Un 14 juillet à Francfort : entre fierté, doutes et espérance

Un 14 juillet à Francfort : entre fierté, doutes et espérance

La chaleur était encore douce ce 14 juillet, quand les premiers invités se sont retrouvés dans les salons élégants de la Literaturhaus de Francfort. Entre les colonnes blanches, les vitrines de livres anciens et les buffets dressés dans une des salles arrières, les conversations se sont rapidement engagées – parfois légères, parfois plus profondes. Il y avait, dans l’air, cette familiarité que seules les grandes dates nationales savent recréer loin du pays : une sorte de France reconstituée, à l’échelle d’un soir, dans une autre langue et un autre décor.

Et puis, au détour d’un verre de champagne ou d’un morceau de fromage, des mots plus graves ont surgi : inquiétudes pour l’avenir de la France, interrogations sur l’identité française quand on vit à l’étranger, regards parfois critiques, mais toujours concernés.

Un lien qui demande des soins constants

Ce soir-là, plusieurs personnes ont évoqué cette sensation étrange : vivre à l’étranger tout en se sentant profondément français. Mais à mesure que les années passent, ce lien n’est plus aussi évident. Il faut l’entretenir. L’encourager. Le défendre parfois.

L’un évoque la difficulté de transmettre la langue à ses enfants, qui glissent sans effort dans l’allemand. Une autre parle du coût des écoles françaises à l’étranger, du dilemme entre enracinement local et fidélité culturelle. On parle de cuisine, de littérature, de l’humour français qui ne passe pas toujours les frontières. Et aussi de cette étrange sensation d’être à la fois dedans et dehors : au courant de ce qui se passe en France, mais parfois déconnecté de la réalité quotidienne.

Regarder la France changer depuis l’extérieur

Au fil des échanges, un thème revient : la France d’aujourd’hui semble difficile à suivre depuis l’étranger. Non pas parce qu’elle serait moins présente, elle est partout, dans les flux d’actualité, les réseaux sociaux, les débats publics, mais parce qu’elle semble parfois en désaccord avec elle-même.

Les réformes sont lentes ou conflictuelles. Les tensions identitaires prennent le dessus sur les débats de fond. La question migratoire s’invite dans toutes les discussions, mais sans jamais trouver de consensus. Et ce sentiment diffus d’un pays qui doute, qui vacille, qui peine à se projeter dans l’avenir, s’impose, même à distance.

Chacun compare, bien sûr. Avec son pays d’accueil. Avec ses souvenirs. Avec l’idée que l’on se faisait autrefois de la République. Certains regrettent la lourdeur administrative française, d’autres la valorisation insuffisante de l’entrepreneuriat, d’autres encore s’interrogent sur la capacité du pays à faire bloc dans les moments décisifs.

Ni rejet, ni nostalgie : un attachement lucide

Mais dans toutes ces remarques, il n’y avait ni aigreur, ni mépris. Seulement un regard. Lucide, et affectueux, malgré tout.

La plupart des personnes rencontrées en ce soir de 14 juillet ont gardé un lien très fort avec la France : elles y votent, y investissent, y retournent régulièrement. Elles suivent ses débats avec passion, parfois avec frustration. Ce qui les unit, ce n’est pas un regret figé dans le passé, mais une exigence : celle d’une France à la hauteur de ses principes. D’une France qui écoute aussi ses enfants éloignés.

Une demande d’écoute, pas de privilège

Personne n’a demandé d’avantages. Mais beaucoup ont évoqué le besoin d’être mieux pris en compte. D’avoir des démarches administratives plus simples. Des dispositifs consulaires renforcés. Un enseignement du français plus accessible. Une vraie reconnaissance du rôle que jouent les Français de l’étranger, qu’ils soient entrepreneurs, chercheurs, enseignants, militaires ou tout simplement citoyens engagés.

Et au-delà des politiques publiques, c’est d’un lien symbolique qu’il s’agissait aussi. Celui d’une France qui ne considère pas ses expatriés comme des absents, mais comme une partie intégrante de son avenir. Une France qui sache accueillir leurs regards critiques comme des contributions, et non des remontrances.

Et si la France adoptait une vraie politique diasporique ?

L’un des mots qui n’a pas été prononcé ce 14 juillet, mais qui flottait en filigrane dans les échanges, est celui de diaspora. Un mot que la République hésite encore à faire sien, tant il bouscule l’idéal centralisé, indivisible, uniformisateur de la nation. Pourtant, plusieurs pays dans le monde, de l’Irlande à la Turquie, du Portugal au Maroc, ont compris depuis longtemps que leur force tenait aussi à ceux qui étaient partis.

Une politique diasporique assumée ne se limiterait pas à améliorer les services consulaires. Elle viserait à reconnaître pleinement les Français de l’étranger comme des acteurs de la diplomatie économique, culturelle, scientifique. Elle permettrait de mobiliser des réseaux d’influence, d’ancrer l’enseignement du français dans les familles binationales, de construire des passerelles durables avec les jeunes générations nées hors de France.

Une telle approche valoriserait enfin ce que la mondialisation rend possible : appartenir à plusieurs sphères sans perdre son identité. Aimer la France sans y résider. Et la faire rayonner sans attendre une médaille.

Le consulat de France à Francfort
Le consulat de France à Francfort

Conclusion : aimer sans frontières

La soirée s’est achevée dans la douceur de la brise de la vallée du Main, sur fond de conversations mêlées, d’accolades franches et de projets à moitié formulés.

Ce 14 juillet n’a pas seulement réuni des expatriés heureux de se retrouver. Il a dessiné, à travers leurs paroles, une autre idée de la France : une France nomade, plurielle, exigeante. Une France qu’on ne quitte jamais vraiment, même lorsqu’on vit ailleurs.

Aimer la France depuis l’étranger, ce n’est pas l’aimer moins. C’est l’aimer avec lucidité. Avec recul. Avec cette fidélité intérieure que la distance affine.
Et c’est, peut-être, l’aimer pour ce qu’elle pourrait être, si elle savait tendre l’oreille à ceux qui la regardent depuis le monde.

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