En Ukraine, la guerre avec la Russie a obligé les entreprises à s’adapter. Celles-ci ont été confrontées à des pénuries de main-d’œuvre avec la mobilisation des jeunes hommes et l’émigration d’une partie de la population. Plus de 6 millions de réfugiés ukrainiens se sont installés dans des pays européens. 1,8 million en Pologne, 1,1 million en Allemagne, 615 000 en République tchèque, 213 000 en Espagne, 196 000 en Italie et 107 000 en France).
Les entreprises ukrainiennes ont également dû faire face aux coupures énergétiques, à la désorganisation des transports et aux opérations militaires. Dans les exploitations agricoles, à proximité du front, les retraités ont repris du service et ont travaillé avec des gilets pare-balles, un fusil automatique à leur côté. Faute de pouvoir écouler le lait, les fermiers ont produit des fromages, plus faciles à conserver et à distribuer. Avec la diminution du nombre de clients, les prix des produits agricoles ont eu tendance à baisser.
En Ukraine, des taux d’intérêt à 13 % contre 20 % en Russie.
Dans son ensemble, l’économie ukrainienne s’est réinventée. Son poids s’est contracté de plus de 25 % par rapport à son niveau d’avant le début du conflit. Malgré tout, elle fait preuve d’une réelle capacité d’adaptation. La banque centrale ukrainienne prévoit une croissance du PIB de 4 % en 2024 et de 4,3 % en 2025. La monnaie est stable et les taux d’intérêt, à 13,5 %, restent proches de leur plus bas niveau depuis 30 mois. En Russie, les taux d’intérêt sont supérieurs à 20 % afin de lutter contre l’inflation et la dépréciation du rouble.
La situation économique de l’Ukraine demeure précaire. Le pays dépend des aides des pays occidentaux et, en premier lieu, des États-Unis. Or, l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche en janvier pourrait changer la donne. Depuis le déclenchement de la guerre, l’économie de l’Ukraine a connu trois phases. Lors de la première, au début de l’invasion russe et des combats, le gouvernement ukrainien a mené une politique d’urgence afin d’éviter un effondrement. Il devait réagir au blocage des ports de la mer Noire par la Russie, qui visait à empêcher toutes les exportations ukrainiennes. Celles-ci ont transité par la route ou les voies ferrées. La banque centrale a décidé de financer le déficit public provoqué par l’accroissement des dépenses militaires. Un contrôle strict des capitaux a été instauré. L’inflation a alors dépassé 20 % et le PIB s’est contracté de 33 %.
La deuxième phase a commencé avec le recul des armées russes dans le sud du pays, à la mi-2022. Avec la restauration de la confiance, le PIB s’est stabilisé. Un accord négocié par l’ONU a permis à l’Ukraine d’expédier à nouveau des céréales par bateau. L’inflation s’est amoindrie. Début 2023, l’Ukraine a signé un accord avec le FMI pour faciliter le financement de son économie. La banque centrale a ainsi cessé de monétiser le déficit budgétaire. Avec la multiplication des aides internationales, les réserves de change se sont redressées, permettant un assouplissement du contrôle des capitaux.
Protéger les centres de production des missiles russes.
Avec l’amélioration de la situation militaire et économique, le gouvernement et les entreprises ont mené des actions structurelles afin de protéger les centres de production des missiles russes. Des parcs industriels ont été construits dans des régions occidentales moins exposées. Les entreprises ont investi à l’étranger pour protéger leurs revenus contre la guerre. Dix pour cent des entreprises créées en 2023 en Pologne l’ont été par des Ukrainiens. Les expatriés ont également généré des revenus, dont une partie a été rapatriée en Ukraine.
Le gouvernement ukrainien a été contraint d’installer le pays dans une économie de guerre pour une longue période. Les dépenses publiques ont fortement augmenté et représentent désormais les deux tiers du PIB, contre 41 % en 2021. La défense et la sécurité représentent à elles seules près de 30 % du PIB. Certaines entreprises publiques se sont réorganisées. En 2023, Naftogaz, une entreprise d’hydrocarbures ukrainienne, a nommé un conseil de surveillance composé d’administrateurs indépendants issus de grandes entreprises européennes. L’entreprise a affiché 79 milliards de hryvnias (2,4 milliards de dollars) de pertes en 2022. Mais a engrangé 24 milliards de hryvnias de bénéfices au premier semestre 2024, grâce à l’augmentation de la production de gaz et à ses investissements dans les énergies vertes.
Les entreprises privées se sont également adaptées. Après la destruction de Marioupol, un port de la mer d’Azov, au printemps 2022, l’entrepreneur Vitalii Lopushanskyi a créé UADamage. U@ne société d’intelligence artificielle qui analyse les images satellites pour créer des cartes interactives présentant chaque bâtiment, route ou pont détruit. Il a depuis cartographié plus de 200 villes. Il a développé des solutions informatiques permettant aux drones de repérer les mines ou aux robots au sol de désactiver les bombes.
L’Ukraine a réussi à rendre possible les exportations.
En juillet 2023, la Russie a refusé de renouveler l’accord sur les céréales et leur exportation par la mer. L’Ukraine a réagi en ouvrant son propre corridor maritime, le sécurisant grâce à une remarquable campagne de dissuasion maritime par drones et missiles. La Russie n’a pas été capable d’empêcher ce corridor, du fait de la vulnérabilité de sa flotte et de la maîtrise imparfaite du ciel. L’Ukraine a réussi à rendre possible les expéditions non seulement de céréales, mais aussi de métaux et de minéraux, sa deuxième plus grande exportation.
Une troisième phase a commencé en 2024, au cours de laquelle l’économie du pays est confrontée à ses plus grandes menaces à ce jour : de graves pénuries de main d’œuvre, d’électricité et d’argent. Depuis 2022, la Russie a attaqué sans relâche le réseau électrique ukrainien. Malgré des réparations continues, le pays peut compter sur moins de la moitié des 36 gigawatts (GW) de capacité de production qu’il pouvait exploiter avant la guerre. Le 13 décembre dernier, la Russie a envoyé 93 missiles et près de 200 drones sur des installations de transmission et des centrales thermiques. Douze missiles ont atteint leurs cibles, provoquant des coupures de courant. Les 27 et 28 novembre, dans une escalade imprudente, la Russie avait déjà frappé des installations de transmission des centrales nucléaires. Or, l’Ukraine dépend pour l’électricité à 70 % de l’énergie nucléaire.
En décembre, le pays peut néanmoins compter sur l’Europe, qui a la capacité de fournir un quart de la consommation électrique de l’Ukraine. Pour faire face aux coupures électriques, de nombreux agriculteurs utilisent les résidus de leurs activités en biogaz. Ces derniers disposent également de générateurs diesel. Les entreprises de taille moyenne possèdent souvent des centrales au gaz naturel, qu’elles combinent parfois avec l’énergie éolienne et solaire.
Les stratégies d’adaptation et les réparations en cours permettront de contenir le déficit énergétique moyen du pays à 6 % de la demande totale en 2025 et à 3 % en 2026, selon le gouverneur de la banque centrale ukrainienne. Les prix de l’électricité sont néanmoins plus élevés qu’avant le conflit. Cette situation pourrait amputer le PIB d’un point en 2025.
Manque de main-d’œuvre
Le deuxième problème, le plus épineux, est le manque de main-d’œuvre. Depuis 2022, la mobilisation, les migrations et la guerre ont entraîné une diminution de plus d’un cinquième de la main-d’œuvre, à 13 millions de personnes. Le nombre d’offres d’emploi a atteint 65 000 par semaine, contre 7 000 pendant les premières semaines de la guerre. Mais chaque offre moyenne n’attire que 1,3 candidature, contre deux en 2021. Les salaires augmentent.
Les ministères de l’Économie et de la Défense sont engagés dans une lutte acharnée autour de la mobilisation. Même les industries considérées comme essentielles ne peuvent protéger que la moitié de leurs travailleurs de la ligne de front. Le recours aux salariées femmes est limité car elles ont été nombreuses à s’expatrier.
Les difficultés d’accès au crédit pèsent sur l’économie. Les petites exploitations agricoles et les petites entreprises peinent à financer leurs investissements. Les banques ont durci les conditions d’accès aux crédits. Avec ses besoins de financement importants, L’État génère un effet d’éviction.
Malgré les immenses défis posés par la guerre, l’économie ukrainienne fait preuve d’une remarquable résilience. Cela témoigne de sa capacité d’adaptation face à des contraintes sans précédent. Les trois phases économiques qu’a traversées ce pays depuis le début du conflit illustrent une transition complexe. Il y a eu d’abord la gestion d’une crise immédiate à une stabilisation progressive, puis à une économie de guerre durable. Cependant, cette résilience repose largement sur un soutien international massif. De plus, il y a eu une mobilisation intérieure sans précédent et des stratégies d’innovation au sein des secteurs privé et public.
Des menaces existentielles pour l’économie du pays.
Les pénuries d’électricité, de main-d’œuvre et de financement, couplées aux attaques répétées contre les infrastructures critiques, constituent des menaces existentielles pour l’économie du pays. À cela s’ajoutent les incertitudes liées aux dynamiques géopolitiques. Notamment la diminution potentielle de l’aide américaine et les divisions au sein de l’Union européenne.
Dans ce contexte, l’Ukraine devra continuer à diversifier ses partenariats économiques et financiers. Mais elle devra aussi renforcer ses bases industrielles et agricoles pour préserver sa souveraineté économique. Enfin, le rapport de force militaire et diplomatique, ainsi que l’évolution des soutiens extérieurs seront importants. En effet, ils détermineront largement la capacité du pays à maintenir une trajectoire de reprise économique.
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