Sécurité des salariés à l’étranger : Que faire en cas de crise ?

Sécurité des salariés à l’étranger : Que faire en cas de crise ?

De plus en plus de Français travaillent à l’étranger, parfois dans des contextes à hauts risques. Une tendance qui oblige les entreprises à revoir leurs politiques de prévention. Car au-delà du bon sens, la loi impose aux employeurs la sécurité des salariés à l’étranger. Que faire en cas de crise ? Et comment organiser une évacuation ? Décryptage.

Du Sahel à l’Asie centrale, en passant par certaines zones d’Amérique latine, les cartes du monde sont de plus en plus parsemées de points rouges. Pour les entreprises françaises qui envoient leurs collaborateurs à l’international, la donne a changé. La multiplication des menaces, les conflits armés, des instabilités politiques aux violences urbaines en passant par les catastrophes naturelles et épidémies, ne concerne plus seulement les missions diplomatiques ou humanitaires. Elle touche aussi les cadres du privé, les techniciens en déplacement, les expatriés en contrat local.

Face à cette réalité, la législation française ne transige pas. L’obligation de sécurité de l’employeur s’applique pleinement à l’étranger. Et ce, qu’il s’agisse d’un court déplacement professionnel ou d’une expatriation longue durée.

Le droit est formel : la sécurité, une exigence permanente

Le droit du travail français est clair : l’employeur a une obligation de sécurité de résultat vis-à-vis de ses salariés, y compris lorsque ceux-ci travaillent à l’étranger. L’article L. 4121-1 du Code du travail pose ce principe général :

« L’employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. »

Cette responsabilité est étendue par l’article L. 411-1 du Code de la sécurité sociale à tout accident survenant à l’occasion du travail, « quel qu’en soit le lieu ». Autrement dit, un accident survenant en mission à l’étranger peut être reconnu comme accident du travail, même s’il intervient en dehors du cadre strictement professionnel.

Ainsi, depuis une vingtaine d’années, la jurisprudence a progressivement étendu la responsabilité de l’employeur au-delà des murs de l’entreprise. En mission, le salarié est couvert en continu. Y compris dans les moments de vie courante, loin des réunions et des sites de production. Un arrêt de la Cour de cassation de 2001 a ainsi reconnu comme accident du travail la mort d’un salarié victime d’une hémorragie cérébrale… dans sa chambre d’hôtel, en Chine. Dans un autre arrêt de 2011, une salariée agressée en Côte d’Ivoire a obtenu gain de cause pour avoir alerté en vain son employeur sur la dégradation de la situation sécuritaire locale.

Ces cas ne sont pas isolés. Et rappellent que toute entreprise, quelle que soit sa taille, a le devoir de prévenir, d’informer et de protéger.

Informer en amont, agir pendant : une responsabilité continue

Dans les faits, les grandes entreprises ont souvent les moyens d’anticiper. Elles s’entourent de consultants sécurité, souscrivent à des services d’évacuation, mettent en place des procédures. Mais trop souvent, les PME – qui constituent pourtant l’essentiel du tissu économique français – se contentent d’une approche minimaliste. Or, la loi ne distingue pas. L’obligation de sécurité est la même pour tous.

Avant le départ, le salarié doit être informé de manière complète sur les risques du pays de destination : insécurité, instabilité politique, climat sanitaire, accès aux soins, mais aussi règles culturelles à respecter pour éviter les malentendus dangereux. L’information ne peut être laissée à la charge du salarié lui-même. Elle doit lui être transmise par l’employeur, de façon proactive. Il est également fortement recommandé que le salarié s’enregistre sur le dispositif fil d’Ariane, géré par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, afin de recevoir en temps réel les alertes de sécurité émanant des autorités françaises.

Mais l’information ne suffit pas. Encore faut-il mettre en œuvre des moyens concrets. Cela implique de planifier les trajets, de choisir les hébergements avec discernement, de restreindre les déplacements en cas de besoin, et de prévoir un appui logistique en cas de dégradation rapide de la situation. Tout au long de la mission, les consignes doivent pouvoir être ajustées à la réalité du terrain

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L’évacuation : une mesure extrême, mais préparée

Lorsqu’une crise éclate, coup d’État, attentat ou catastrophe naturelle par exemple, le temps devient un facteur clé. Or, rares sont les entreprises qui disposent d’un plan d’évacuation prêt à être activé. Pourtant, le ministère des Affaires étrangères met à disposition des consignes claires pour les Français à l’étranger, qu’ils soient en mission ou résidents. Ces recommandations, longtemps cantonnées aux cercles diplomatiques, mériteraient d’être connues et appliquées par le monde de l’entreprise.

En cas de menace directe, une évacuation peut être déclenchée par les services diplomatiques français. Elle commence par une phase de regroupement, au sein de points identifiés à l’avance. Cette décision appartient à l’ambassadeur ou à l’officier de sécurité. Ni les salariés, ni les employeurs ne peuvent décider seuls d’un départ coordonné.

Il est donc important que les entreprises intègrent ce processus dans leurs propres procédures. Cela signifie aussi que les salariés doivent savoir à qui s’adresser, quels documents emporter, quels moyens de communication utiliser. Un kit d’urgence, préparé en amont, peut faire la différence entre panique et efficacité. Le ministère recommande d’y inclure les papiers d’identité, une réserve d’eau et de nourriture, des médicaments, une lampe, une radio portable, de l’argent liquide et une batterie externe. En cas d’évacuation aérienne, les consignes limitent souvent le poids des bagages à 10 kilos.

Quand le risque devient professionnel

La sécurité à l’étranger ne relève plus de l’imprévisible. Elle fait désormais partie intégrante de la gestion des risques professionnels. À ce titre, les missions à l’étranger doivent être inscrites dans le Document unique d’évaluation des risques (DUER). Négliger cet aspect expose l’entreprise à des poursuites. Et la jurisprudence montre que les juges n’hésitent pas à sanctionner les manquements, y compris lorsque l’accident n’est pas directement lié à une faute volontaire de l’employeur.

La responsabilité ne s’arrête pas à la frontière. Dans un monde globalisé, l’employeur est tenu d’assurer la continuité de la protection, quel que soit le lieu d’activité de son salarié. Et cela vaut aussi pour les sous-traitants et prestataires envoyés à l’étranger dans le cadre d’un contrat commercial. La chaîne de sécurité doit être pensée à l’échelle internationale.

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Anticiper, c’est protéger

À l’heure où les tensions géopolitiques et les crises humanitaires se multiplient, miser sur la prévention est aussi un gage de pérennité économique. Protéger ses salariés, c’est protéger son image, son activité, et éviter les ruptures brutales de contrat. C’est aussi envoyer un signal fort à ses partenaires : celui d’un employeur responsable, capable d’anticiper plutôt que de subir.

Le monde est instable. Mais l’impréparation, elle, n’a rien d’inévitable.

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