La France est confrontée à une dérive de plus en plus structurelle de ses finances publiques. Les engagements européens ainsi que la pression des marchés obligent les pouvoirs publics à entreprendre, dans les prochains mois, un assainissement budgétaire. Lors des précédents dérapages, les gouvernements ont choisi d’augmenter les prélèvements obligatoires. Le dernier épisode en la matière remonte aux années 2010-2014. Cette solution est-elle encore envisageable en 2024, et quelle en serait l’efficacité ?
La France se distingue par un niveau de prélèvements obligatoires élevé, l’un des plus hauts de l’OCDE. Il s’élève à 45 % du PIB, soit plus de 5 points au-dessus de la moyenne de la zone euro (hors France). Lors des dernières campagnes électorales, le débat s’est concentré sur l’augmentation des dépenses publiques et la hausse des impôts sur les plus riches. De nombreuses propositions ont visé à relever les impôts sur le capital et les revenus de ce dernier. Ces hausses d’impôts sont censées financer les dépenses nécessaires liées au vieillissement démographique et à la transition écologique.
Des dépenses publiques élevées, mais peu efficaces.
Cette demande de dépenses publiques peut surprendre, compte tenu de leur niveau déjà élevé au sein du PIB, soit plus de 56 % contre une moyenne de 49 % dans la zone euro. La France dépense davantage que ses partenaires de la zone euro, que ce soit pour la santé (9,2 % contre 7,8 % du PIB), pour l’éducation (5,3 % contre 4,5 % du PIB) ou en matière de retraites (13 % contre 10,8 % du PIB).
Bien que les services publics restent de haut niveau, ils sont néanmoins sous tension, ce qui soulève la question de l’efficience des dépenses publiques. Dans le domaine de la santé, la France souffre d’un faible nombre de médecins dans les zones rurales (2,7 médecins pour 1 000 habitants, contre par exemple 3,8 en Suède et 4,4 en Finlande). Les déserts médicaux concernent aujourd’hui 12 % de la population. Les écarts de densité médicale (nombre de médecins par habitant) entre les départements vont de 1 à 3 pour les généralistes, de 1 à 8 pour les spécialistes, et de 1 à 24 pour les pédiatres.
Par ailleurs, 9 % des assurés de plus de 16 ans n’ont pas de médecin traitant, et 7 Français sur 10 ont renoncé au moins une fois à se soigner.
Dégradation du système éducatif
Dans le domaine de l’éducation, la France se caractérise par une faible qualité et une dégradation de son système éducatif, comme en témoignent les résultats des enquêtes PISA. Ce constat vaut pour d’autres domaines d’actions des pouvoirs publics.
La France a des dépenses publiques supérieures à la moyenne des pays de la zone euro également en ce qui concerne la défense, le logement et la politique familiale.
La France a toujours rencontré de grandes difficultés à réduire ses dépenses publiques ou même à les ré-allouer. La complexité du système administratif peut expliquer cette rigidité budgétaire.
Face à l’impossibilité de supprimer certaines dépenses, l’État, tout comme les collectivités locales, opte souvent pour une augmentation des prélèvements. Cependant, les marges de manœuvre en la matière sont faibles, voire inexistantes. L’idée de relever les cotisations sociales pour financer les dépenses de retraite et de santé a été avancée.
Un coût horaire du travail parmi les plus élevés de l’OCDE
Toutefois, la France souffre déjà d’un coût du travail élevé. Le coût horaire dans l’industrie figure parmi les plus élevés de l’OCDE. Le coût élevé du travail en France a longtemps été compensé par une forte productivité. Cependant, celle-ci tend à décliner, notamment en raison de la désindustrialisation du pays. Le faible niveau de compétences des actifs pénalise également la France, tout comme le médiocre taux d’emploi. La France dispose d’un moteur économique de taille réduite, avec un nombre important d’emplois peu qualifiés. Cette situation pèse sur le rendement des cotisations sociales basées sur les salaires. En l’absence d’une assiette large, les taux doivent être élevés. Afin de ne pas pénaliser les emplois à faible valeur ajoutée, les gouvernements ont instauré des exonérations de charges sur les bas salaires. Ces exonérations sont coûteuses pour les finances publiques, à hauteur d’environ quarante milliards d’euros, et génèrent à la fois des effets de seuil et de trappe. Les employeurs ne sont pas incités à augmenter les rémunérations ni à faire monter en compétences leurs salariés.
L’augmentation des cotisations sociales pour financer les dépenses de retraite et de santé nuirait à la compétitivité des entreprises, dont le taux de marge a diminué ces derniers mois en raison de la hausse des prix et de la baisse de productivité. La dégradation de la compétitivité pénaliserait les exportations françaises.
Pour réduire le déficit public, certains évoquent la possibilité d’abandonner la « flat tax » et de soumettre à nouveau les revenus du capital au barème de l’impôt sur le revenu. Cette majoration, qui dans le cas extrême pourrait atteindre 30 points, pèserait sur l’investissement des entreprises. De 2018 à 2023, celui-ci a progressé de 10,5 % à 12 % du PIB. Il conviendrait que cette hausse se poursuive afin de faciliter la transition écologique.
D’autres plaident pour la restauration de l’Impôt de Solidarité sur la Fortune (ISF), incluant les valeurs mobilières tout en excluant les biens professionnels. Le retour de l’ISF augmenterait la pression fiscale principalement sur les cadres supérieurs et les professions libérales, qui figurent déjà parmi les plus imposés. Principalement constituées de biens professionnels, les grandes fortunes seraient peu concernées.
Suède, Canada, Allemagne, Nouvelle Zélande : comment ont-ils fait ?
Les pays ayant assaini durablement leurs finances publiques l’ont fait en réalisant de réelles économies budgétaires. La Suède, le Canada, l’Allemagne et la Nouvelle-Zélande sont des exemples de pays ayant réussi cet assainissement au cours des 30 dernières années.
Confrontée dans les années 1990 à une grave crise économique et à un déficit budgétaire important, la Suède a entrepris des réformes ambitieuses sans recourir significativement à des hausses d’impôts. Elle a mis en place un système de retraite par points, rationalisé les dépenses sociales en encourageant le retour à l’emploi, et réorganisé le système de santé en introduisant une plus grande concurrence entre prestataires publics et privés, permettant de contrôler les coûts sans sacrifier la qualité des soins. Entre 1995 et 2005, la Suède a transformé son déficit en excédent et réduit de 20 points son taux d’endettement.
Dans les années 1990, le Canada faisait face à un déficit budgétaire structurel et à une dette publique élevée. En 1993, la dette dépassait 60 % du PIB, et les agences de notation menaçaient de dégrader la note du pays. Le gouvernement du Premier ministre Jean Chrétien a alors lancé une vaste révision des programmes publics, avec des coupes budgétaires dans presque tous les ministères. Certaines dépenses ministérielles ont été réduites de 20% en cinq ans. De nombreuses subventions industrielles et agricoles ont été réduites voire supprimées, et des efforts ont été faits pour rendre les services publics plus efficaces. Le nombre de fonctionnaires fédéraux a diminué de 14 % entre 1994 et 1999. Dès 1998, le Canada renouait avec des excédents budgétaires, et sa dette publique a chuté à environ 30 % du PIB en 2008.
Au début des années 2000, l’Allemagne souffrait d’une croissance faible, d’un chômage élevé et de déficits publics importants. Le gouvernement a alors opté pour des réformes budgétaires strictes sans recourir à des augmentations fiscales majeures. Les réformes Hartz (2003-2005) ont revu le système d’indemnisation du chômage en réduisant la durée des allocations et en introduisant des incitations au retour à l’emploi. Cela a permis de réduire les dépenses publiques liées au chômage et de relancer l’emploi. En 2009, l’Allemagne a inscrit dans sa Constitution une règle d’or budgétaire limitant la capacité du gouvernement fédéral à s’endetter. La rationalisation de nombreux services publics, en particulier dans le secteur de la santé, a permis de réduire fortement les coûts. L’Allemagne a ainsi réussi à réduire son déficit et sa dette.
La Nouvelle-Zélande a traversé une grave crise économique dans les années 1980, avec un déficit budgétaire important et une dette publique en forte hausse. Le gouvernement néo-zélandais a entrepris des réformes budgétaires majeures. Il a privatisé de nombreuses entreprises publiques déficitaires et mis en place une gestion plus rigoureuse des autres entités publiques. Les subventions à l’agriculture, qui représentaient une part importante du budget, ont été supprimées, poussant le secteur à se restructurer et à devenir plus compétitif. La « Loi sur la Responsabilité Fiscale » de 1994 a instauré une transparence accrue dans les finances publiques et une discipline budgétaire stricte, empêchant le recours excessif à la dette. Ces réformes ont permis à la Nouvelle-Zélande de réduire drastiquement son déficit budgétaire et d’afficher des excédents dès le milieu des années 1990.
Au-delà d’un certain niveau, les hausses d’impôts entraînent une diminution des recettes fiscales.
Une hausse des prélèvements pose la question de la soutenabilité économique, politique et sociale. La crise des bonnets rouges puis celle des gilets jaunes ont montré que l’acceptabilité des impôts a ses limites, même en France. La capacité de l’État à lever l’impôt a toujours été un atout pour la France. La fraude fiscale y est relativement faible par rapport à d’autres pays de l’OCDE. Toutefois, un niveau élevé de prélèvements peut induire des comportements anti-économiques de la part des contribuables, qu’ils soient particuliers ou entreprises. Les conséquences négatives de la surimposition sont illustrées par la courbe de Laffer. Cette théorie repose sur l’idée que le taux d’imposition et les recettes fiscales totales entretiennent une relation non linéaire. Au-delà d’un certain niveau, les hausses d’impôts entraînent une diminution des recettes fiscales en raison de la contraction de l’assiette fiscale. Ce concept a été attribué à l’économiste Arthur Laffer. Pour tout gouvernement, l’objectif serait de trouver le point optimal de la courbe, c’est-à-dire le « taux d’imposition optimal », qui maximise les recettes fiscales. À ce point, les effets désincitatifs des hausses d’impôts compensent les gains potentiels en termes de recettes.
Quand les taux d’imposition sont élevés, l’augmentation des taux peut entraîner une baisse des recettes fiscales, les agents économiques cherchant alors à éviter l’impôt (évasion ou optimisation fiscale agressive). La surimposition peut aussi aboutir à une baisse de la participation au marché du travail ou à une réduction des investissements. La courbe de Laffer s’applique aux impôts pesant non seulement sur le travail et la consommation, mais aussi sur ceux portant sur le capital.
Des taux élevés d’imposition sur les bénéfices peuvent décourager l’investissement des entreprises, réduire l’accumulation de capital et freiner la croissance économique à long terme. Des études ont montré que l’élasticité des investissements par rapport aux taux d’imposition est généralement plus élevée que celle de l’offre de travail.
Dans la pratique, déterminer le taux d’imposition optimal est complexe. Celui-ci varie en fonction des structures économiques et des comportements spécifiques à chaque pays et à chaque secteur d’activité. Un taux d’imposition optimal à un moment donné peut ne plus l’être en période de crise ou de forte croissance. Par exemple, en période de récession, les incitations à investir sont déjà faibles, si bien que des réductions d’impôts peuvent avoir peu d’effet sur l’augmentation des recettes fiscales.
En l’état actuel, il est difficile de dire si la France a atteint ou dépassé son taux optimal. Toutefois, son faible taux d’emploi, la baisse de la productivité et l’atonie de la consommation pourraient être des signes que des taux d’imposition trop élevés freinent l’activité économique.
Laisser un commentaire