En 2024 la critique sera subjective ou ne sera pas. Car soyons honnêtes : qui peut imaginer être en capacité de lire les 459 livres publiés en cette rentrée littéraire ? Un insomniaque alignant les cafés serrés, forcément célibataire et retiré sur une île déserte avec un chat ventru pourrait peut-être réussir ce tour de force et donc publier un papier exhaustif sur la rentrée 2024 d’ici deux ou trois ans.
Mais soyons sérieux : pour vous livrer quelques conseils de lecture qui ne soient pas totalement insensés j’ai dû faire comme tout le monde. Je suis d’abord allé vers les auteurs que je connais et que j’ai lu, puis vers ceux que je ne connais pas mais que le bouche à oreille me donne envie de découvrir. Et puis j’ai pris également la peine d’écouter l’air du temps, la mélopée venue de la bulle médiatico germanopratine pour me pencher vers ces écrivains consacrés par les médias et dont on doit interroger parfois le succès au regard de la qualité de leurs textes.
De cette méthode gentiment empirique est ressorti le classement que je vous livre en assumant des coups de cœur pour les indispensables de la rentrée et des petits coups de griffe pour des écrivains plus dispensables.
Bien entendu lire un écrivain médiocre est toujours plus économique que de faire un tiercé et lire tout court surpasse un nombre incalculable d’activités humaines. Là n’est pas la question et j’éteins ici toute forme de polémique à venir. Lisez, lisez, lisez et peu importe si c’est de la BD ou du roman à l’eau de rose éventée !
Un incontournable : Russel Banks et son royaume enchanté
L’auteur américain a disparu voilà plus d’un an et ce roman est publié à titre posthume. On y retrouve l’écriture d’un des écrivains les plus doués de sa génération et qui possède une vision engagée de la littérature. Ses personnages sont généralement des antihéros confrontés à l’envers du rêve américain qui doivent lutter pour assurer leur survie et leur dignité face à un sort adverse. Dans ce « royaume enchanté » un vieil homme se rappelle de son enfance et adolescence en Floride après que ses parents aient décidé de rejoindre une communauté qui sous des aspects idylliques Initiaux va se révéler oppressive. Le culte de l’abstinence et la séparation des enfants de leur parent révèle la pudibonderie et la cruauté d’une Amérique qui héberge un nombre record de ces communautés religieuses généralement fanatisées. Le héros qui tombe amoureux et veut naturellement découvrir les plaisirs de la chair va vite se retrouver en butte à ces « shakers » ultra-conservateurs et intolérants. Un roman captivant qui pourra donner envie également de redécouvrir les meilleurs œuvres de Banks comme Américan Darling ou lointain souvenir de la peau.
Un ex-incontournable pour le coup décevant : Nicolas Mathieu et « le ciel ouvert »
Le prix Goncourt 2018 a un talent immense. Celui de nous émouvoir en analysant au passage l’état de la société. Il a réussi un livre magistral avec « leurs enfants après eux » que le jury de Drouant a légitimement salué voilà déjà 6 ans. Depuis il y a eu Connemara un roman qui connaissait des fulgurances dans ce registre de la sociologie littéraire et avec une géographie qui est toujours celle de l’est de la France où vit et exerce comme enseignant Nicolas Mathieu.
« Le ciel ouvert » est d’un autre tonneau. Recueil d’une sélection de ses posts Instagram, le livre est aussi une déclaration d’amour à une mystérieuse correspondante que l’auteur a fréquenté dans cette clandestinité qu’oblige souvent à vivre les histoires adultérines.
Le livre est donc fait de vignettes juxtaposées et il manque un fil conducteur plus net. La Province décrite par l’auteur révèle sa grisaille triste comme le sont les draps humides d’une histoire d’amour dont on sent qu’elle a tourné court en réalité.
Le livre pourra faire frissonner les aficionados de l’écrivain où les amateurs d’adultères dans des hôtels de troisième ordre. Pour les autres, passez votre chemin.
Une littérature qui retourne l’estomac : Aurelien Bellanger et les derniers jours du Parti socialiste
Le roman est paru au Seuil à la mi-août et son auteur a depuis son rond de serviette dans un nombre incalculable de médias. Ce roman à clé, qui met en scène des philosophes influents auprès du Parti socialiste de ces 25 dernières années, est inutilement méchant et cynique. Dans une vision ultra-complotiste du pouvoir, celui qui est Gremond dans le livre et qui était le professeur de science politique Laurent Bouvet dans la réalité, y est présenté comme un individu opportuniste et abject, tireur de ficelles et influenceur en coulisse, a l’image d’autres intellectuels croqués sans finesse dans le livre où on reconnaîtra des attaques contre Raphael Enthoven ou Philip Val. On sent en réalité une obsession chez l’auteur : celle de régler son compte au Printemps Republicain (PR) une formation politique dont Laurent Bouvet était un des fondateurs et qui n’est plus de ce monde hélas pour se défendre.
Gilles Clavreul, membre du PR, livre une lecture sans fard du roman : « le portrait de Laurent Bouvet est glauque mais la manière dont il portraiture ceux de Charlie, Philippe Val ou Richard Malka qui se réjouissent quand même le soir du 7 janvier de la mort et de l’assassinat de leurs copains, c’est complètement fou et complètement abject« .
Un roman à dimension diffamatoire pour un auteur à la plume fielleuse. Il n’est donc pas inutile de demander à être remboursé si par malheur vous l’avez acheté.
James Ellroy : un 17eme roman aussi profond que la nuit sombre de Los Angeles
L’auteur américain au style au scalpel possède une cohérence littéraire sans grand équivalent : ses 17 romans se situent tous dans une période comprise entre l’après deuxième guerre mondiale et les années 70 et ont généralement pour géographie la côte ouest des États Unis et Los Angeles plus exactement. Le dernier opus du maestro atrabilaire qui se surnomme lui-même « the Dog » nous plonge au cœur de la cité des anges quelques jours après la mort de Marilyn Monroe. L’enlèvement d’une actrice de série B va mettre le LAPD, la police locale, en transe et c’est en faisant appel à Freddy Otash, électron libre d’Hollywood, que l’enquête va enfin avancer.
Ce roman s’inscrit dans un cycle, celui du quintette de Los Angeles, débuté il y a plus de dix ans par l’auteur et qui en constitue le troisième tome.
Vous aimez la littérature sombre, les histoires qui savent tanguer entre le glamour et le sinistre, vous aimez le sexe et la violence en littérature, vous aimerez ce roman venimeux qui fait d’Hollywood un poison lent et enivrant.
Alice Zeniter et « frapper l’épopée » un roman frappant sur la Nouvelle Caledonie
On l’a découverte avec « l’art de perdre » qui avait été salué par le Goncourt des lycéens en 2017. Depuis l’auteure de 38 ans poursuit une écriture politique qui ici s’attaque à l’héritage colonial en Nouvelle Calédonie. Suite à une rupture amoureuse une professeure doit rentrer sur la grande île pour y retrouver un poste. Elle va être très vite confrontée à la disparition de deux lycéens et se plonger par la même dans la frange indépendantiste de l’île et découvrir l’envers du décor du passé colonial français.
Le roman a été salué largement par la critique et sa lecture révèle une écriture fluide et des réflexions historiques sur le colonialisme qui avaient déjà fait l’armature de l’art de perdre sur le terrain de l’ex Algérie Française. Le texte fait écho à l’actualité politique de l’île confrontée à une agitation violente. À lire pour suivre une voix qui compte dans le paysage littéraire français.
Caroline Fourest : après la révolution Mee Too une quête d’équilibre
Avec « le vertige Mee Too » la journaliste et universitaire nous livre un essai bilan sur le mouvement qui a constitué une véritable révolution pour la libération de la parole des femmes. Tout en assumant un féminisme de combat, la journaliste dénonce l’effet fourre-tout de cette lame de fond qui aura parfois mis dans le même sac des hommes maladroits en matière de séduction comme des prédateurs violents.
Le livre se veut un appel à la mesure, notamment pour le traitement médiatique de ces affaires souvent retentissantes quand elles touchent des personnalités connues.
Comme elle l’affirme clairement « si Metoo continue d’être pris au sérieux il ne faut pas qu’il tourne au ridicule« .
Fourest a l’art de soulever des sujets de société et de les traiter avec la singularité de ton qui lui appartient.
Un livre à mettre dans les mains de tous les hommes : et de toutes les femmes… en quête d’égalité et d’émancipation plus que de châtiments collectifs.
Sur ce, bonne lecture à toutes et tous !
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