Ont-ils le droit ? Samedi matin, Guillaume Pepy, le patron de la SNCF a affirmé sur BFMTV que le droit de retrait exercé depuis vendredi par plusieurs conducteurs et contrôleurs était « illégitime ». Il a ajouté qu’en conséquence, la SNCF était en train d’étudier la voie judiciaire, « c’est-à-dire la façon dont nous allons aller devant la justice pour faire juger qu’il s’agit bien d’une grève et pas d’un droit de retrait ». Les scénarios sur l’issue d’une intervention de la justice divergent chez les experts du droit, interviewés par l’AFP
Comme il s’agit d’un conflit collectif de travail et d’une situation d’urgence, la SNCF peut saisir le tribunal de grande instance en référé. Le juge pourra alors statuer en quelques jours seulement. « Le juge des référés ne donnera pas raison aux salariés s’il considère qu’il y a eu un abus évident de leur part, or ici l’abus n’est pas du tout évident selon moi, lance Me Jean-Luc Wabant, avocat spécialisé en droit du travail au barreau de Lille et membre du Syndicat des avocats de France. Les syndicats ont pendant plusieurs années alerté sur les risques liés à la présence d’un seul conducteur dans les trains. Aujourd’hui le risque est devenu un danger puisqu’il y a eu un accident et que l’agent SNCF blessé a dû s’occuper seul des passagers. Que ce serait-il passé s’il avait été inconscient et avec des blessés graves ?»
«Le droit de retrait c’est du cas par cas»
« Le problème, c’est la généralisation, pointe toutefois Me Stéphane Martiano, avocat spécialiste en droit du travail au barreau de Paris. Par exemple, si un chauffeur de bus se fait agresser, lui et les autres agents de la ligne peuvent exercer un droit de retrait en expliquant ne pas se sentir en sécurité sur ce trajet précis, mais tous les chauffeurs de bus de France ne vont pas faire de même. Le droit de retrait c’est du cas par cas. Il peut être collectif, mais doit être localisé. De plus ici, le danger n’est pas imminent, mais théorique puisque basé sur l’éventualité d’un accident. Or pour exercer son droit de retrait, il faut que le danger soit grave et imminent.»
Dans le cas où la justice donnerait raison à la direction de la SNCF en requalifiant le droit de retrait en droit de grève, plusieurs conséquences s’ensuivraient. « Les salariés ne seront pas payés pour les jours où ils ne seront pas venus travailler, tandis qu’ils sont censés l’être lorsqu’il s’agit d’un droit de retrait, détaille Jean-Luc Wabant. En revanche il y a très peu de risques qu’ils soient poursuivis individuellement pour absence injustifiée ou abandon de poste, ce qui peut entraîner un licenciement pour faute grave. Cela engendrerait un conflit social beaucoup trop énorme, que la SNCF veut éviter. » Même prédiction du côté de Stéphane Martiano, pour qui il n’y aura pas de suites pénales car « nous ne sommes a priori pas dans une intention frauduleuse de la part des syndicats, mais plutôt dans un détournement pour échapper aux règles plus contraignantes du droit de grève ».
Les négociations préférables au tribunal
Ce dernier souligne cependant que des sanctions pourraient être appliquées aux salariés et syndicats s’ils ne se pliaient pas à la décision de justice : « Le juge pourrait ordonner la reprise immédiate du travail sous astreinte. Pour chaque nouveau jour où ils appelleraient à l’arrêt du travail, les syndicats devront verser une somme fixée par le juge à la SNCF. Peut-être même payer des dommages et intérêts s’il estime qu’il y a un préjudice. »
Si Jean-Luc Wabant pense que la justice déboutera la SNCF et que Stéphane Martiano s’attend au contraire à ce qu’elle lui donne raison, les deux avocats estiment qu’il serait préférable de régler le conflit par des négociations que dans un tribunal. Si le juge considère l’affaire trop complexe pour être jugée en référé, il pourrait décider d’une assignation au fond. « Même en procédure accélérée et sous pression politique, il sera très compliqué de trouver une date avant au moins 15 jours », estime Me Wabant. Pas sûr que les usagers de la SNCF aient la patience d’attendre si longtemps.
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