Retraites : l’émergence d’une jeunesse qui veut être écoutée

Retraites : l’émergence d’une jeunesse qui veut être écoutée

Les jeunes Français sont de plus en plus nombreux à remplir les rues de Paris et du pays. La réforme des retraites est certes un déclencheur de leur mobilisation, mais elle va plus loin, des réformes jugées « anti-jeunes » du gouvernement à la soif d’un rapport nouveau à la démocratie.

La mobilisation sociale a, dans son ensemble, faibli par rapport aux journées de grève précédentes. Mais la tendance est inversée parmi les lycéens, les étudiants d’université et la jeunesse en général. Les renseignements territoriaux s’attendaient à un « doublement, voire triplement » de leur présence dans les rues mardi par rapport aux 30 000 qui avaient défilé lors de la grève du 23 mars — selon les chiffres desdits services.

Une des raisons est logistique, une partie des épreuves du bac se tenant le lundi 21 mars, ce qui empêchait une partie des lycéens de se mobiliser, explique le vice-président du syndicat étudiant La Voix lycéenne Ephram Strzalka-Beloeil.

Or il assure que la jeunesse est mobilisée depuis le début du mouvement — plusieurs formations syndicales lycéennes et universitaires font partie de l’intersyndicale, qui organise les manifestations les jours de grève. Cet engagement s’exprime d’abord en opposition à la réforme en elle-même, par « solidarité avec nos grands-parents et nos parents » et en raison de ses conséquences sur l’emploi des jeunes, car « si l’âge de départ en retraite est reculé, le marché du travail sera saturé », détaille M. Strzalka-Beloeil.

Des étudiantes de l’Ecole normale supérieure (ENS) manifestent contre la réforme des retraites, à Paris, le 28 mars dernier. [EPA-EFE/CHRISTOPHE PETIT TESSON]

La colère des jeunes

Mais les enjeux sont plus larges. Dans la même note, dévoilée par Le Parisien, les services de renseignement expliquaient cette tendance par « le sujet de la répression et des violences policières, largement repris par des élus et dans de nombreux médias, [qui] pourrait cristalliser la colère des jeunes ».

Et ils avaient vu juste : dans le cortège parisien, de nombreuses pancartes, discussions entre jeunes gens et slogans critiquaient la doctrine du maintien de l’ordre, jugée trop brutale.

Un sujet régulièrement évoqué par une jeune femme d’une vingtaine d’années, croisée par EURACTIV dans le cortège de la manifestation parisienne, qui diffusait des images de la manifestation en direct sur Twitch. Smartphone à la main, en direction des forces de l’ordre et des manifestants, elle a détaillé aux dizaines de personnes connectées, pendant deux heures, à la fois la manière dont se passait la manifestation et les raisons de sa participation à celle-ci.

Sa motivation dépasse largement le sujet de la réforme des retraites, la streameuse se référant régulièrement à la procédure parlementaire que le texte a suivie, précipitée par l’article 49.3 de la Constitution, qu’elle considère être « un passage en force » et « antidémocratique ». Les renseignements territoriaux avaient bien identifié cela : les jeunes, d’abord peu mobilisés, ont « finalement rejoint le mouvement le 23 mars, indignés par le recours à l’article 49.3 ».

Déni de démocratie

Le recours à cette procédure est « une déclaration de guerre, un déni de démocratie », lance Ephram Strzalka-Beloeil. Si « le 49.3 est un outil constitutionnel, la constitution n’a pas changé depuis plus de 50 ans », poursuit-il, considérant que cet outil « n’a plus lieu d’être dans une société qui veut évoluer ».

Cité à maintes reprises par la jeune femme en direct sur Twitch, le fait d’avoir voté pour le président Macron face à Marine Le Pen cristallise également des tensions. « On nous rappelle qu’on a voté pour lui, explique-t-elle à son auditoire, mais il doit tenir compte du contexte [Marine Le Pen au second tour] et du fait que 70 % de la population rejette cette réforme ».

Entre le mode d’élection du président — consistant, au second tour, à voter contre quelqu’un plutôt qu’à choisir un candidat — et les outils constitutionnels du gouvernement (dont l’article 49.3 justement), la jeune femme est convaincue que les institutions françaises « ne conviennent plus » à la jeunesse de France — ou du moins, celle qui était mobilisée mardi.

Plus largement, le vice-président de La Voix lycéenne estime que « la réforme des retraites n’est que la goutte d’eau qui fait déborder le vase ». Il reproche au gouvernement de mener des « réformes anti-jeunes [réforme du lycée, de Parcoursup, celle du lycée professionnel à venir] et antisociales alors que nous voulons un monde meilleur, un monde plus écologique où on respecte les droits sociaux des Français ».

« Quand la jeunesse se mobilise, le gouvernement recule », espère-t-il, citant le report de la généralisation du Service national universel, dont l’obligatoriété devait être annoncée très prochainement.

Enfin, veut-il croire, « la jeunesse a une force de proposition, mais pas seulement dans la protestation et dans le blocage constant ». Or selon lui, aujourd’hui, « la jeunesse n’est pas écoutée ».

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