Ainsi Twitter a brûlé sa diva. Nul doute que s’il avait été réélu, quelle que soit la teneur de ses tweets, le compte de Trump le Banni n’aurait pas été fermé. Ne faudrait-il pas censurer aussi les images du Capitole envahi qui flatte l’ego démesuré d’imbéciles que l’on interview au même titre que des magistrats ? Censurer les noms et images des terroristes qui ne commettent d’attentats que pour la déflagration médiatique qu’ils provoquent ? Bolsonaro, Trump, demain Chavez, Erdogan et Macron, les Chefs d’Etat une fois soumis au bon goût de Twitter et de Facebook, ou plutôt à leurs intérêts, qu’en sera-t-il des simples quidams ? Ces bons pasteurs qui vivent surtout de l’étalage et du scandale public ont voulu plaire au nouveau Congrès et au nouveau Président : ils se sont mis du coté du vainqueur.
Les plateformes ont reconnu une responsabilité éditoriale
Ce faisant, ils ont pris un risque considérable : ils se sont reconnus une responsabilité éditoriale. Jusqu’à présent, ils n’étaient que des hébergeurs, des tuyaux. Qu’un message appelle à la haine soit illégal, alors ils devaient le retirer. C’est l’illégalité du message, à la demande de tiers, qui s’appliquait. Pas leur appréciation, fut-elle judicieuse.
Les plateformes d’information ne se sont jamais présentées comme des producteurs d’information, ce qui les exonérait, plaidait-il, de toute responsabilité sur les contenus, à la différence des medias.
Au fur et à mesure, elles se sont dotées de chartes fixant des règles de bonne conduite. En décidant de suspendre le compte du Président des Etats-Unis, ces plateformes (Twitter, Facebook, Snapchat,) se donnent le droit de suspendre n’importe quel compte selon leurs propres critères et se reconnaissent donc une responsabilité devant n’importe quel tribunal.
Qui suspendra le compte de Charlie ou de Nasrallah ?
Pourquoi ne pas avoir suspendu le compte de tel ministre pakistanais appelant à punir les Français ? Celui d’Haftar appelant à la guerre contre les Turcs ? D’Erdogan réclamant le boycott de produits français? De Nasrallah menaçant Israël ? D’Israéliens menaçant l’Iran? Et ceux condamnant Charlie ? Ou ceux de Charlie, que d’aucuns trouvent insultants pour l’Islam ?
Des appels à la violence, il y en a à foison. La Russie, la Chine, l’Iran censurent -pour prévenir toute violence et manifestation indue- même les ONG « financés et donc agents de l’étranger ». La censure est un exercice compliqué.
Avec cette reconnaissance de responsabilité, chacun pourra donc porter plainte contre Facebook et Twitter. C’est une opportunité pour les Etats appelés à contrôler les plateformes. Les Chartes de responsabilité venaient déjà de la pression des Etats, qui rappelaient que l’injure, l’appel à la haine, les propos racistes, étaient interdits et sanctionnés. La France s’était d’ailleurs illustrée dans la demande de retraits de comptes qui tenaient des propos haineux.
Bientôt des plaintes
Puisque les plateformes se considèrent comme des medias, les Etats, mais pourquoi pas les particuliers, devraient pouvoir engager des plaintes directement contre elles. Les déclarations de responsables comme Angela Merkel, Bruno Le Maire ou Lopez Obrador indiquent déjà que, compte tenu de la dimension hors sol des plateformes, les Etats établiront un cadre juridique spécifique : les états se veulent seuls légitimes à produire du droit, à fixer les limites à la liberté d’expression. Adopter des lois qui responsabilisent les auteurs et non laisser les plateformes faire leur loi.
Asile médiatique
L’Europe pourrait donc donner l’asile médiatique à Trump, quitte à ce qu’il réponde à un juge, comme elle aurait du le faire pour Snowden. Dommage qu’il n’y ait pas de Twitter européen. Nul doute que la Commission européenne va se saisir de cette perche. Elle a déjà, avec Thierry Breton, rédigé deux règlements sur « les services et les marchés numériques » avec des droits et des obligations pouvant conduire jusqu’à la fermeture de plateformes. La France, elle, étudie la création d’un parquet numérique. A défaut d’avoir un Twitter national, on aura au moins un magistrat. Un premier pas vers l’ère digitale.
La question la plus évidente est donc celle du statut des plateformes. En ce qui concerne la liberté d’expression, bien sûr. Mais pas seulement. Quand elles font du commerce, quelle est leur responsabilité ? Quand elles transfèrent de l’argent, sont-elles des banques ? Ont-elles des agréments des autorités, doivent-elles tenir des comptes, se renseigner sur la provenance des fonds, signaler à Tracfin les transferts ? Quand elles éditeront une sorte de monnaie, ne risquent-elles pas, en cas d’effondrement soudain, d’être considérés comme faux monnayeurs, ou arnaqueurs ?
Les dangers de l’anonymat
Le droit numérique est à inventer. Il serait assez simple à concevoir, en se fiant au principe de responsabilité. L’anonymat est responsable de la plupart des fake news, injures, propos racistes, etc… Trump n’était pas anonyme. Si ses propos sont condamnables, c’est à une Cour de les sanctionner. Beaucoup de responsables politiques mentent, incitent au désordre, contestent les résultats, accusent les juges de partialité, encouragent les manifestations qui sont parfois violentes. Dans un état de droit, ils peuvent et doivent en répondre devant les juges et … les électeurs.
En revanche, les plateformes abritent des millions de voyous anonymes, de faux comptes, de fausses organisations, de faux medias, de pirates, couvrent des trafics illicites, et prospèrent en partie grâce à ces services. Ce qu’il faut inscrire, c’est non le droit à la censure des plateformes, car leur responsabilité éditoriale est factice et soumise à leurs intérêts, ce qui serait légitime, que ce soit pour les messages, les transferts ou les faux comptes, ce serait la fin de l’anonymat.
Laurent Dominati
A. Ambassadeur de France
A. Député de Paris
Président de la société éditrice du site lesfrancais.press
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