Dans la foulée de l’invasion de l’Ukraine le 24 février 2022 par la Russie, les pays occidentaux ont décidé de durcir les sanctions contre cette dernière, dans l’objectif de peser sur son activité économique. Les gouvernements de l’OCDE espéraient un effondrement économique rapide de la Russie. Deux ans plus tard, cet effondrement se fait toujours attendre. Après une récession en 2022, l’économie russe affiche une croissance assez forte, de 3,6 % en 2023, portée par l’effort de guerre. Les embargos ont rarement des effets immédiats, d’autant plus que les États disposent de moyens croissants pour les contourner. Néanmoins, les sanctions commencent à produire leurs effets. La Russie éprouve de plus en plus de difficulté à financer son effort de guerre.
La Russie confrontée à l’inflation et à des taux d’intérêt élevés
Alors que de nombreuses banques centrales réduisent leurs taux d’intérêt, la Banque centrale de Russie est contrainte de les augmenter pour lutter contre l’inflation. En novembre 2024, les taux directeurs ont atteint 21 %, un record depuis vingt ans, et pourraient grimper à 23 % d’ici la fin de l’année. Officiellement, l’inflation est de 9 % en Russie mais, dans la réalité, elle pourrait atteindre 20 % pour un panier de consommation courant.
Cette inflation s’explique par la hausse des prix des produits importés, la pénurie de main-d’œuvre et l’effort de guerre qui mobilise une grande partie de l’économie.
Un effort de guerre de plus en plus coûteux
La Russie consacre une part croissante de ses ressources à l’effort de guerre. Le projet de budget pour 2025, présenté en septembre dernier, prévoit une augmentation de plus de 25 % des dépenses de défense. Au total, les dépenses annuelles consacrées à la défense et à la sécurité (incluant les services de renseignement) devraient atteindre 17 000 milliards de roubles (170 milliards de dollars), soit plus de 40 % des dépenses publiques ou 8 % du PIB. Les seules dépenses de défense représenteront 6 % du revenu national russe, le plus haut niveau depuis la guerre froide.
Ce niveau de dépenses militaires est fréquent pour un État en guerre. Par exemple, les États-Unis consacraient 8 à 10 % de leur PIB à l’armée pendant la guerre du Vietnam, et durant la Seconde Guerre mondiale, les dépenses militaires atteignaient entre 40 et 60 % du PIB. Cependant, à l’époque, les États maintenaient des taux d’intérêt bas. Dans les années 1940, le Royaume-Uni avait mené une « guerre des 3 % », visant à maintenir les taux d’intérêt autour de ce niveau, et la Réserve fédérale américaine avait stabilisé les taux à 2,5 %. En revanche, en Russie, le rendement de la dette souveraine à dix ans est passé de 6 % avant la guerre à 16 % aujourd’hui.
De la pénurie de main-d’œuvre au travail forcé
La Russie est confrontée à une pénurie de soldats et de travailleurs dans ses entreprises. Le vieillissement démographique affecte gravement son économie. Les autorités ont été contraintes de mobiliser les jeunes et les prisonniers pour renforcer les troupes sur le front ukrainien. Elles ont également sollicité l’aide de l’armée nord-coréenne.
A 2,4 %, le taux de chômage, reflète une économie en surchauffe. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Alliés avaient freiné l’inflation en augmentant les impôts, une mesure qui avait le double avantage de limiter la consommation et de financer l’effort de guerre. Vladimir Poutine, lui, adopte une stratégie inverse en augmentant les prestations sociales pour préserver sa popularité.
La dépréciation du rouble, une source d’inflation
Le président russe doit également éviter une forte dépréciation du rouble pour contenir les tensions inflationnistes. Pendant la Seconde Guerre mondiale, ni le Royaume-Uni ni les États-Unis n’avaient à se préoccuper de la valeur de leur monnaie. Le dollar bénéficiait de son statut de valeur refuge, et le programme américain Prêt-Bail fournissait au Royaume-Uni les équipements militaires et les ressources nécessaires. Aujourd’hui, la Russie ne dispose pas de telles facilités. Bien que sa balance des paiements courants soit excédentaire grâce aux exportations de pétrole et de gaz, le pays n’a plus accès au système financier mondial. Les importateurs refusent d’être payés en roubles, tandis que les entreprises russes ne peuvent régler leurs factures en dollars. Elles doivent donc utiliser d’autres devises, avec des surcoûts importants.
La Chine est devenue le principal partenaire commercial de la Russie, assurant un tiers de ses importations. Plus de 90 % des composants microélectroniques utilisés dans les drones, missiles et chars proviennent de Chine, directement ou indirectement. Cependant, ce soutien n’est pas sans coût : la valeur du rouble par rapport au yuan a baissé de plus de 7 % en 2024, alimentant l’inflation.
Les limites du « quoi qu’il en coûte »
Jusqu’à récemment, le gouvernement russe avait protégé l’économie de la hausse des taux d’intérêt en adoptant une politique de « quoi qu’il en coûte ». Divers programmes permettaient aux ménages de suspendre le paiement de leurs dettes et aux entreprises d’emprunter à des taux subventionnés, l’État compensant les pertes des banques. Cependant, face à l’explosion des coûts de ces mesures, le gouvernement a commencé à en limiter l’accès. Par exemple, le programme de subventions hypothécaires, qui permettait d’emprunter à un taux de seulement 8 %, a pris fin le 1ᵉʳ juillet. Le mois suivant, le volume des prêts hypothécaires a chuté de moitié. Les faillites d’entreprises ont augmenté de 20 % cette année, et l’Union russe des industriels et entrepreneurs a annoncé la suspension des plans d’investissement pour 2025 en raison des coûts d’emprunt élevés.
Le FMI prévoit une forte décélération de la croissance économique russe à 1,3 % en 2025, et même la VEB, banque publique de développement, n’anticipe qu’une croissance de 2 %. La combinaison d’une réduction des investissements et d’une pénurie de main-d’œuvre pèse de plus en plus lourdement sur l’activité. Conduire une guerre avec des taux d’intérêt à 23 % est une tâche bien plus ardue qu’avec des taux à 3 %.
L’économie russe, malgré des adaptations ingénieuses, montre des signes croissants de fragilité. L’accumulation des pertes humaines, estimées entre 100 000 et 200 000 morts côté russe, selon certaines sources, pourrait également saper le soutien populaire au conflit. L’épuisement économique et moral pourrait conduire la Russie comme l’Ukraine à engager des négociation. En cette fin du mois de décembre, Volodymyr Zelensky a évoqué cette possibilité.
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