Tireurs d’élite

Tireurs d’élite

Les ventes d’armes dans le monde explosent. Ce n’est pas l’arme qui compte, c’est la cible. « Donnez-moi un point d’appui, avec un levier, je soulèverai la terre. » aurait dit Archimède. Elle se soulève, la terre, avec des poulies, des petits poids, parfois de la taille d’une balle. Qui sont ces nouveaux tireurs d’élite ?

Deux citoyens russes ont été arrêtés aux États-Unis, disposant de 10 millions de dollars pour activer de faux comptes, envoyer des messages, influencer les électeurs. En Europe, des milliers de comptes et noms de domaines avaient déjà été réservés pour « Doppelgänger », une opération russe révélée depuis 2022. Les cibles : l’Allemagne, la France, le Royaume-Uni et l’Italie. Selon un document russe saisi les buts sont  : « déstabiliser la situation sociétale », « diffuser de faux récits supplémentaires» de « fausses vidéos, de faux documents et de faux enregistrements de conversations téléphoniques », des « commentaires sur les médias sociaux » et de « fausses et vraies citations de personnes influentes ». Agents et frais divers sont payés en cryptomonnaies.

La septième campagne de propagande chinoise découverte en six ans.  

Les Russes ne sont pas seuls. Des trolls chinois se font passer pour des militants et envoient des milliers de messages. Une fausse vidéo de Biden, grâce à la naïveté et au plaisir moqueur de nombreux imbéciles, a atteint dix millions de vues.

L’opération de désinformation chinoise dénommée  « Spamouflage » par Meta, animait 7700 comptes, 15 groupes Facebook, suivis par plus d’un demi-million d’internautes depuis 2018. Il s’agit de la septième campagne de propagande chinoise découverte en six ans.

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©Stockadobe

En 2018 déjà, un rapport du département de la justice accusait le gouvernement russe d’ingérence dans la campagne présidentielle de 2016. Dimitri Simes, ex-directeur du « Center for the National Interest »  (l’intérêt national était celui de la Russie, pas celui des États-Unis, mais ce n’était pas précisé), ancien conseiller de la campagne de Trump en 2016, est poursuivi par la justice comme agent russe et blanchiment. Un million de dollars, une petite somme pour en Etat, une grande pour Dimitri.  Certains missiles valent bien plus cher. Un autre rapport officiel, britannique, a révélé le rôle des Russes dans la campagne du Brexit.

Aujourd’hui, les techniques évoluent. Raconter des histoires, mêler le vrai, le vraisemblable et le faux, espérer un processus viral, sur Facebook, Instagram, TikTok, travail de base. Cibler des groupes sous tension, appuyer sur les conflits, voilà un marketing plus précis. Lors des manifestations d’agriculteurs, le hashtag avait été choisi par les officines russes. Beaucoup de publications d’« agriculteurs en colère » émanaient de fermes à troll, et non d’étables.

Pour le point d’appui, le ciblage est déterminant. La Russie a une longue histoire d’amour avec les « idiots utiles ».

La multiplication des fake news, au-delà des effets immédiats, a un effet à long terme, elle sape la confiance dans toute information. Le but est de viser un rejet toujours plus profond du « système ». Le levier d’Archimède n’était pas un bâton, mais un système de poulies, avec effets multiplicateurs.

Pour le point d’appui, le ciblage est déterminant. La Russie a une longue histoire d’amour avec les « idiots utiles », comme la Chine. L’université, les médias, les associations, partis et « Think tank », ONG à caractère humanitaire offrent un double bénéfice : d’une part relayer les messages; d’autre part, décrédibiliser les institutions qui les accueillent.

Des réseaux sont en place. Le Parlement européen, comme le Parlement français, abrite, notamment chez LFI et au RN, mais pas seulement, de sincères admirateurs de Poutine. Le Cac 40 aussi, avec les investissements réalisés en Russie, compte bien des avocats pour la Russie. La stratégie russe fonctionne.

À New York, Londres, Berlin, Dubaï, Paris, Bruxelles, sont les réseaux, rumeurs et jalousies. Souvent des jeux à somme nulle, toute action engendre réaction. Et si, plutôt que viser Munich, cibler la Thuringe ? Ce Land de l’ancienne RDA a porté en tête des élections régionales l’AFD, à plus de 30%. Troisième, la dissidente de Die Linke, Sahra Wagenknecht, fondatrice d’une gauche anti-immigrés, anticapitaliste, anti Europe.

Et si, plutôt que viser Munich, cibler la Thuringe ?

Comme dans la Saxe voisine, les partis traditionnels fondent. Seule la CDU résiste. Les observateurs expliquent le vote par les différences de niveau de vie, de chômage, de revenus, entre l’ancienne Allemagne de l’Est et celle de l’Ouest. L’augmentation de la richesse des Ostis depuis la réunification passe sous silence. L’extrême droite et l’extrême gauche surfent sur le discours anti-immigrés, alors que c’est dans l’ex Allemagne de l’Est qu’il y a le moins d’immigrés de toute l’Allemagne. Le vote ne repose pas sur des constats objectifs, richesse, immigration, mais sur l’idée que l’on s’en fait, sur la propagande qui multiplie les messages.

La Thuringe et la Saxe sont des cibles de choix. Ces maillons faibles ont un effet de levier maximal sur la politique allemande, notamment sur l’aide à l’Ukraine.

L’effet levier est plus clair encore aux Etats-Unis, les fameux Swing states. Le Nevada a été gagné en 2016 et en 2020 par environ 30.000 voix. Le Michigan par 11.000. Le Wisconsin oscille autour de 20.000. 0.6% y donnent 10 grands électeurs. En Géorgie, la différence était de 0.2% pour 16 grands électeurs. La Pennsylvanie, 19 grands électeurs, s’est jouée à 0.7% et 1.2%. L’élection la plus importante du monde se joue à quelques voix dans quelques états cibles. Elle s’est aussi jouée à une oreille.

Deux agents iraniens ont été arrêtés à Paris.

L’idéal, ce sont des tireurs d’élite. Deux agents iraniens ont été arrêtés à Paris. Ils projetaient des assassinats, en France et en Allemagne, de « Juifs ». Selon la DGSI, « à partir de 2015, l’Iran a renoué avec des assassinats ciblés ». « Frapper des personnes cibles civiles » pour « accroître le sentiment d’insécurité ».

Massoud Pezechkian ©AFP

Israël ne fait-il pas de même en assassinat avec un drone chef du Hamas ? Ou Qassem Soleimani, le chef des Gardiens de la révolution ? Les Etats-Unis comme la France ont eu recours à des assassinats ciblés. L’Iran fait appel à des Narcos pour engager ses tireurs. Cela ne manque pas, pas même en Iran. La cour suprême israélienne a validé ces actions, considérant que le droit de la guerre ne les interdisait pas. Tant que le dommage causé aux civils ne dépassait pas un certain ratio. Pour épargner la population civile, mieux vaut les tireurs d’élite que les bombes.

Il y a des terroristes qui devraient craindre des assassinats ciblés, fussent-ils chefs d’État.

Le ciblage est plus facile chez les tyranneaux que dans les démocraties. Celles-ci peuvent se défendre ; non seulement en répondant aux manipulations, par des opérations semblables à celles qu’elles subissent, mais par d’autres opérations, celles de tireurs d’élites, intellectuels ou non, qui par un effet levier, pourraient abréger bien des souffrances, éviter bien des missiles sur les écoles et les hôpitaux. C’est ce qu’a pensé Poutine en abattant Prigogine. Personne en Russie pour venger un tel héros ?  Si l’on se permet des assassinats ciblés contre des terroristes, il y a des terroristes qui devraient craindre des assassinats ciblés, fussent-ils chefs d’État.

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du Lesfrancais.press et de l’app bancaire France Pay

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