Turquie : la Livre boit la tasse, les femmes trinquent.

Turquie : la Livre boit la tasse, les femmes trinquent.

Le Président turc,  Recep Tayyip Erdogan  souhaite « accroitre le nombre de ses amis et transformer la région en un ilot de paix. » « La Turquie n’a le luxe de tourner le dos ni à l’Occident ni à l’Orient », ajoute-il. Après avoir eu une conversation d’une heure et demie avec le Président français, il multiplie les gestes d’apaisement. 

Et pourtant : Emmanuel Macron expliquait, en parallèle, qu’il « n’était dupe de rien » et avertissait des « menaces d’ingérence turque dans la prochaine présidentielle ». « C’est écrit. Les menaces ne sont pas voilées »  précise-t-il. Parallèlement, le ministre de l’intérieur dénonçait la subvention de la municipalité EELV pour la construction de la Mosquée de Strasbourg, alors que l’association qui gère la moquée, Milli Gorus, proche de la Turquie, refuse de signer la « Charte des principes de l’islam de France ». Voilà bien des ambigüités.

D’autant que pour construire cet « ilot de paix », les forces turques ont bombardé les « Forces démocratiques syriennes » (kurdes) en Syrie, alliés des Occidentaux.

La livre turque s’effondre  

Erdogan serait il suprêmement habile ou ne sait-il plus à quel saint se vouer ? Plus personne n’a confiance en lui : ni les Russes, ni les Américains, ni les Européens. Or l’économie turque coule. Pour la troisième fois en deux ans, Erdogan a encore limogé le gouverneur de la banque centrale. La Livre turque a chuté de 16%. Moins 40% en deux ans. Les taux d’intérêt à dix ans ont atteint 17%. La Turquie, si elle ne peut emprunter, va droit à la banqueroute. 

Erdogan essaie donc de donner des gages à ceux qui peuvent le maintenir à flot : Américains et Européens. L’élection de Biden n’a pas été une bonne nouvelle pur lui. Les Européens ont pris quelques sanctions, certes symboliques, mais qui témoignent d’une rupture. Quand Emmanuel Macron dit qu’il faut « tout faire pour que la Turquie ne se détache pas de l’Europe », c’est presque une politesse vis-à-vis des Allemands. Comme la visioconférence entre Erdogan et Macron.

Erdogan a rompu avec l’Europe 

Sur le fond, Erdogan a rompu avec l’Europe. En témoigne la dénonciation de la « Convention sur les violences faites aux femmes », seule convention internationale qui fixe des règles contraignantes pour prévenir la violence domestique. 

La Turquie avait été la première à la signer en 2011[1], la cérémonie avait d’ailleurs eu lieu à Istanbul. C’était le signe de la volonté de la Turquie  – et d’Erdogan- de s’impliquer totalement dans la construction d’un Etat moderne, à l’européenne, avec une égalité de traitement entre les hommes et les femmes. La Turquie voulait se  présenter comme un modèle de « démocratie musulmane ». La marche arrière est impressionnante. 

Erdogan dénonce la convention contre la violence faite aux femmes.

Que cherche Erdogan en rejetant la convention et le respect des pays signataires ? Tout d’abord, le soutien de l’électorat conservateur et religieux de son parti, qui n’a, en son for intérieur, jamais approuvé ces modernités occidentales. 

D’autre part, il soutient la position russe, qui n’a jamais voulu signer la convention, suivie par l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Enfin, il y a derrière lui, les Frères musulmans, utiles à l’intérieur comme à l’extérieur, opposés aux principes d’égalité entre les hommes et les femmes rappelés par la convention. 

Le vœu des Frères plutôt que le droit des femmes

Le Qatar, foyer des Frères,  a beaucoup investi en Turquie : près de 22 milliards de dollar. Erdogan, a vendu 10% de la Bourse d’Istanbul à l’autorité d’investissement du Qatar en Novembre dernier.  La Turquie, elle, dispose d’une base militaire au Qatar et a signé un accord de défense, ce qui contrarie l’Arabie saoudite. 

Cependant, l’aide du Qatar sera bien insuffisante pour conforter Erdogan du point de vue financier, car les besoins de la Turquie représentent environ 200 milliards de dollars. Si celle-ci ne peut avoir accès aux prêts, ou si les taux d’intérêt se maintiennent, la Banque centrale turque, même avec un nouveau gouverneur ne pourra pas tenir. Les femmes turques en paient le prix, et la Turquie aussi.

Du rêve d’empire à la ruine

Erdogan rêverait de l’Empire ottoman. Il y a 200 ans, un 25 mars, l’archevêque de Patras lançait un appel au soulèvement des Grecs. Il faudra dix ans à le Grèce pour obtenir son indépendance, 200.000 morts plus tard. Manque aujourd’hui un appel à libérer les Turcs. La plupart de ceux qui pourraient le faire, hommes et femmes,  sont en prison.

Faut-il espérer la ruine de l’économie turque pour que la Turquie sorte de l’obscurantisme, de l’agression systématique, du recours à la force ?

Le virage politique d’Erdogan est instructif : tourner le dos aux principes démocratiques, s’éloigner de l’Europe, se rapprocher de la Russie et de l’Iran, se faire le porte parole des Frères Musulmans, s’en prendre à la laïcité, aux femmes, à la France -quel honneur !-  mène à la ruine. 


[1] La France avait été parmi les treize premiers états à signer cette convention à laquelle elle avait beaucoup participé. Il se trouve que l’ambassadeur désigné pour signer le document est devenu le fondateur de lesfrancais.press : Laurent Dominati…

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