Suppression de l’AME, restriction des visas de travail… Au Sénat, la « loi immigration » se durcit

Suppression de l’AME, restriction des visas de travail… Au Sénat, la « loi immigration » se durcit

Le projet de loi sur l’immigration, débattu en hémicycle au Sénat tout au long de la semaine dernière, a été adopté mardi (14 novembre) à une très large majorité. Les dispositifs clefs, tels que la régularisation des travailleurs illégaux, le regroupement familial ou encore les conditions pour bénéficier d’aides sociales non-contributives, ont tous été largement durcis.

Le projet de loi initial, fort de 27 articles, devait notamment rehausser les prérequis nécessaires pour s’installer sur le territoire, en imposant un niveau minimal en français. Tous les étrangers qui demandent une carte de séjour devraient aussi s’engager à respecter les principes de la République — un refus pourrait marquer le non-octroi, ou le non-renouvellement d’une carte.

Le projet le projet de loi visait aussi à « faciliter l’éloignement des étrangers qui représentent une menace grave pour l’ordre public » et renforcer l’arsenal policier pour combattre les filières de passeurs, notamment en mer Méditerranée.

Enfin, un nouveau dispositif créait une carte de séjour d’un an dédiée au « travail dans des métiers en tension ». Tout travailleur irrégulier embauché officieusement dans des secteurs économiques en tension, ou vivant dans une « zone géographique en tension », pouvait, selon le texte initial, bénéficier de cette carte de manière automatique.

loi immigration
L’automaticité des visas de travail dans les secteurs en tension a été supprimée, pour créer à la place un dispositif d’octroi de visas « exceptionnel », à la discrétion de chaque préfet. L’enjeu, affirme la majorité sénatoriale conservatrice, est avant tout d’éviter un « appel d’air » - qui suggère que l’Etat est si généreux vis-à-vis des migrants qu’il les attire vers la France. [Shutterstock/robertindiana]

« Incapacité des pouvoirs publics »

Mais dès les premières heures de débat au Sénat, le texte a pris une tout autre tournure, avec un renforcement net des dispositifs régaliens et une restriction du champ d’application de l’octroi de permis de travail – et ce, avec le soutien du ministère de l’intérieur Gérald Darmanin.

L’automaticité des visas de travail dans les secteurs en tension a été supprimée, pour créer à la place un dispositif d’octroi de visas « exceptionnel », à la discrétion de chaque préfet. L’enjeu, affirme la majorité sénatoriale conservatrice, est avant tout d’éviter un « appel d’air » – qui suggère que l’Etat est si généreux vis-à-vis des migrants qu’il les attire vers la France.

Jean-Noël Buffet, sénateur Les Républicains et tête de file sur le sujet, a déploré « l’incapacité très grande des pouvoirs publics de réagir face à l’intensification des flux [migratoires] », affirmant que la cause d’une telle situation se situait dans « l’absence de vision » sur la politique migratoire, « sans laquelle il n’aura pas d’efficacité ».

Selon lui, la « régularisation massive et automatique » de travailleurs illégaux n’est pas souhaitable : « pour l’immigration illégale, c’est tolérance zéro », a-t-il martelé.

Une analyse que rejette le sénateur communiste Ian Brossat, pour qui la distribution de visas de travail automatique pour des migrants illégaux qui travaillent est une mesure de « pragmatisme » alors que les pénuries de main-d’œuvre explosent dans le pays.

En outre, les sénateurs ont supprimé l’Aide médicale de l’Etat (AME), qui permet aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier d’un accès aux soins. Une nécessité pour certains, une aberration pour d’autres : les médecins traiteront quoiqu’il arrive les cas urgents, seulement, sans l’AME, les pathologies seront plus lourdes et coûteront plus cher à la société.

3 500 médecins ont signé ce week-end une « déclaration de désobéissance », dans laquelle ils affirment qu’ils « continuer[ont] à soigner gratuitement les patients sans papiers selon leurs besoins, conformément au Serment d’Hippocrate qu[‘ils ont] prononcé ».

De manière plus générale, le texte adopté mardi oblige les immigrés légaux à résider dans le pays cinq ans avec de bénéficier d’allocations non-contributives, comme l’Aide personnalisé au logement (APL) – contre six mois actuellement. En outre, le regroupement familial a été restreint.

Réalité contrastée

Mais, malgré les inquiétudes que la France accueille trop d’immigrés, ou qu’elle est trop « généreuse », les chiffres montrent une réalité beaucoup plus contrastée

« La France a enregistré et accueilli 38 000 immigrants [ayant fui la Syrie] au cours des dix dernières années […] L’Allemagne, quant à elle, en a enregistré 770 000 [au cours de la même période] : c’est 25 fois plus que la France », soulignait François Héran, spécialiste des migrations, dans une tribune dans le journal Le Monde début octobre.

Même tendance pour les réfugiés afghans : si 11 % des demandes d’asile ont été déposées en France depuis l’été 2021, c’est bien peu comparé aux 34 % de l’Allemagne, affirme le chercheur.

En l’état, l’argument selon lequel la France crée un « appel d’air […] ne tient pas la route ».

Le député français Gérald Darmanin s’est félicité du résultat du vote, estimant qu’il permettrait au pays d’être « dur envers les immigrés délinquants, tout en facilitant la régularisation ».

Le texte arrive à l’Assemblée nationale à la fin du mois. Le gouvernement souhaite que le projet de loi soit formellement adopté d’ici la fin de l’année.

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