Un chancelier fort de ses fragilités

Un chancelier fort de ses fragilités

Friedrich Merz a commencé, son mandat de chancelier dans la douleur le 6 mai dernier. A la surprise générale, deux tours furent nécessaires pour qu’il soit élu par le Bundestag. Lors du vote d’investiture, il lui a manqué six voix pour atteindre la majorité absolue. Au moins 18 des 328 députés de sa propre coalition – composée des conservateurs de la CDU et des sociaux-démocrates du SPD – se sont abstenus de le soutenir, en dépit de sa victoire aux élections de février, une première en Allemagne depuis 1949.

Ce qui devait être une formalité parlementaire s’est transformé en chemin de croix. Cette défection marque un début chaotique pour un homme qui avait promis de mettre un terme au « désordre » imputé à la précédente coalition menée par le SPD. La formule « Ainsi Dieu me vienne en aide », prononcée par Friedrich Merz en levant la main droite au moment de son serment devant le Bundestag, prend toute sa valeur.

Resserrer les liens avec les partenaires-clés de l’Allemagne

Avec des déplacements en France et en Pologne, le nouveau chancelier allemand a voulu, afficher d’emblée, dès son premier jour complet à la chancellerie, sa volonté de resserrer les liens avec les partenaires-clés de l’Allemagne. Il entend redonner à son pays une voix forte dans les débats européens et internationaux. Il a d’ailleurs centralisé la politique étrangère à la chancellerie, confiant le ministère des Affaires étrangères à Johann Wadephul, un de ses proches.

Friedrich Merz est convaincu que la seule garantie d’une Europe libre, prospère et en paix passe par une union bien plus étroite qu’actuellement.

Avant même son entrée en fonction, le nouveau chancelier a initié une réforme constitutionnelle pour accroître les investissements dans la défense et les infrastructures. L’initiative a été accueillie avec optimisme dans de nombreuses capitales européennes.

Des initiatives conjointes dans les domaines de la défense, de l’énergie et de l’innovation

Après des relations compliquées avec Olaf Scholz, le président Emmanuel Macron espère pouvoir relancer le couple franco-allemand. Il a demandé à son gouvernement d’analyser l’accord de coalition allemand pour identifier les pistes de coopération. Lors de leur rencontre à l’Élysée, le 7 mai dernier, les deux hommes ont affiché une réelle proximité, qui s’est également manifestée lors de leur voyage commun à Kiev. Des initiatives conjointes dans les domaines de la défense, de l’énergie et de l’innovationapparaissent à nouveau possibles. Avec la Pologne, Friedrich Merz ambitionne de réanimer une relation dégradée sous le mandat d’Olaf Scholz. Il mise sur l’ancrage commun de la CDU et de la Plateforme civique – le parti du Premier ministre polonais Donald Tusk – au sein du Parti populaire européen, qu’il considère comme un levier essentiel dans l’architecture politique européenne.

@Adobestock
@Adobestock

Avec le Royaume-Uni, il souhaite capitaliser sur la volonté du gouvernement travailliste d’un « reset » post-Brexit. Le chancelier propose la création d’un groupe de contact européen – Allemagne, France, Pologne, Royaume-Uni – pour soutenir l’Ukraine. Fidèle aux valeurs de la CDU, il a toutefois précisé à Paris l’attachement de l’Allemagne aux États-Unis. Il entend rapidement organiser une rencontre avec Donald Trump.

Des différends sur le commerce ou les migrations

Des tensions avec ses alliés européens sont encore possibles. Le nouveau chancelier défend l’accord commercial UE-Mercosur qu’il juge d’autant plus nécessaire que les États-Unis se ferment aux importations. Or, la France et la Pologne s’opposent à la ratification de cet accord. À Berlin, de plus en plus de voix s’élèvent sur le danger que représenterait l’endettement public français, ainsi que sur le risque de crise politique. À Varsovie, les promesses de Friedrich Merz de durcir les contrôles aux frontières, notamment pour freiner l’immigration irrégulière, sont mal perçues. Quelques heures avant son arrivée en Pologne, le ministre allemand de l’Intérieur, Alexander Dobrindt, annonçait un renforcement des dispositifs de surveillance. Le Premier ministre polonais, Donald Tusk, n’a pas dissimulé son mécontentement. Les différends sur le commerce ou les migrations ne sont pas nouveaux au sein de l’Union européenne. Ils font partie du quotidien.

Le nouveau chancelier allemand doit également relever plusieurs défis en politique intérieure. Il lui faut parvenir à l’adoption du budget pour 2025, retardée en raison de la crise politique. Il a pour mission de relancer une économie ayant connu deux années consécutives de recul de son PIB, au moment même où les États-Unis relèvent leurs tarifs douaniers.

Une coalition fragile oblige à trouver des consensus.

Face à ces défis, la coalition CDU/CSU/SPD apparaît fragile. Les tensions sur plusieurs sujets – immigration, fiscalité, salaire minimum – sont probables au vu des positions divergentes des partis membres. Le chancelier ne dispose, par ailleurs, que d’une faible majorité – à peine 12 sièges – avec des élus manifestement indisciplinés. Le débat politique risque en outre d’être empoisonné par la possible interdiction du parti d’extrême droite Alternative für Deutschland (AfD), désormais officiellement classé comme mouvement d’extrême droite par les services de renseignement. Friedrich Merz y est plutôt opposé, mais plusieurs députés, y compris au sein de la CDU, y sont favorables.

Le revers initial subi au Bundestag par le nouveau chancelier pourrait, en un sens, jouer un rôle salutaire. Il oblige la nouvelle équipe à chercher des consensus et à bien préparer en amont ses projets. Ce revers rappelle qu’en Europe, aucun gouvernement ne bénéficie d’un blanc-seing, pas plus celui de l’Allemagne que ceux de la France, de l’Espagne, du Portugal, des Pays-Bas ou de la Belgique. Les pouvoirs fragiles sont parfois à l’origine d’avancées car ils se doivent d’être créatifs pour perdurer.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

    Voir toutes les publications
Laisser un commentaire

Laisser un commentaire