Sous le régime soviétique, les prêts hypothécaires étaient considérés comme des symboles du capitalisme décadent. Même avec la fin de l’URSS en 1991, les Russes ont continué à se méfier de ces prêts les qualifiant « d’esclavage ». Ils préfèrent épargner avant d’acheter leur logement que de recourir à des emprunts. Vladimir Poutine a tenté dès son arrivée au pouvoir d’infléchir le comportement de ses concitoyens. En 2003, il soulignait que les prêts hypothécaires pourraient contribuer à résoudre le problème aigu du logement auquel sont confrontés les Russes.
En recourant à des aides publiques et en bonifiant les prêts hypothécaires, le gouvernement russe a, depuis quelques années, réussi à convaincre les Russes de s’endetter pour acquérir leur logement et ainsi soutenir le secteur du bâtiment. Cette politique n’est pas sans défaut, les prix de l’immobilier augmentant rapidement tout comme le coût pour les finances publiques des aides ainsi distribuées.
Les volumes de prêts hypothécaires ont augmenté quand la Russie est entrée en guerre avec l’Ukraine.
En 2020, en pleine crise covid, les banques russes ont offert aux demandeurs de crédits hypothécaires un taux préférentiel d’environ 6 %, soit environ deux points de pourcentage en dessous du taux du marché, l’État compensant la différence. Ce soutien public réservé initialement aux familles a été étendu à certaines catégories de salariés comme les informaticiens afin d’éviter leur expatriation ainsi qu’aux personnes s’installant dans des régions telles que l’Arctique, la Sibérie ou l’Ukraine occupée.
Les volumes de prêts hypothécaires ont commencé à augmenter quand la Russie est entrée en guerre avec l’Ukraine. Les banques ont émis des prêts hypothécaires d’une valeur de 7 700 milliards de roubles (88 milliards de dollars, soit 4 % du PIB) en 2023, contre un total de 4 300 milliards de roubles en 2020. Faute de pouvoir investir sur le marché des actions à l’international, les Russes sont de plus en plus enclins à acheter de l’immobilier. Le retour de l’inflation les y incite également. Quand la Banque centrale de Russie (BCR) a commencé à augmenter ses taux directeurs pour lutter contre l’inflation, l’attrait des bonifications s’est accru. Quand les taux de la BCR ont atteint 16 %, le gouvernement a maintenu son taux préférentiel pour les prêts hypothécaires à seulement 8 %.
Les prix de l’immobilier ont augmenté de 172 % dans les plus grandes villes entre 2020 et 2023.
En juin, il y avait un écart de plus de dix points de pourcentage entre le taux du gouvernement et le taux du marché pour un prêt hypothécaire. Le coût pour les finances publiques devrait dépasser cette année 500 milliards de roubles. Il pourrait s’accroître davantage car la BCR a relevé ses taux directeurs le 26 juillet dernier.
L’essor des prêts bonifiés a également provoqué une bulle immobilière. L’année dernière, 110 millions de mètres carrés de logements ont été construits, contre une moyenne de seulement 59 millions par an entre 1991 et 2020. L’Institut d’économie urbaine, basé à Moscou, estime que les prix de l’immobilier ont augmenté de 172 % dans les plus grandes villes entre 2020 et 2023. La BCR s’inquiète ouvertement de la politique de bonification des taux d’intérêt et de son effet inflationniste. Le ministère des finances commence à réduire l’attractivité des prêts. Sous la pression de la BCR, en décembre dernier, le dépôt minimum requis pour un prêt est passé de 20 à 30 %.
En juillet, les aides en faveur des nouvelles constructions ont été supprimées. Le nombre de nouveaux prêts hypothécaires pourrait chuter d’environ 50 % au second semestre. L’industrie russe de la construction en souffrira. Il en sera de même pour les banques, qui ont enregistré jusqu’à maintenant des bénéfices records grâce à la croissance rapide de leurs portefeuilles hypothécaires. Les autorités russes tentent de restreindre l’accès au crédit afin d’éviter un effondrement à la chinoise du marché immobilier. Ce dernier reste pour le moment dynamique car les Russes n’ont pas beaucoup d’alternatives en matière de placements.
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