Réussir son partenariat d’affaires : la clé du succès des entreprises francophones
par Loïc Berthout.
Réussir à démarrer et développer son entreprise au Québec, seul maître à bord, est devenue une aventure de plus en plus difficile, femmes et hommes confondus. Peu après mon départ volontaire de France, j’ai démarré « Cinebox », au milieu des années 90, dans un local de 150 pieds carrés (un peu moins de 14 mètres carrés) ; l’écosystème était bien différent : peu ou prou de « capital-risque » accessible, pas d’espace collaboratif, guère d’internautes et point de formation numérique…mais c’était l’océan bleu, le début du commerce électronique, d’une ère nouvelle et transnationale. De nos jours, entreprendre demeure une prise de risque financière et sociale importante ; et ce, malgré un environnement plus propice à la création d’entreprise, grâce aux infrastructures et aux aides en tous genres (espace collaboratif de travail, incubateur, accélérateur, subventions gouvernementales, crédits d’impôts pour la recherche et le développement, mentorat, prix de reconnaissance, cours de formation en entrepreneuriat…). Mais surtout, l’accès au marché exige de plus en plus de moyens financiers pour espérer se lancer et être compétitif, puis viable, en l’absence de règles communes et partagées de la concurrence, dans un contexte international d’échanges commerciaux où les règles varient souvent d’un territoire à un autre. Qui peut rivaliser de façon réaliste et durable avec un modèle d’affaires basé sur la vente à perte et financé par l’argent de la spéculation boursière ? La plate-forme de vente en ligne « Amazon » aurait-elle pu opérer pendant presque deux décennies sans atteindre le seuil de rentabilité, et s’imposer au détriment des entreprises établies, vivant de leur autofinancement et dans l’obligation (bien normale) d’ajouter une marge de profit dans le calcul du prix facturé au client, si elle n’avait pas eu le soutien abondant d’un système financier avide et d’une législation par trop permissive ? Marché artificiel et « bulle financière » pour les uns, liberté totale de concurrence et opportunisme légitime (« legit ») pour les autres, le pragmatisme commande de prendre en compte ce qui est, sans s’interdire de s’interroger sur ce qui pourrait ou devrait être. Dans tous les cas, la définition de l’entrepreneur d’aujourd’hui ressemble moins à celle de Joseph Schumpeter pour qui, aux siècles précédents, il ou elle, est un individu qui a une idée, un inventeur. La démarche d’affaires actuelle consiste plutôt en une stratégie délibérée de domination économique par tous les moyens (y compris le vol de propriété intellectuelle), où l’argent n’a guère plus de valeur (non seulement l’endettement n’est plus tabou mais il est sanctifié !), le capitalisme n’a pas de conscience ni de morale, le client est un prétexte, une variable (Lire l’excellent Gaspard Koenig sur la monétisation des données personnelles). Ce qui compte, ce n’est pas tant la rentabilité ou la satisfaction du consommateur que la valorisation rapide et exponentielle des actions de l’entreprise qui passe par une conquête fulgurante et massive d’une industrie facilement pénétrable et lucrative de préférence. C’est, essentiellement, la loi du plus fort ; or, l’union faisant la force, les effets de réseaux et des médias sociaux accentuent l’impression d’un développement hors-sol et d’une influence globale de l’économie virtuelle…Certains ont tout simplement défié les lois de la gravité économique, et souvent ignoré la légalité grâce, ou à cause, d’une justice trop lente, toujours tardive et souvent archaïque, pour vivre en apesanteur. Ils flottent dans l’ère numérique et baignent dans l’insouciance, à crédit, mais avec une agilité extrême et une ambition féroce. Pour ces illusionnistes, tout est bien dans le meilleur des mondes possibles.
La force du partenariat
Mais revenons sur terre et cultivons notre réseau francophone car notre propos n’est pas de discuter du paradigme ou des mystères du capital à l’instar de l’éminent Hernando de Soto mais plutôt de l’association des forces de futurs partenaires d’affaires qui peut, en effet, permettre d’accélérer la naissance et la croissance de l’entreprise.
Cette association implique une dynamique collective avec de nouvelles personnes, souvent connues de l’entrepreneur et de son entourage, ou parfois inconnues et rencontrées au gré des circonstances de réseautage, par exemple. Dans les deux cas, il n’est pas rare que l’entrepreneur et ses nouveaux contacts ne partagent pas nécessairement des antécédents professionnels communs ou une expérience de collaboration de travail dans un contexte d’affaires, voire même une connaissance ou une confiance mutuelles approfondies et suffisantes. Deux amis pratiquant un sport dans la même équipe s’entendront-ils dans une relation d’affaires sans être confrontés à de nombreuses remises en cause et sans effectuer de délicats ajustements ? Alors comment savoir si les nouveaux partenaires, en affaires, sauront s’entendre et travailler efficacement ensemble ? Quels sont les principes et les valeurs qui guideront la conduite de leur partenariat ? Que se passera-t-il en cas de divergence, de désaccord, de mésentente, ou de situation conflictuelle ?Paradoxalement, cette question du fonctionnement (ou de la gouvernance) du partenariat est fortement délaissée, voire oubliée, dans la thématique centrale de l’entrepreneuriat. L’accent est mis, notamment et à juste titre, sur le potentiel de ventes, la traction du produit sur le marché, le retour sur investissement…Pourtant, les conflits n’ont pas disparu. Nombreux sont les chefs d’entreprise français qui ont tenté de s’allier à leurs homologues québécois pour pénétrer le marché américain en pensant que leur proximité linguistique faciliterait leur compréhension mutuelle…C’était sans compter les multiples embûches liées aux différences culturelles et de pratiques d’affaires. La langue peut être commune mais le langage est propre et reflète des mentalités, parfois situées aux antipodes. Comme le dit, désormais, l’adage « Lorsque le contrat est signé, la négociation s’achève pour l’un alors qu’elle commence pour l’autre…». Les périodes de doute ont continué de coexister avec l’évolution de l’histoire, des épidémies, des pandémies, des échanges commerciaux, des rencontres entre hommes et femmes en quête d’aventure, d’exploration, de création d’entreprise, d’invention, d’innovation…Des idées deviennent des projets qui, à leur tour, réunissent des « croyants » d’un nouveau genre, des entrepreneur(e)s débordant d’énergie, d’optimisme et d’enthousiasme, lesquels forment des alliances en vue de transformer le monde. Cette transformation appelle une organisation, le partenariat d’affaires, et une entente, le contrat ou la convention, censés pourvoir aux besoins des acteurs économiques unis dans l’espoir de rencontrer le succès et de créer de la richesse, c’est-à-dire une plus-value ou de la valeur ajoutée, au sens large. Cette perspective d’affaires suppose une prise de risque calculé, des investissements industriels, en nature ou en numéraire plus ou moins proportionnés, une utilisation du capital, une répartition du travail, un partage des gains (ou des pertes) éventuels, une distribution des rôles et des règles de fonctionnement pour tendre vers un but commun, unis comme un seul homme.
Le rôle du médiateur
Force est de constater, en pratique, que la nature des entreprises, des hommes et des femmes qui les animent, est d’une extraordinaire complexité et que les communications humaines prennent très souvent la forme d’une énigme pouvant conduire à l’impasse et au conflit. Au cœur de chaque conflit gît une situation unique, un monde en soi, complexe, dynamique et circulaire, une sorte de boucle à l’infini. Aussi pour espérer sortir de cette aporie, il faut chercher ailleurs les clés de nos défaillances humaines. C’est, ici, que le médiateur, ou le facilitateur, entre en scène avec pour mission de faire s’accorder les parties en dissidence. Il occupe une place centrale et joue un rôle majeur. Il s’immisce au milieu d’elles, et révèle la conflictualité entre les partenaires. Pour cela, il écoute, il s’informe, il questionne. Il dispose de plusieurs instruments dont celui de la confiance, et il peut, dès lors, devenir un formidable chantre de la reliance comme dirait Edgard Morin. Pour bien comprendre la dynamique de l’interaction conflictuelle il convient, pour le tiers intervenant, d’adopter une approche non linéaire (encore que la chronologie des évènements a son importance), soit une approche circulaire, itérative, car il n’existe pas une seule cause mais, plutôt, un faisceau de facteurs à l’origine d’un conflit. Cette approche prend encore davantage de relief dans des contextes culturels variés où le besoin de comprendre et de valider l’universalité des attributs de la confiance (respect, transparence bonne foi…) suppose d’apporter un éclairage, une couleur locale, plus typiques et adaptés aux codes culturels d’affaires des partenaires liés. Ayant eu l’opportunité de négocier et de conclure une vingtaine de partenariats internationaux, je suis convaincu que chaque expatrié a probablement vécu le même phénomène paradoxal de la confiance : elle s’établit, à chaque fois, de façon identique mais de manière variable. Son secret est encodé dans une infinité de combinaisons selon le cadre d’interactions interculturelles. L’aide d’un tiers intervenant s’avère indispensable.
Prévenir le conflit
Quels sont donc les mécanismes qui préviendront ces risques ou permettront de surmonter ces antagonismes ? Au Québec, la convention d’actionnaires répond surtout à un besoin légal et couvre les événements majeurs de la vie de l’entreprise (constitution et répartition du capital, rémunération et responsabilités des administrateurs du conseil d’administration, etc…). Le contrat a une forte teneur juridique. Lors de sa formation, il est, par nature, le fruit d’exigences de la loi et de clauses dites « usuelles ou standards » que les avocats rédigent selon le lexique de la profession, avec le souci légitime de représenter chacune des parties et de défendre les intérêts de leur client selon un processus de négociation. Mais ce contrat ne saurait être suffisamment adapté et efficace pour aider les nouveaux partenaires à se connaître, à communiquer ensemble, à se faire confiance, à collaborer et à partager ; autrement dit, à s’entendre et à travailler harmonieusement pour réussir en tant qu’équipe. C’est, ici, que prennent toute leur importance la formation et le conseil en création et gestion de partenariat. Qu’il s’agisse d’une entente informelle, d’un projet de rédaction de partenariat préventif ou d’une charte, il est dans l’intérêt des partenaires d’affaires, et plus particulièrement des jeunes entrepreneurs encore inexpérimentés, de se former un minimum à la gestion stratégique des alliances, de se doter d’une feuille de route, d’outils de gestion personnalisés, de mécanismes préventifs souples, simples et rapides de gestion des conflits, et d’une culture intégrative fondée sur une logique collaborative des parties, orientée vers l’intérêt supérieur du partenariat. Car les tensions, les frictions et la pression viennent inévitablement s’installer dans la vie des organisations qui sont des entités humaines composées de femmes et d’hommes vulnérables, imparfaits et émotifs. Mais les partenaires d’affaires pensent-ils à contacter un médiateur pour prévenir un conflit qui n’existe même pas encore ? Lorsque deux entreprises décident de devenir partenaires ne devraient-elles pas se prémunir contre des conflits potentiels émanant d’éventuels désaccords ? Ces manques peuvent avoir un impact direct sur le succès du partenariat et, donc, de l’entreprise.
La richesse, la pertinence et l’efficacité d’un accompagnement spécifique en gestion stratégique des alliances et des risques de conflits des partenariats, fourni aux entrepreneurs devenus partenaires d’affaires, peuvent s’avérer déterminantes dans le parcours entrepreneurial dessiné par les mentors (ou « coachs ») au sein des programmes d’incubateurs et d’accélérateurs. De l’idéation à la mise en marché en passant par les multiples ateliers stratégiques, il est indispensable d’inclure une formation ad hoc pour réussir son partenariat d’affaires et transmettre aux dirigeants les compétences pour prévenir et régler leurs différends. À l’heure où l’Organisation Mondiale du Commerce est paralysée, et à l’instar des nombreux pays de culture, ou d’obédience, anglophone qui ont conservé non seulement la langue anglaise comme dénominateur commun mais aussi un système de droit de « common law », les pays de la francophonie pourraient développer ensemble de nouvelles pratiques (la médiation préventive), de nouveaux outils (le partenariat préventif) pour renforcer leurs alliances commerciales (charte de partenariat) en s’inspirant d’une mixité de droits, dont le droit de tradition civiliste, et d’un droit plus souple ainsi que de valeurs universelles à l’image du Canada.
Loïc Berthout est médiateur et accompagne les entreprises dans la prévention et le règlement des différends. C’est un pionnier du commerce électronique. Il a ensuite parcouru le monde pour réaliser des investissements et nouer des alliances stratégiques avec Triotech, leader des technologies 3D interactives. Il a mis sur pied et piloté 20 coentreprises sur 5 continents. Loïc est également producteur de vin et a assuré la mise en marché de « The French Lieutenant » dans la vallée de Napa. Aujourd’hui, Loïc travaille sur des missions spécifiques d’accompagnement (coaching d’affaires), de planification stratégique et de médiation commerciale.
Loïc est également impliqué dans le domaine académique et titulaire d’un MBA en finances (Angleterre), d’une MSc en marketing (France) ainsi que d’un DESS en droit (Canada). Il a été formé en stratégie à l’Ecole Spéciale Militaire de Saint-Cyr et à HEC Montréal.
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