Toute vie ne tient qu’à un fil, électrique.

Toute vie ne tient qu’à un fil, électrique.

Guérilla ou dissuasion électrique ? Les deux. « Le Communisme, c’est les soviets plus l’électricité[1]. » promettait Lénine en 1919. En 2025, les soviets ont disparu. Et l’électricité, si elle disparaissait ? Et si Le Rêve chinois, c’était « le PCC moins l’électricité ». Toute vie ne tient qu’à un fil, électrique. Le 28 avril dernier, l’Espagne et le Portugal ont connu « La Panne ». D’un coup, plus rien. Plus de lumière ? Plus de feux tricolores, de trains, de téléphones, d’ordinateurs, de banques, d’internet, d’eau, d’hôpitaux. Déploiement de l’armée en urgence. Dans un contexte de cyberguerre, chacun a pensé à une attaque. Même pas : Une petite perte de 2 mégawatts a déclenché des coupures en chaîne. Que serait une attaque ! La guerre nouvelle prend toute forme, électrique, électronique, magnétique,  dans le ciel, l’espace, la mer, autant de guerres invisibles.

L’énergie solaire serait-elle coupée d’un clic à Pékin ? Les services américains s’inquiètent. Les Allemands aussi. Le photovoltaïque fournit parfois 60% de leur puissance électrique. Les Chinois, qui ont réussi leur OPA sur le solaire, l’éolien, la voiture électrique, les batteries, cacheraient-ils quelques onduleurs espions dans les panneaux ? Un écart de production met en panne un réseau. Les onduleurs, qui transforment le courant,  transmettent aussi les données aux fabricants, qui sont donc les meilleurs connaisseurs du réseau, de ses failles, heure par heure. Sur les dix premiers mondiaux, neuf sont chinois.

Les Chinois cacheraient-ils quelques onduleurs espions dans les panneaux solaires ?

Tant qu’ils ne sont pas russes ! Les autorités françaises ont rendu public un rapport relevant les cyberattaques menées par le GRU, le service de renseignement militaire russe. On en serait, en Europe, à une par jour. Les Russes relèvent aussi les câbles sous-marins, tous les systèmes de connexion, y compris ceux de l’espace, comme les Chinois. La Baltique et la Méditerranée sont les ports de l’Europe.

Si l’Europe devait être attaquée, c’est par les câbles et le réseau électrique. Panique. Heureusement que l’esprit de résistance anime peuples et citoyens. Toute activité repose sur l’électricité ; son absence crée le chaos. Infiltration par les systèmes de connexions, panne, voire prise de contrôle. C’est déjà un schéma mental.

Le 4 novembre 2006, une panne en Allemagne avait plongé 10 millions de personnes dans le noir pendant une heure. Le 28 septembre 2003, l’Italie s’arrêtait. En février 2021, le Texas. Avril 2025, Portugal et Espagne. Une attaque aurait paralysé toute l’Europe.

Tous droits réservés Armando Franca/Copyright 2025 The AP. All rights reserved
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Le Pacte vert s’amende en pacte de défense, tant il offre de fragilités.

L’énergie, c’est la vie. Et la vie se paie. Ce n’est pas qu’une attaque qu’un pays doit craindre, c’est le tribut continu. Le prix de l’électricité a augmenté en France de 120%. L’Europe importe plus de 60% de son énergie. La transition énergétique européenne, conçue pour lutter contre le changement climatique, vise désormais à réduire la dépendance. Le Pacte vert (42.5% d’énergies renouvelables, réduction de la consommation de 11%) s’amende petit à petit en pacte de défense, tant il offre de fragilités.

Les entreprises européennes paient leur énergie deux à trois fois plus cher que les Américaines. L’écart de croissance entre les États-Unis et l’Europe vient moins de la Sillicon Valley que du schiste. Le prix du pétrole chute. L’OPEP+, assoiffée, ouvre les vannes. La facture énergétique européenne de 600 milliards en 2022, devrait diminuer à 400 milliards en 2024. Les pays pétroliers commencent à souffrir. Mais quand le pétrole est bon marché, les renouvelables le sont moins.

Il n’y a pas vraiment d’énergie propre. Sauf la géothermie. Il y a des productions plus ou moins carbonées, plus ou moins chères.    

Pour le long terme, le nucléaire revient en force. Après avoir fermé Fessenheim, la France fait volte-face. La Belgique abandonne ses projets de fermeture ; l’Allemagne accepte enfin que le nucléaire intègre la nomenclature des énergies « propres », comme le gaz, qui ne l’est pas vraiment. En fait, il n’y a pas vraiment d’énergie propre. Sauf la géothermie. Il y a des productions plus ou moins carbonées, plus ou moins chères.   

En 2050, on consommera encore 4 milliards de tonnes de pétrole et plus de 4000 milliards de mètres cubes de gaz. Il est illusoire de penser le monde, et même l’Europe, sans hydrocarbure. L’offre, surabondante, est peu chère. Depuis la signature des accords de Kyoto en 1997, les émissions mondiales ont augmenté de 54 %, celles de la Chine et de l’Inde ont triplé. Les efforts des Européens (-23 % en Europe, -9 % aux États-Unis), sont plus que dépassés par la consommation des pays asiatiques. La Chine est déjà le deuxième pollueur de l’histoire depuis la révolution industrielle. Elle a rattrapé l’Europe. Elle doublera les États-Unis.

Les énergies renouvelables progressent à un rythme soutenu, leur viabilité économique décolle, mais ni le solaire, ni l’éolien, n’assurent la sécurité énergétique. Hydrogène vert, géothermie, maréthermie, biocarburants, n’en sont qu’à leurs promesses. Les Chinois investissent dans tous les modes de production  (solaire, éolien, charbon, nucléaire). La diversité rassure. L’idéal est la production la plus locale et autonome possible, à l’échelle d’une maison, d’un immeuble, d’une ville avec un réseau interconnecté le plus vaste possible, parce qu’il permet les plus larges dérivations.

Un générateur autonome de production d’électricité solaire capable de fournir de 24 à 180 kVA (48 à 360 kW en puissance maximale). Crédit photo : Ecologene / Lou Baron
Un générateur autonome de production d’électricité solaire capable de fournir de 24 à 180 kVA (48 à 360 kW en puissance maximale). Crédit photo : Ecologene / Lou Baron

Toute l’économie, toute la vie quotidienne, dépend de l’énergie. Si un sabotage à l’échelle d’un pays, un chantage (c’est ce qu’ont fait les pays de l’OPEP) est possible, la multiplication des sources, leur dispersion,  leur décentralisation est la bonne réponse.

La guérilla électrique en est une autre. La supply chain est forcément énergétique. Le laser, les drones à fibre optique (jusqu’à 25 km de fil pour éviter les brouillages), les canons laser du futur (pour détruire les missiles hypersoniques) montrent que les armements d’hier fragiles seront vite obsolètes.

On peut imaginer une guerre sans guerre. Combien une faille du barrage des trois gorges coûterait à la Chine ?

On peut donc imaginer une guerre sans guerre. Le pilotage (par l’IA) d’attaques cyber sur les réseaux électriques pourrait annihiler toute capacité réelle de défense d’un pays et l’amener à se reconnaître défait avant tout autre acte d’hostilité. Ce type de guerre pourrait même arriver, à l’avenir, sans que personne, si ce n’est les dirigeants, n’en sache rien. Taïwan pourrait basculer sans guerre. Elle ne tient d’ailleurs que parce qu’elle est une mine d’or électronique. La réciproque est vraie :  le barrage des Trois Gorges, le plus grand complexe hydroélectrique du monde, avec son ascenseur à bateau et son escalier d’écluse, n’a-t-il pas ses fragilités ? Combien une faille coûterait-elle à la Chine ? Le 6 juin 2023, les Russes ont détruit le barrage de Kakhovka sur le Dniepr. Un désastre que plus personne ne leur reproche.

Le chantage banal, celui des rançongiciels, pourrait, à partir du réseau électrique, être fait à l’échelle d’un pays. Faut-il investir dans un porte-avions, un porte-drones, ou la défense électrique ? Tandis que certains prônent un retour à la conscription, et aux fléchettes, les particules rigolent dans les ordinateurs quantiques.

Simulation 3D du futur porte-drones chinois ©AFP
Simulation 3D du futur porte-drones chinois ©AFP

La guérilla électromagnétique est une nouvelle forme de dissuasion du faible au fort.

La guérilla électromagnétique est une nouvelle forme de dissuasion du faible au fort. Si l’on conjugue Data, IA, espace, chantage énergétique, communication électronique, toute la conception de la guerre change. Les pays de l’OTAN viennent d’avaliser 3.5% de PIB pour les dépenses militaires, plus 1.5% pour les infrastructures (dont le cyber). Ce type de calcul ne veut rien dire, sinon à contenter, en paroles, les Américains. En revanche, plus intéressant est le 1.5%. Tout miser sur la recherche en énergie. Et sur la réflexion stratégique. Ce qui compte, ce n’est pas la flèche, mais la cible. « La foudre gouverne tout », la vie comme la guerre.

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press et France Pay


[1] Lénine, 1919, Discours au Congrès des Soviets.

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