique traditionnel. Il est, en quelque sorte, le porte-parole des luttes. »
Lesfrançais.press : « Au-delà de ses engagements, son style direct frappe les esprits. Dans son discours de victoire, il a lancé cette phrase adressée à Donald Trump : « Turn the volume up ». Que dit cette manière de s’exprimer sur sa stratégie politique et sa méthode d’action ? »
Annie Michel : « La formule « Turn the volume up » illustre le style direct et percutant de Mamdani. Loin de la diplomatie classique, il manie les codes d’une communication politique contemporaine, plus immédiate et visuelle. Par ces mots, il affirme sa volonté de faire entendre plus fort la voix des progressistes démocrates et de montrer à Donald Trump qu’il ne leur inspire aucune crainte. Sur le plan du style, il choisit la brièveté et la puissance du slogan plutôt que le discours long et argumenté, afin de marquer les esprits et d’affirmer son leadership. Mamdani ne défend pas seulement un programme : il incarne une attitude de franchise, d’assurance et de résistance — une posture qui séduit une génération de militants en quête d’authenticité politique. »
Ce que la France simplifie dans la gauche américaine
Lesfrançais.press : « En France, La France Insoumise, par la voix de Sophia Chikirou, va jusqu’à dire : “si vous soutenez Zohran Mamdani à New York, vous devez soutenir LFI à Paris”. Pourquoi cette lecture française simplifie-t-elle, selon vous, la réalité de la gauche américaine ? »
Annie Michel : « Quand Sophia Chikirou affirme que « soutenir Zohran Mamdani à New York, c’est soutenir LFI à Paris », La France Insoumise se prend un peu trop au sérieux. Cette lecture binaire « gauche vs droite » passe complètement à côté de la réalité de la gauche américaine, beaucoup plus plurielle et ancrée dans des enjeux locaux très différents.
« Pour les Français installés à New York,
ce qui peut sembler radical en France peut être parfaitement crédible ici. »
Annie Michel, Conseillère des Français de l’étranger à New York
Les combats de Zohran Mamdani – droits civiques, luttes communautaires, politiques locales – ne se traduisent pas mécaniquement dans le vocabulaire ou la stratégie de LFI, centrée sur la souveraineté nationale et la politique macroéconomique. Bien sûr, certaines valeurs se recoupent – justice sociale, écologie, droits des travailleurs – mais leur mise en œuvre est profondément contextuelle. Bref, réduire le soutien à Mamdani à un soutien automatique à LFI, c’est ignorer toute la complexité américaine. »
Lesfrançais.press : « Pour les Français de New York, la vie politique locale est souvent très différente de celle qu’ils connaissent en France. En quoi la victoire de Zohran Mamdani peut-elle éclairer leur manière de se situer politiquement ici et éventuellement déplacer certains repères ou sensibilités ? »
Annie Michel : « La victoire de Zohran Mamdani illustre à quel point la politique new-yorkaise diffère de celle que connaissent les Français. Ici, loin du clivage gauche-droite classique, ce sont les questions concrètes — logement, transports, justice sociale — et la capacité à représenter réellement sa circonscription qui font la différence.
Pour les Français installés à New York, c’est un rappel que ce qui peut sembler radical en France peut être parfaitement crédible ici, et que s’engager politiquement, c’est d’abord agir sur le quotidien des habitants. Cette expérience invite à repenser sa vision de la politique locale : plus pragmatique, plus communautaire et plus ouverte à la diversité. »
Le camp progressiste contre l’establishment démocrate
Lesfrançais.press : « La victoire de Zohran Mamdani constitue également un revers pour l’establishment démocrate local. Que révèle-t-elle selon vous des limites de la ligne démocrate « classique » à New York ? »
Annie Michel : « La victoire de Zohran Mamdani marque un réel revers pour l’establishment démocrate à New York et même plus généralement aux États-Unis. Elle révèle que les électeurs recherchent des réponses plus audacieuses, plus frappantes face aux inégalités, au logement et à la gentrification, et que la ligne démocrate « classique », trop modérée, peine à les incarner.
« Zohran Mamdani montré que l’engagement local
peut produire un vrai changement »
Annie Michel, Conseillère des Français de l’étranger à New York
Mamdani a su mobiliser jeunes, minorités et communautés marginalisées, montrant que l’adhésion automatique au candidat officiel du parti ne suffit plus. Son succès souligne la nécessité pour les démocrates traditionnels de repenser leur stratégie pour rester crédibles. »
Lesfrançais.press : « Enfin, si vous deviez résumer la leçon politique de ce scrutin, quelle serait-elle pour New York ? Et que pourrait-elle signifier, le cas échéant, pour la gauche française ?«
Annie Michel : « Ce scrutin est un signal clair : l’électorat urbain veut du changement. Donald Trump a réveillé les consciences à travers tout le pays, même dans les bastions démocrates. À New York, les citoyens ne se contentent plus de candidats de l’establishment démocrate. Ils veulent des leaders qui écoutent, qui agissent, et qui s’attaquent concrètement aux problèmes du quotidien : logement, coût de la vie, inégalités. Mamdani a su mobiliser jeunes, minorités et communautés marginalisées. Il a montré que l’engagement local peut produire un vrai changement. Cette victoire n’est pas seulement locale : c’est un exemple de ce que peut être une démocratie active, où les électeurs prennent leur destin en main.
Pour la gauche française, la leçon est nette : il ne suffit plus de défendre des principes ou de suivre les voies classiques. Il faut mobiliser, se rapprocher des citoyens et proposer des solutions concrètes. Crédibilité et action concrète sont désormais inséparables. Et surtout : ceux qui se lèvent et agissent peuvent changer la donne ! »
Auteur/Autrice
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Rachel Brunet est une journaliste française installée à New York depuis 13 ans.
Après un début de carrière dans la presse économique à Paris, elle a rejoint la presse francophone aux États-Unis.
Elle défend une information rigoureuse et une analyse exigeante de l’actualité.
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