Retraites : le gouvernement face au casse-tête des inégalités

Une enquête du Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET) montre que l’individualisation des parcours promue par la réforme des retraites risque de renforcer les inégalités au moment de la retraite. Un article de notre partenaire, Euractiv.

Alors que les débats parlementaires s’enlisent à l’Assemblée nationale, un collectif d’économistes rattaché au Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET) vient de rendre publique une étude éclairante sur les possibles répercussions de la réforme des retraites. Le gouvernement a promis un système universel par points destiné à remplacer le système actuel jugé « peu lisible, inégalitaire et dont l’avenir pose question », d’après l’étude d’impact qui accompagne le projet de loi. « Chaque euro cotisé [ouvre] les mêmes droits, quel que soit le statut du travailleur et dès la première heure travaillée » a promis l’exécutif.

En outre, cette universalité reposerait sur le calcul du montant de la pension étendu à l’ensemble de la vie active et non plus sur les 25 dernières années pour les carrières du privé. Pour l’équipe de chercheurs, ce principe d’équité est loin d’être assuré. Si de nombreuses incertitudes persistent notamment sur le calcul du point et le coût de la réforme, les éléments présentés dans l’épaisse étude d’impact et le projet de loi laissent les économistes perplexes.

« Loin de se caractériser par un principe d’ » universalité », le nouveau mode de calcul alimente in fine une logique d’individualisation des politiques sociales : en effet, il repose sur l’idée que la pension doit refléter au plus près les contributions individuelles tout au long de la carrière, au risque de reproduire de fait les inégalités socioprofessionnelles qui structurent le marché du travail ».

Un risque de reproduction des inégalités

Dans leurs travaux, les économistes expliquent que les travailleurs précaires devraient être particulièrement touchés par la réforme. Les chômeurs, les personnes en reconversion ou sur des périodes de transition, pourraient être confrontés à une diminution de leurs pensions. « Certaines dispositions qui permettaient de valider des trimestres pendant les périodes d’inscription comme demandeur.ses d’emploi sont supprimées et le revenu sur lequel sont assises les cotisations retraite n’est plus l’ancien salaire — qui servait de base au calcul de l’allocation chômage — mais le montant de l’indemnisation ou de l’allocation perçue pendant les périodes de chômage (réduite à zéro pour les chômeur. ses de longue durée) » soulignent les auteurs. Le futur système actuellement débattu à l’assemblée pourrait donc pénaliser les profils les plus fragiles, or une récente enquête de l’Insee montre que le système actuel des retraites limite la pauvreté des nouveaux retraités et tend à réduire les écarts de niveau de vie.

Un risque de fracture entre les générations

Les jeunes actifs ont été en première ligne lors de la grande crise de 2008 et la crise des dettes souveraines de la zone euro. Selon de récents chiffres de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), le taux de chômage des jeunes de moins de 25 ans au sens du BIT s’élevait à 20,8 % en 2018 contre 9,1 % pour toutes les autres catégories. Les jeunes les moins qualifiés ou déscolarisés très tôt sont particulièrement concernés par ce phénomène de chômage de masse. Chez les plus diplômés, l’insertion professionnelle s’est également durcie avec un accès à un emploi stable qui prend plus de temps.

Selon un bulletin de recherche du Cereq publié à l’automne 2019, 87 % des titulaires d’un master 2 obtenu en 2010 étaient en emploi stable 7 ans après la fin de leurs études contre 93 % de la génération 98. En moyenne, « 7 ans après la sortie du système scolaire, seule la moitié de la génération 2010 occupe une situation professionnelle stable, contre deux tiers de la génération 1998, rendant le cumul des points incertain de plus en plus longtemps » expliquent les économistes du CEET. La multiplication des contrats courts lors des premières embauches ces dernières années risque de pénaliser les générations les plus récentes dans le contexte de la nouvelle réforme.

La pénibilité, grande source d’inquiétude

Le sujet de la pénibilité est au centre des inquiétudes. Outre les écarts d’espérance de vie entre les différentes professions, les chercheurs indiquent que la réforme devrait prolonger les effets de la loi travail de 2016, qui a exclu quatre des dix critères de pénibilité fixés par une loi de 2010. Il s’agit de l’exposition aux agents chimiques dangereux, aux postures pénibles, aux manutentions de charges lourdes et aux vibrations mécaniques. L’exposition aux risques est loin de concerner toutes les catégories socioprofessionnelles. Ces risques se concentrent avant tout sur les ouvriers. « [Ils] représentent environ 20 % de la population active. On peut considérer que le futur système de retraite ne prendra que très partiellement en compte la pénibilité, et donc les enjeux de santé publique et d’égalité sociale qui lui sont liées : les ouvrier. e. s ont une espérance de vie en bonne santé inférieure de 10 ans à celle des cadres supérieurs. Ainsi, l’argument de l’“universalité” s’en trouve affaibli » résument les auteurs. De son côté, l’étude d’impact du gouvernement prévoit une extension du compte professionnel de prévention aux fonctionnaires et aux salariés des régimes spéciaux. « Ce sont 200 000 personnes supplémentaires qui pourront bénéficier de points dans le C2P », soulignent les auteurs de l’étude. Si la CFDT a souligné que c’était « une avancée », le recul de l’âge de départ à la retraite pour certaines professions pourrait accroître certaines disparités.

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