À partir du 1er janvier 2026, l’administration Trump bouleversera profondément l’accès aux visas H-1B, indispensables pour des dizaines de milliers de travailleurs étrangers aux États-Unis, dont plus de 30 000 Français. Derrière ce décret présidentiel, un message politique clair : priorité aux Américains et frein à l’immigration qualifiée ? Olivier Piton, avocat, élu des Français de Washington et conseiller à l’Assemblée des Français de l’étranger, décrypte les enjeux et les incertitudes de cette réforme.
Écouter le podcast avec Olivier Piton
Une « préférence nationale » assumée par Trump
Donald Trump poursuit sa ligne de fermeté en matière migratoire. Dès son premier mandat, il avait martelé que « les États-Unis devaient se suffire à eux-mêmes ». Pour Olivier Piton, le nouveau décret s’inscrit dans cette logique : « Il y a effectivement la lecture politique qui consiste à dire que Donald Trump met en place une forme de préférence nationale. »
Mais la réforme se veut aussi une réponse aux abus constatés dans l’utilisation du H-1B, utilisé notamment comme voie détournée vers une immigration légale tolérée. « Ces abus ont été traités à la hache, comme souvent avec Donald Trump », observe notre invité.
Le prix du visa multiplié par cent aux Etats-Unis
La mesure phare frappe par sa brutalité : le coût d’un visa H-1B passe de quelques centaines de dollars à 100 000 dollars. Une somme colossale que devront payer les entreprises américaines souhaitant recruter un salarié étranger. « Les 100 000 dollars, c’est le principe du ticket d’entrée. Pour un employé lambda, étranger, une entreprise paye 100 000 dollars, l’employé entre légalement aux États-Unis avec un visa H-1B », détaille l’avocat.
« Il y a aussi un règlement de compte entre les États-Unis et l’Inde visant à punir le gros bénéficiaire de ces visas »
Olivier Piton, conseiller des Français de Washington, avocat
Chaque année, entre 85 000 et 90 000 visas H-1B sont délivrés aux Etats-Unis, un système déjà critiqué comme une loterie. Désormais, ce surcoût pourrait rendre la procédure inaccessible aux PME, aux start-up ou encore aux universités, grands employeurs de Français expatriés.
Incertitudes et flou juridique autour du H-1B
Au-delà du coût, de nombreuses zones d’ombre demeurent : durée du visa (actuellement trois ans renouvelables), portabilité entre entreprises, ou encore conditions de remplacement d’un salarié. « Si un employé changeait d’entreprise, la nouvelle entreprise serait de nouveau obligée de payer 100 000 dollars », explique Olivier Piton, avant de rappeler : « À ce stade, on manque quand même d’informations. »
« L’idée, c’est de trouver des substituts au H-1B qui, de toute façon, n’inspirent plus confiance »
Olivier Piton, conseiller des Français de Washington, avocat
Ce flou nourrit l’inquiétude des expatriés français. D’autant que 72 % des H-1B sont attribués à des Indiens et 12 % à des Chinois. Derrière l’annonce, une dimension géopolitique apparaît : « Il y a aussi un règlement de compte entre les États-Unis et l’Inde visant à punir le gros bénéficiaire de ces visas », souligne-t-il.
Des entreprises en quête de plan B
Les réactions économiques n’ont pas tardé. Les valeurs boursières des géants de la tech et de la finance, très dépendants du H-1B, ont chuté après l’annonce.
Pour contourner le problème, de nombreuses entreprises explorent déjà d’autres pistes : « L’idée, c’est de trouver des substituts au H-1B qui, de toute façon, n’inspirent plus confiance », explique Piton. Le visa O, réservé à des compétences « exceptionnelles », pourrait ainsi devenir l’alternative privilégiée.
Les familles françaises fragilisées avec cette politique de visas
Au-delà des travailleurs, c’est toute la cellule familiale qui se retrouve dans l’incertitude. Le sort des conjoints des titulaires de H-1B, bénéficiaires d’un visa H4, illustre cette instabilité chronique : autorisation de travail accordée sous Obama, supprimée sous Trump, rétablie sous Biden… et de nouveau supprimée à partir de 2026. « L’instabilité chronique de l’octroi des visas met les familles, les travailleurs, leurs conjoints, les enfants dans une situation d’incertitude et d’anxiété absolument énorme », alerte Olivier Piton.
« Il n’y a pas une volonté totale de se priver de talents étrangers »
Olivier Piton, conseiller des Français de Washington, avocat
Il rappelle aussi l’allongement des délais administratifs : « On parle de 3 ans, 4 ans, 5 ans maintenant pour une carte verte, et quasiment 2 ans, voire plus, pour un simple renouvellement. »
Les élus des Français de l’étranger entre information et prudence
Face à ces bouleversements, quel rôle pour les élus ? « Nous ne sommes pas autorisés à faire de la politique », rappelle Olivier Piton. Leur mission consiste surtout à informer et prévenir. « J’ai communiqué sur le fait qu’il était devenu dangereux d’aller manifester dans les campus (…) Nous sommes là pour éviter que des gens se retrouvent dans une situation inextricable », précise-t-il. La prudence est d’autant plus de mise que des Français critiques envers l’administration Trump ont déjà été bloqués à la frontière.
Fuite des talents : menace ou opportunité pour la France ?
Alors que l’Amérique se ferme, certains voient une chance pour la France de retenir ses talents. « Un certain nombre de candidats à l’expatriation pourraient apporter leur plus-value et leurs compétences à la France plutôt qu’aux États-Unis », admet Olivier Piton.
Mais il nuance : « Il y a ceux qui veulent absolument partir aux États-Unis, quel que soit le visa, et ceux qui pourraient se dire ‘je peux trouver un bon poste dans une entreprise française ou dans une start-up’. »
Vers une fermeture durable des États-Unis ?
Faut-il espérer un retour en arrière après l’ère Trump à la Maison Blanche ? Olivier Piton se montre pessimiste : « Je ne crois pas qu’on viendra beaucoup en arrière (…) Il faut partir du principe que les États-Unis se ferment à l’heure actuelle. » Il distingue toutefois les visas : si le H-1B est fragilisé, d’autres comme le visa O ou la « gold card » (résidence contre un million de dollars d’investissement) restent ouverts. « Il n’y a pas une volonté totale de se priver de talents étrangers », conclut-il.
Une nouvelle ère pour l’expatriation française ?
Entre explosion des coûts, incertitudes juridiques et instabilité chronique, le rêve américain s’éloigne pour de nombreux Français. Si certains candidats à l’expatriation se tourneront vers d’autres horizons, d’autres continueront de tenter leur chance, quitte à affronter un système de plus en plus restrictif.
Auteur/Autrice
-
La Rédaction vous propose quelques articles où l'ensemble des collaborateurs ont participé à leur rédaction.
Voir toutes les publications