TVA sociale : le retour d’un serpent de mer fiscal dans un État en surchauffe

TVA sociale : le retour d’un serpent de mer fiscal dans un État en surchauffe

Après les alertes lancées par la Cour des comptes, le Président de la République, Emmanuel Macron, et le premier ministre, François Bayrou, relancent l’idée controversée de la « TVA sociale ». Une mesure aussi technique que polémique, emblématique de la difficulté française à réformer notre pays en profondeur. Ce serpent de mer fiscal qui avait déjà fait surface en 2007 et 2012 est devenu l’indicateur chronique d’un État en surchauffe.

Une Taxe sur la Valeur Ajoutée et sociale ?

La « TVA sociale » désigne un mécanisme de financement de la sécurité sociale reposant sur une hausse de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), destinée à compenser une baisse des cotisations sociales, notamment patronales.

En clair, l’idée est de faire peser moins lourdement le financement de la protection sociale sur les salaires, et davantage sur la consommation. Cela permettrait, selon ses défenseurs, de réduire le coût du travail, d’améliorer la compétitivité à l’export et de soutenir l’emploi. Mais cette ingénierie fiscale reste fragile. Si les cotisations baissent, les entreprises peuvent :

  • Augmenter les salaires (mais le pouvoir d’achat peut être annulé par la hausse des prix),
  • Baisser leurs prix (pour gagner des parts de marché),
  • Ou augmenter leurs marges (sans redistribution, donc sans effet économique positif).
TVA sociale

En France, la TVA rapporte déjà plus de 100 milliards d’euros à l’État et finance la sécurité sociale à hauteur de 57,47 milliards d’euros. Une part qui pourrait être appelée à augmenter… au prix d’un changement majeur dans la philosophie de la solidarité nationale.

Danemark, Allemagne : des inspirations mal comprises ?

Les expériences étrangères citées très souvent en exemple, le Danemark et l’Allemagne, ont été motivées par des contextes très différents de celui de la France.

Au Danemark, la réforme menée à la fin des années 1980 s’inscrivait dans une stratégie de sortie de crise. Le pays, confronté à une explosion du chômage et à une perte de compétitivité, a choisi de relever la TVA à 25 % pour baisser en parallèle les cotisations sociales patronales. Résultat : plein emploi, croissance soutenue.

TVA sociale

En Allemagne, en 2007, l’augmentation de trois points de TVA décidée par le gouvernement Merkel avait pour objectif de réduire les cotisations chômage tout en accompagnant une série de réformes structurelles lancées au début des années 2000. Là encore, l’enjeu n’était pas de financer une dette sociale chronique, mais d’améliorer la compétitivité dans un cadre budgétaire maîtrisé.

La transposition de ces modèles étrangers sans en comprendre les logiques risque moins d’améliorer notre compétitivité que d’ajouter de la confusion à un système fiscal déjà illisible.

Certains Français détachés: les grands perdants de la mesure

Le cas des Français travaillant à l’étranger avec un contrat à rémunération nette garantie, certes toujours plus rare, est absent du débat public. Pour ces salariés expatriés, toute baisse des cotisations sociales en France ne leur profite pas : leur employeur, tenu par le contrat de maintenir un salaire net fixe, réduit leur brut en conséquence. Résultat : moins de droits à la retraite, moins de couvertures chômage, sans aucune hausse de pouvoir d’achat. Une réforme censée aider l’emploi pénalise donc ceux qui le portent à l’international.

La TVA : une mesure injuste et myope ?

La TVA est une taxe proportionnelle et profondément inégalitaire. Elle touche tous les consommateurs au même taux, quels que soient leurs revenus. Résultat : elle pèse plus lourdement sur les foyers modestes, qui consacrent une part bien plus importante de leur revenu à la consommation.

La TVA sociale, en transférant encore plus le financement de la protection sociale vers la consommation, aggrave cette injustice. Elle frappe les retraités, les chômeurs, les jeunes, bref : tous ceux qui ne bénéficient pas d’un allègement de charges salariales, mais paieront plus cher leurs achats.

Sur le plan budgétaire, elle n’est qu’un expédient. En effet, la dette française est structurelle : elle résulte d’un écart durable entre dépenses et recettes. Miser sur un surcroît de TVA pour combler des déficits chroniques revient à colmater une brèche avec un seau troué. Enfin, le précédent créé par le gouvernement Fillon en 2012 reste dans les mémoires : la hausse de 1,6 point de TVA, destinée à compenser des baisses de charges sur les salaires proches du SMIC, avait été immédiatement abrogée par la majorité suivante, tant la mesure s’était révélée politiquement complexe.

Réduire la dépense publique : une nécessité reportée

L’idée d’une TVA sociale revient chaque fois qu’on refuse de poser la vraie question : celle de l’organisation et du périmètre de l’État.

En 2024, le déficit budgétaire a dépassé 169,6 milliards d’euros, soit 9 milliards de plus que prévu. L’objectif était de réduire le déficit public à 4,4% du produit intérieur brut (PIB) en 2024, il s’est finalement établi à 5,8 points de PIB. Le Haut Conseil des Finances Publiques (HCFP) souligne « un écart particulièrement élevé en l’absence de crise« , quand « cette dégradation n’était pas inéluctable« .

Ainsi, la dette grimpe à 113% du PIB aujourd’hui. La Cour des comptes dénonce d’ailleurs, par la voix de son président Pierre Moscovici, une « gestion erratique et de pilotage à vue », des crédits gelés en urgence, et une impréparation chronique des lois de finances.

La dette de la France qui se creuse

Dans ce contexte, les dépenses de personnel apparaîtraient alors comme un levier central. La masse salariale représente plus de 21% des dépenses publiques. Or les effectifs ont crû de 23% entre 1997 et 2022, avec une explosion de +46% dans la fonction publique territoriale. En prenant la fonction publique territoriale pour seul exemple, une réduction de 0,5% par an des effectifs, soit environ 30 000 postes par an, permettrait d’économiser près de 10 milliards d’euros sur cinq ans. Cela suppose de ne pas remplacer une part des départs à la retraite, d’augmenter le temps de travail (aujourd’hui plus faible que dans le privé), et de revoir la répartition des missions.

Cette approche impose aussi une réforme de la gouvernance locale : mutualisation entre collectivités, contrats de performance budgétaire, réduction des doublons entre communes et intercommunalités, hausse ciblée des cotisations à la caisse nationale de retraite des agents territoriaux (CNRACL).

En effet, les collectivités locales pourraient être plus fortement incitées à limiter leurs recrutements suite à une hausse du taux de leurs cotisations au régime de retraite de leurs agents, la CNRACL. La réforme de 2023 de la CNRACL qui porte progressivement l’âge légal de départ à la retraite des agents des collectivités locales à 64 ans et la durée de cotisation requise pour obtenir une retraite au taux plein avant 67 ans et atteindre 43 annuités (172 trimestres) en 2027 n’a pas amélioré la situation.  La CNRACL devrait encore enregistrer un déficit qui pourrait atteindre 8,7 Md€ en 2027.

La hausse des cotisations à la CNRACL ferait supporter aux collectivités locales et aux hôpitaux le vrai coût de leurs agents en y incluant des cotisations sociales d’un montant suffisant pour équilibrer les pensions conformément au principe de base d’un régime de retraite par répartition.

Aussi, les dépenses de personnel ne sont qu’une piste et Christelle Morançais, présidente de la région Pays de Loire, a pris ce pari en donnant un tour de vis budgétaire pour les années 2025 et suivantes à sa région.

Une exigence de transparence encore absente

Au-delà de la question du niveau des dépenses, se pose celle, plus dérangeante encore, de leur transparence. Comme l’a récemment rappelé le député des Français de l’étranger Stéphane Vojetta, dans son entretien avec Lesfrancais.press du 20 mai dernier, le budget de l’État souffre d’un manque de lisibilité inquiétant. Certaines dépenses, notamment liées aux retraites de l’État, sont volontairement masquées dans les annexes budgétaires ou classées en dehors du périmètre officiel pour améliorer artificiellement les comptes.

Quelle est la realité du budget de la France

Dès lors, ce « mensonge comptable », dénoncé également par des magistrats financiers, fausserait ainsi le débat démocratique. Comment justifier une hausse d’impôt, fût-elle indirecte comme la TVA sociale, si les citoyens n’ont pas une vision claire et sincère de la réalité budgétaire de la France ? Tant que des pans entiers du financement public resteront en dehors des radars, toute réforme fiscale apparaîtrait illégitime.

Conclusion : le vrai courage n’est pas fiscal, il est structurel

La TVA sociale revient donc sur le devant de la scène faute d’avoir d’autres idées ? Elle est facile à mettre en œuvre, mais profondément injuste. Elle rassure les marchés, mais dégrade le pacte social. Elle permet de temporiser, pas de réformer.

Les marges de manœuvre fiscales de la France sont épuisées. Les Français n’accepteront peut-être pas de nouveaux impôts ou hausses de taux. En se basant sur les informations précédentes, il serait donc temps d’envisager une action sur les dépenses, leur efficacité, leur transparence.

La réforme de l’État, de sa masse salariale, de ses structures, de ses procédures, pourrait alors devenir la priorité nationale à l’instar de ce qu’ont fait nos voisins allemands, portugais ou espagnols ces dernières années. Ce ne serait donc pas les taux de TVA qu’il conviendrait d’ajuster, mais certains curseurs de courage, de responsabilité et de lucidité.

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