Les grandes plateformes d’« ultra-fast commerce » ont désormais investi le terrain de la mode avec une telle vigueur qu’elles concurrencent directement Amazon, aussi bien sur l’habillement adulte que sur les articles pour enfants. Leur deuxième pilier se situe dans l’univers de la décoration : 6 % des Français y ont acheté un produit de maison au cours de l’année écoulée, contre 10 % via Amazon. Si Shein demeure avant tout un géant du vêtement, Temu et AliExpress ont élargi leur cœur d’activité aux articles pour la maison, qui représentent aujourd’hui entre un tiers et près de 40 % de leurs ventes.
Une clientèle moins diplômée et moins aisée
Le profil des utilisateurs de ces plateformes ressemble globalement à celui de l’ensemble des acheteurs en ligne : une clientèle jeune, largement urbaine, surreprésentée en Île-de-France et composée de familles avec enfants. Elle s’en démarque toutefois par une présence moindre des diplômés du supérieur et des catégories les plus favorisées. Leur positionnement « ultra-discount » les rend particulièrement attractives pour les classes moyennes : plus d’un tiers des titulaires d’un bac ou d’un bac +2 ont acheté au moins une fois sur ces sites au cours des douze derniers mois.
Une sensibilité écologique réelle… mais reléguée par les contraintes financières
Le modèle de l’ultra-fast commerce, multiplication des collections, production à flux tendu, volumes massifs, soulève depuis plusieurs années de fortes critiques, aussi bien de la part des ONG que des pouvoirs publics. Les inquiétudes portent sur une empreinte environnementale élevée : consommation énergétique importante, émissions additionnelles de gaz à effet de serre, usage intensif de matières premières et volumes considérables de déchets.
Pour autant, les acheteurs ne se considèrent pas indifférents à l’environnement. Comme dans l’ensemble de la population, une majorité exprime un pessimisme marqué quant à l’avenir écologique du globe. Près de huit sur dix estiment que les entreprises devraient mieux intégrer l’impact social et environnemental de leurs pratiques. Et la grande majorité considère la lutte contre le dérèglement climatique comme une responsabilité collective.
Mais ces préoccupations passent derrière la pression budgétaire. Près des deux tiers des utilisateurs disent devoir renoncer régulièrement à certains achats, contre 58 % dans la population générale. Dans ce contexte, la promesse de prix cassés prime sur les considérations environnementales.
Le règne du bas prix et de la bonne affaire
Les plateformes d’ultra-fast commerce apparaissent pour une immense majorité de leurs clients (94 %) comme des lieux où l’on réalise de vraies économies. Shein en constitue l’exemple emblématique : selon l’Institut Français de la Mode, un article de mode y coûte en moyenne autour de 9 euros, nettement moins que dans les enseignes physiques à bas prix (13 à 18 euros chez Kiabi ou en hypermarché) et sans commune mesure avec Zara (environ 28 euros). Pas étonnant que 93 % des acheteurs citent les prix mini parmi leurs principales motivations.
Cette logique de « bonne affaire permanente » est d’ailleurs documentée : des travaux australiens montrent que la crainte de manquer une promotion joue un rôle central dans l’acte d’achat. Une enquête du Crédoc confirme ce mécanisme : 71 % des utilisateurs évoquent la présence constante de promotions comme un élément déterminant.
Une aspiration forte à consommer du neuf, souvent et à moindre coût
Les utilisateurs de ces sites manifestent également un désir plus affirmé de consommation. Pour beaucoup, notamment les jeunes, les diplômés et les familles, la possibilité d’acheter régulièrement des produits neufs contribue à un véritable plaisir d’achat. Cet appétit de nouveauté s’accompagne d’un intérêt accru pour d’autres activités de loisirs : sorties, voyages, shopping.
L’offre pléthorique des plateformes répond à ces attentes. Huit clients sur dix apprécient l’ampleur du catalogue et les ajouts constants de nouveaux produits ; près d’un sur deux valorise la rapidité de renouvellement. Avec près d’un demi-million de références disponibles et jusqu’à 10 000 nouveautés ajoutées quotidiennement, Shein dépasse largement les standards du commerce traditionnel : H&M propose environ 25 000 articles, Pimkie autour de 1 500.
À cela s’ajoute un goût prononcé pour les articles innovants ou personnalisables. Près de 44 % des utilisateurs sont sensibles aux innovations technologiques et 64 % à la personnalisation, contre respectivement 39 % et 57 % pour l’ensemble des consommateurs. Les outils algorithmiques des plateformes, recommandation en temps réel, segmentation fine, personnalisation poussée, renforcent cette attractivité en donnant le sentiment d’une boutique conçue pour chaque utilisateur.
Le rôle décisif des influenceurs
Les acheteurs de l’ultra-fast commerce se montrent plus réceptifs que la moyenne aux contenus produits par les influenceurs. Près de 37 % déclarent s’être référés à un créateur de contenu pour un achat, contre 26 % des internautes. Cette influence est particulièrement forte dans les catégories phares du secteur : 54 % pour les vêtements ou accessoires, 32 % pour les articles de décoration.
En réalité, les influenceurs occupent une position stratégique dans ce modèle. Ils impulsent les tendances, orientent les envies, jouent sur la proximité et alimentent un imaginaire de consommation accessible. Ils contribuent aussi à populariser les imitations à bas prix de modèles issus du luxe ou des grandes marques. Le défi « Zara versus Shein », lancé en 2022 et visionné des dizaines de millions de fois, illustre cette mécanique : il mettait en parallèle des vêtements visuellement proches et soulignait l’écart spectaculaire de prix.
Cette influence ne repose pas uniquement sur la quête du meilleur prix. Pour plus des deux tiers des acheteurs, les influenceurs constituent avant tout une source d’inspiration et de découvertes. Les formats populaires comme les « hauls », où des vêtements sont déballés devant la caméra, jouent un rôle clé : ils transforment l’acte d’achat en moment de partage, suscitent l’envie d’imitation et valorisent une consommation spontanée et ludique.
Auteur/Autrice
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Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.
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