Ce conseil d’administration était attendu. Ce 18 décembre, des décisions ont été prises grâce aux voix des représentants de l’administration et des ministères présents. Mais les critiques ont été nombreuses. L’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE) vivait dans l’expectative depuis 6 mois. C’est en effet en juillet dernier qu’avait été lancé officiellement un cycle de consultations par les diplomates en charge de la tutelle du réseau. L’objectif était de mettre sur pied de façon concertée des propositions financières pour faire face à un déficit qui se montait à 70 millions d’euros cet été. Mais ces mesures laissent un goût amer à de nombreux administrateurs de l’agence. Pour les familles et les syndicats le compte n’y est pas.
Une batterie de nouvelles contributions financières
Les 6 mois de consultation ont abouti à la création d’une nouvelle contribution financière pour deux catégories d’établissements, les établissements à gestion directe et les établissements conventionnés, et une nouvelle taxe pour les établissements partenaires qui rejoindront le réseau. La Direction générale de la mondialisation (DGM) du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères a donc accouché d’une batterie de mesures pour faire payer plus nettement les établissements qui emploient des fonctionnaires détachés dans le réseau AEFE.
« Augmenter les frais de scolarité dans la limite du supportable, supprimer des premiers emplois sans affaiblir l’établissement, négocier (…) pour faire avaler une pilule qui risque d’être amère. »
Après ce conseil d’administration tenu ce 18 décembre, les représentants des personnels comme les représentants des familles peuvent faire grise mine : les deux contributions devraient rapporter 40 millions d’euros environ la première année, et un peu moins du double la seconde. En effet, il est d’ores et déjà prévu une montée en puissance du taux. Cela devrait, sans doute, occasionner un impact négatif sur les équilibres budgétaires locaux, et entraîner des augmentations de frais de scolarité.
L’inquiétude légitime des parents et des personnels
La grogne monte déjà parmi les personnels du réseau qui estiment que ce sont eux qui vont devoir payer la facture des pensions. Début décembre de cette année, la dernière journée de grève nationale a été suivie dans le réseau. Selon les syndicats, le moral collectif est touché devant les incertitudes sur l’emploi. Quant aux familles elles s’apprêtent à subir de mauvaise grâce des hausses de frais qui sont déjà estimées en moyenne à plus de 400 euros par enfant et par an.
Les équipes de direction des établissements sont, de leur côté, à pied d’œuvre pour préparer des budgets 2026 qui risque de s’apparenter à des casse-têtes. Augmenter les frais de scolarité dans la limite du supportable, supprimer des premiers emplois sans affaiblir l’établissement, négocier avec les comités de gestion ou les représentants des familles pour faire avaler une pilule qui risque d’être amère.

Côté représentants des personnels, ces derniers ont déjà identifié une dizaine d’établissements fragiles notamment en Europe, une zone qui semble être dans le collimateur. En Espagne comme en Europe centrale, des établissements avec des réserves faibles ou inexistantes et qui possèdent plusieurs dizaines de fonctionnaires détachés risquent de se retrouver dans le rouge d’ici quelques mois. La nouvelle contribution destinée à résoudre le problème de la prise en charge des pensions va corriger le déficit de l’agence tout en créant des déséquilibres de gestion localement.
Les pensions, une bombe à retardement
Jusqu’à présent, chaque fois qu’un enseignant quittait l’Éducation nationale en France pour rejoindre un établissement français à l’étranger, c’était l’Agence qui devait assumer la part patronale de sa pension. Certes, des prélèvements étaient effectués sur les établissements pour compenser cette charge, mais ils restaient limités. Pour 2025, la contribution employeur est ainsi fixée à 74,28 % du traitement brut. Concrètement, verser 100 euros de salaire brut à un enseignant oblige cette année l’AEFE à ajouter 74,28 euros destinés au service des retraites de l’État. Une charge considérable, qui explique, à elle seule, près de 80 % du déficit actuel.
« La réforme de l’AEFE ne se limiterait pas à des mesures financières (…)
et de nouveaux changements pourraient toucher en profondeur l’organisation du réseau.»
À partir du 1er janvier 2026, pour les établissements à gestion directe devront verser 35 % du montant moyen de la pension AEFE, soit 12.163 euros pour un enseignant dans l’année à venir, puis 17.375 euros en 2027 (le taux étant passé à 50 %). Quand on sait qu’un établissement de taille moyenne compte entre 20 et 30 enseignants et encadrants fonctionnaires, la facture pourrait atteindre entre 400 et 500.000 euros d’ici deux ans pour ces établissements de milieu de gamme. Une charge budgétaire déjà très significative. Sans parler des géants du réseau qui eux ont parfois une centaine de fonctionnaires dans leurs rangs. Les personnels d’encadrement, personnels de direction et directeurs administratifs et financiers ou secrétaires généraux, sont aussi concernés par cette mesure. Aucune exception n’a été faite. Tout le monde contribuera au financement des pensions.

Or, les pensions sont une véritable bombe à retardement si on considère que le taux pratiqué par l’Etat (74,28 %) va probablement augmenter chaque année. Il a d’ailleurs doublé en une quinzaine d’années. Le financement en France repose sur un nombre toujours plus restreint d’actifs. L’assiette diminuant le taux appliqué s’envole. Le glissement vieillesse technicité (GVT) implique que les personnels avec de l’ancienneté coûtent également automatiquement plus chers d’année en année.
L’acte 1 de la réforme est financier, l’acte 2 pourrait concerner la gouvernance des établissements
Anne Grillo, qui a piloté l’exercice des consultations pour le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, a déjà annoncé que la réforme ne se limiterait pas à des mesures financières. Le travail de consultation se poursuivra donc l’année prochaine et de nouveaux changements pourraient toucher en profondeur l’organisation du réseau.
« Le ministère de l’Éducation nationale semble le grand absent de ces consultations alors qu’il fournit à l’AEFE près de 5000 personnels détachés »
Si la réforme a été menée par étapes jusqu’à présent, c’est sans doute pour ménager la sensibilité des familles et éviter de braquer les personnels. L’état des finances publiques ne permet en effet pas d’envisager une hausse des dotations de l’État. Entre 2023 et 2026, la dotation aura diminué d’environ soixante millions d’euros. Dans le projet de loi de finances actuel, elle s’élève à 391,6 millions d’euros, soit une baisse de 25 millions par rapport à l’an dernier. Par ailleurs, la direction du budget veille à ce que le déficit de l’Agence soit progressivement ramené à un niveau jugé acceptable. Effet de ciseau classique, la baisse des ressources doublée de l’augmentation des charges peut être génératrice de difficultés pérennes.
Réformer pour simplifier ?
Avec son architecture complexe (3 statuts d’établissements différents) et ses statuts d’emplois diversifiés (Expatriés, résidents, personnels de droit local), la tentation sera probablement de modifier les statuts pour les simplifier et de revoir aussi la cartographie mondiale du réseau pour fermer des postes de fonctionnaires et les remplacer par des emplois de droit local.
Le nombre d’établissements partenaires ayant augmenté de plus d’une centaine d’unités ces huit dernières années, on peut considérer à la fois que l’objectif Cap 2030 du Président Macron de doubler les effectifs au sein de l’AEFE, sans être atteint, a produit des effets positifs en désengorgeant certaines zones où la demande de scolarisation n’était pas pleinement satisfaite. Cependant, cela a également créé des effets particuliers en organisant sur certains pays une concurrence interne peu productive entre établissements français.
Les établissements partenaires grands gagnants du système
La nouvelle contribution pour les établissements partenaires vise à corriger ces effets et un manque d’équité revendiqué. Elle sera de 4 % du montant des droits d’inscription et de scolarité. Elle reste modeste compte tenu des services, notamment pédagogiques, que fournit l’agence en contrepartie.

Ces chevaux légers de l’enseignement français à l’étranger pourraient continuer malgré tout à être les grands gagnants du système français d’éducation hors de France. Ils bénéficient pour nombre d’entre eux d’une « astuce de gestion » qui leur assure d’employer des enseignants fonctionnaires français sans payer la part pension qui est… prise en charge directement par le ministère de l’éducation nationale. Si le chiffre précis de ces « détachés directs » n’apparaît pas officiellement, il pourrait en réalité concerner plus de 1.600 fonctionnaires pour lesquels les établissements partenaires sont exonérés du paiement des pensions. Un avantage important dans le contexte actuel.
Le ministère de l’Éducation nationale ce grand absent
Les représentants des personnels de l’AEFE refuseront que l’opérateur public soit affaibli trop fortement et leur capacité à mobiliser leurs collègues dans le réseau est significative. Mais leurs critiques concernent aussi leur ministère d’origine.
Le ministère de l’Éducation nationale semble en effet le grand absent de ces consultations alors qu’il fournit à l’AEFE près de 5000 personnels détachés. Une solution pourrait venir de ce ministère s’il acceptait déjà de desserrer l’étau statutaire qui borne les nouveaux contrats d’enseignants à 6 ans. Cette réforme RH datant de 2000 suscite de plus en plus de critiques dans les rangs des syndicats qui sont face à des personnels qui voudraient prolonger mais ne le peuvent pas. Le décret qui prévoyait des exceptions pour aller au-delà des 6 ans n’est pas suivi d’effet.
Demain l’union sacrée ?
Plusieurs observateurs s’inquiètent des effets de cette réforme. L’AEFE se retrouve ainsi dans une zone grise en matière de gestion et de gouvernance, prise entre le « club des 68 » établissements en gestion directe, qui pourront probablement compter sur la solidarité financière de l’État, et les établissements conventionnés, plus exposés aux turbulences à venir.
Rappelons que le budget 2025 prévoyait un déficit prévisionnel de 70 millions d’euros. Celui pour 2026 sera sans doute ramené à une quarantaine de millions d’euros après introduction des nouvelles contributions financières.
Mais dans une Agence dont la richesse première reste sa ressource humaine, l’enjeu sera de préserver des emplois en maintenant la présence d’enseignants titulaires de l’Éducation nationale aux côtés de professeurs recrutés localement, mais formés et accompagnés selon les standards de la formation continue à la française. Certains préconisent une union sacrée entre des familles voulant les meilleurs enseignants pour leurs enfants et des syndicats voulant défendre les statuts les plus protecteurs pour faire contrepoids à la logique comptable mise sur la table.
Qu’en sera-t-il ? L’année 2026 apportera ses réponses.
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