Ce devait être le sommet du siècle. Entre King Donald et Xi, le Fils du ciel, la rencontre de Séoul devait entrer dans l’histoire au même titre que le combat de Kinshasa entre Mohamed Ali et Georges Foreman. Trump, le tout-puissant Président de la première puissance mondiale défendait son titre face à Xi Jinping, le génie d’un milliard quatre cents millions de Chinois. Résultat ? Pschitt. Pour rester poli. Chacun a fait un petit pas de côté, l’un sur le soja, l’autre sur les douanes. Sitôt le dos tourné, l’un annonce qu’il reprendra des essais nucléaires, l’autre souffle des ronds dans l’eau de Taïwan, histoire d’épicer un sommet bien fade, à vrai dire très très plat. Et si ces monstres de puissance avaient leurs petits poings liés comme les pieds des Chinoises du siècle passé ? Et si, finalement, le monde se passait d’eux ?
Le monde peut vivre sans les maîtres du monde
Impossible ? Le monde peut vivre sans les maîtres du monde. Depuis que Trump a décidé de déclencher sa guerre commerciale, les importations américaines ont augmenté, le dollar a baissé, le commerce international mondial continue de progresser. Malgré le tango de Trump avec Poutine, l’Ukraine résiste, touche les villes russes et les installations pétrolières, les Européens s’engagent à la place des Américains.
Sans la Chine, la Russie ne pourrait pas continuer la guerre. Les Chinois pourtant diminuent leurs approvisionnements russes, mais continuent à être les meilleurs clients des Iraniens, voire les seuls. L’Iran a beaucoup perdu mais n’a pas renoncé. La Chine glisse petit à petit vers l’enlisement. La surproduction détruit les marges, la déflation guette, l’endettement, même camouflé, enfle. La pouvoir se raidit.
À force d’observer le jeu des grandes puissances, on oublie les petites. Le bénéfice majeur de la mondialisation, outre le progrès économique, réside en mille liens qui maintiennent petits et grands dans un même écheveau de contraintes. Quand Trump dit que l’Europe et les pays tiers profitent des États-Unis, il a raison. Comme les États-Unis profitent réciproquement de l’Europe et des tiers. L’échange n’est pas un jeu à somme nulle, mais un multiplicateur, il divise les coûts de production.
L’échange n’est pas un jeu à somme nulle, mais un multiplicateur
Les pays les moins développés ont le plus profité de la mondialisation, en Asie du sud-est, en Amérique latine, en Asie centrale. Les niveaux de vie ont cru de manière exceptionnelle. Relativement, les pays développés, notamment l’Europe, en ont moins profité, d’où le sentiment du déclin, tout relatif. Le protectionnisme américain, s’il se confirme, ce qui n’est pas si simple, leur portera un coup. À moins qu’ils ne s’organisent autrement : après tout, les États-Unis ne représentent que 13% du commerce mondial. Le premier dommage sera aux États-Unis, ce qui explique pourquoi toute rétorsion serait stupide, et que l’Europe a bien fait d’accepter 15% de droits de douane sans répliquer. Quand votre voisin fait une bêtise pourquoi l’imiteriez-vous ?
La confrontation entre la Chine et les États-Unis oblige à chercher de nouvelles opportunités. Tant mieux. L’Inde, le Vietnam, la Thaïlande, l’Indonésie, le Brésil montrent comment se glisser entre les grands. Ils n’adhèrent ni à la vision américaine, ni au rêve chinois. Courbant facilement l’échine ou jouant au fier, ils alternent les postures et jouent avec les deux grands, qui ont besoin d’eux. Restent, sur l’échiquier mondial, trois perdants et une inconnue.
Sur l’échiquier mondial, trois perdants et une inconnue
Premier perdant, tragique : l’Afrique. Depuis le départ de la France, le Sahel sombre. Bamako est à portée des Djihadistes, s’ils sont djihadistes. La France, débarrassée du Sahel, l’Algérie offre un intérêt moindre, ou autre. C’est parce que la France n’avait plus besoin de la coopération au Sahel qu’elle a pu reconnaître la solution marocaine au Sahara occidental.
Au sud du Sahara aussi, les guerres s’étendent. Le Soudan n’en finit pas de banaliser les atrocités. Les guerres du Congo se réalimentent. Les deux plus grands pays d’Afrique, Nigeria et Afrique du Sud, dérivent. Comme si le continent, seule progression démographique de la planète, devenait malade de l’humanité. Comme si l’Afrique pouvait ignorer le cours du monde, comme si le monde pouvait l’ignorer.
Deuxième perdant, pathétique, la Russie. Elle ne se remettra pas de sa guerre en Ukraine, quelle qu’en soit l’issue. Elle a perdu l’Europe (Et l’Ukraine). Elle est devenue vassale, économiquement, de la Chine. Son influence mondiale rétrécit. Son recul démographique, s’accentue par les pertes humaines et l’exil. Rarement le régime poutinien n’est apparu aussi faible. À l’intérieur, la paranoïa frappe, emprisonne, exécute.
Troisième perdant, cynique, le Moyen-Orient. La paix impossible de Trump n’y fera rien, personne ne fait confiance à personne. Règnent le mensonge et le mépris perpétuels, quand ce n’est la haine. Chacun s’arme. Les peuples au mieux désespèrent, quand ils espèrent c’est pour la guerre. Nulle part il n’y a de vainqueurs, ni d’espoir paisible. Ni en Israël, ni à Gaza bien sûr ; ni au Liban, en Syrie, en Iran. L’Arabie saoudite, les Émirats, la Jordanie, le Qatar, l’Égypte, malgré les richesses apparentes, accentuent les failles. Face à de telles frustrations, l’incertitude américaine allume ses cigares avec du pétrole.
L’Europe invente ce miracle : un empire constitué de républiques
Reste la grande inconnue, l’Europe. Jamais le devoir d’union ne s’est imposé aussi clairement. Ses plus grands adversaires ne sont ni la Chine, ni les États-Unis, mais les Européens. Comme si le salut pouvait naître de la rivalité, la division, la revendication identitaire. Dans une petite planète gigantesquement bouleversée, l’Europe invente ce miracle : un empire constitué de républiques, une République d’états libres. Elle a les atouts des petits, comme l’Irlande, l’Estonie, les Pays-Bas, et ceux des petits grands, comme la France et l’Allemagne, le tout additionné.
Les institutions des Européens, en y intégrant les institutions de chaque Etat, sont vraisemblablement les meilleures du monde. Leur force est leur souplesse et leur diversité. Leur faiblesse leur fragilité.
Que la France et l’Allemagne s’écartent et l’Europe se déchire
Que la France et l’Allemagne s’écartent et l’Europe se déchire. Bêtement, de forts partis, encouragés par les Russes et les Américains, en forment le vœu. Bêtement, la commission croit qu’elle est la garante de l’unité au risque de jouer la France contre l’Allemagne et vice versa. L’enjeu n’est pas que pour la France, l’Allemagne, l’avion du futur, le Mercosur, les droits de douane ou la voiture électrique. L’indépendance -ou non– de l’Europe aura des répercussions mondiales. Les tiers pays ont besoin de l’Europe autant que l’Europe ne peut construire son indépendance et sa sécurité sans eux.
Les grands sommets réunissent de petits esprits étouffés d’egos. D’Europe, des plats pays, des mers, des chaînes de montagnes, s’élancent des millions de Marco Polo. Ce sont les passe-murailles qui font l’histoire. Les clés ne sont ni chez Trump, ni chez Xi. Elles sont ici. Et dans les mille mondes du vaste monde.
Laurent Dominati
a.Ambassadeur de France
a. Député de Paris
Auteur/Autrice
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Député de Paris de 1993 à 2002, Ambassadeur au Honduras de 2007 à 2010, puis au Conseil de l'Europe de 2010 à 2013, il a fondé le media lesfrancais.press dont il est le Président.
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