Pourquoi les Français de l’étranger ont-ils voté si différemment des Français de l’Hexagone ? Les Français de l’étranger seraient-ils mieux informés sur le monde que les Français de l’hexagone ? Sans aucun doute (surtout s’ils lisent lesfrancais.press !) : ils ont une connaissance pratique du monde tel qu’il est. Or le monde vit une révolution permanente, que les Hexagonaux assimilent au désordre. Ce que traduit le résultat des élections européennes en France, c’est un refus du monde.
C’est ce décalage, plus encore que les idéologies recuites, qui est un danger.
Chacun s’appuie sur son « ennemi », rêve d’en découdre, y compris dans la rue.
Communisme et fascismes sont morts, il serait simpliste de voir dans les extrêmes actuels les massacreurs d’hier, même si les parfums sont les mêmes : sinon, pourquoi cette flambée antisémite, cette fois à l’extrême gauche, cette focalisation contre l’« étranger », à l’extrême droite ? Chacun s’appuie sur son « ennemi », rêve d’en découdre, y compris dans la rue. Querelles sans fin, en fait, inactuelles. Les Jeux Olympiques pourraient être un dangereux jeu de quilles.
La vraie querelle est ailleurs, elle traverse tous les pays. La révolution en cours, énième révolution « capitaliste », n’est ni de droite, ni de gauche, mais elle provoque d’extrêmes tensions. Elle frappe toute production, création, organisation, institution, représentations, échanges, liens sociaux, finances, hiérarchies, savoirs, informations, images. Elle effraie. Le bouleversement du monde n’est plus la querelle des anciens et des modernes, c’est une déferlante.
L’image a supplanté l’écrit, les images, recréées par l’IA, ont tué la crédibilité de toute image, de toute information. Les fake news sapent la confiance dans la science, les doctrines complotistes pullulent. En moins d’un an, 1000 sites d’informations ont été créés par l’IA: 16 d’information locale dans les « swing states » qui vont décider de l’élection présidentielle américaine. Une information sans éditeur, sans journaliste, avec des robots, mais un commanditaire, russe… 16 sites robots ont été créés en France ces derniers mois.
Le choc violent de la révolution mondiale provoque des réactions paniques. Chacun protège son identité, en fait, sa peur.
Face à ce dérèglement du monde, les populations se barricadent. Les Musulmans dénoncent l’Occident et ses mœurs décadentes. L’Afrique libérée du « néocolonialisme », se vend à la Chine, s’ouvre aux mercenaires, ranime les vieilles guerres : 120 millions de déplacés dans le monde, essentiellement en Afrique, à cause des conflits. Ce n’est pas le néocolonialisme mais le retrait, le désintérêt de l’Occident qui favorise ces guerres. Désintérêt parce que la richesse n’est plus dans le contrôle des territoires: La richesse, pour le meilleur et pour le pire, est immatérielle.
Le choc violent de la révolution mondiale provoque des réactions paniques. Les Américains se divisent, se maudissent, se barricadent : un mur avec le Mexique, des taxes contre la Chine. Les Européens les imitent : des murs et des taxes. Les Russes, « encerclés » (difficile d’encercler le plus vaste pays du monde …) attaquent, en Ukraine, en Afrique, en Géorgie, en Syrie, au Liban. Chacun protège son identité, en fait, sa peur.
De peurs, certaines sont légitimes. Le nombre de conflits où un Etat est un belligérant est le plus élevé dans le monde depuis 1945. Curieusement, c’est à ce moment-là que les Français de l’hexagone envoient au Parlement européen une majorité de députés qui ont toujours refusé les alliances, celles de l’OTAN ou de l’UE. C’est bien le moment de tourner le dos à 70 ans de continuité dans les alliances de la France ! Certains députés français à Bruxelles sont moins pro français que pro Poutine ou pro Hamas, les deux étant alliés… Et les élections législatives pourraient conforter cet isolement français. Poutine et Khameinei rigolent.
Certains députés français à Bruxelles sont moins pro français que pro Poutine ou pro Hamas, les deux étant alliés.
90 Pays, 50 chefs d’Etat et de gouvernement ont participé à la Conférence sur la paix en Ukraine organisée par la Suisse. De nombreux pays asiatiques sont venus, moins à cause de l’Ukraine qu’en raison de la méfiance qu’inspire la Chine. Les manœuvres militaires chinoises, dès l’élection du nouveau Président taïwanais, ont inquiété tous les pays voisins. Contre la Russie, le G7 a décidé de nouvelles sanctions, qui touchent enfin cette fois les intermédiaires turcs, chinois…
Contre la Chine, la Commission européenne a augmenté les droits de douane sur les voitures dans une fourchette de 28 à 47%. Les Etats-Unis ont porté les droits de douane sur les produits chinois à 100%. L’Inde entre 70 et 100%. La Turquie à 50%. Le Brésil entre 18 et 35%. Ces décisions répondent moins à des règles économiques (comme en témoigne la réaction négative des constructeurs allemands) que politiques : Signifier à la Chine que son attitude n’est pas considérée comme amicale, notamment dans l’aide apportée à la Russie.
D’autre part, les tensions mondiales alimentent un néonationalisme que veulent capter les gouvernements : le déterminant fondamental de toute politique étrangère est la politique intérieure.
L’Europe est au centre de la bataille. Elle n’est pas une puissance, elle est incontournable; riche et faible à la fois.
Et la France est au cœur de l’Europe. La France est tiraillée, entre un Front national qui domine la droite et un Front populaire dominé par l’extrême gauche. Au nom de la défense des immigrés, elle diffuse les thèses des pires tortionnaires. Elle agite le spectre de l’extrême droite au pouvoir, pour mieux y accéder. Mais elle le renforce par ses excès, le banalise en franchissant la barrière de l’antisémitisme. Si la gauche « tradi » s’allie avec les antisémites de l’extrême gauche, quel interdit moral pèserait encore sur les « héritiers de Vichy » ? Les réactions paniques face au désordre du monde ajoutent au désordre.
Cinq ans de stabilité à Bruxelles, dans le désordre du monde, c’est important. À moins que cela ne vole en éclat, à cause de la France.
Malgré ces peurs réactionnaires, les Européens ont envoyé à Bruxelles une majorité stable. Cinq ans de stabilité à Bruxelles, dans le désordre du monde, c’est important.
À moins que cela ne vole en éclat, à cause de la France.
Trois ensembles, plus ou moins fissurés, se présentent pour les prochaines élections législatives. Un Front national dont la racine fondamentale reste la xénophobie; un Front populaire gangrené par l’antisémitisme au nom de la révolution anticapitaliste, enfin un « arc républicain » morcelé, affaibli par un Président dont le génie est plus celui de l’autodissolution que de l’action.
L’irréalisme domine. Depuis trente ans, les Français refusent le monde tel qu’il est. Se moquent des déficits, attendent tout de l’Etat, réclament des lois nouvelles à chaque fait divers et se plaignent de l’avalanche de normes. Ils méprisent systématiquement leurs dirigeants, bien incapables de tenir des promesses intenables, mais plébiscitent ceux qui en font de plus en plus irréalistes.
Qui veut jouer avec le feu ? Quand le Prince n’est pas sage, le peuple doit l’être.
Si la France devenait plus instable, déchirée entre des extrêmes ivres de démagogie, exaltés par le culte de la radicalité, de rhétorique « antisystème », alors le système pourrait bien se casser. Ce ne serait pas une bonne nouvelle, ni pour la France, ni pour l’Europe, ni pour le monde. Car l’Europe est un facteur d’équilibre dans le monde. Et la France un des deux piliers de l’Europe. Qui veut jouer avec le feu ? Quand le Prince n’est pas sage, le peuple doit l’être.
Les Français de l’étranger paraissent bien lucides, par rapport à ceux de l’hexagone. S’ils pouvaient être mieux entendus !
Laurent Dominati
a. Ambassadeur de France
a. Député de Paris
Président de la société editrice du site Lesfrancais.press
