Donald Trump estime que le dollar, monnaie mondiale de référence, est un poids pour l’économie américaine. Il répète que les autres pays tirent avantage du dollar sans payer les services que celui-ci rend. L’isolationnisme du président américain concerne non seulement les importations de biens mais aussi la monnaie. Avec la politique économique que Donald Trump mène depuis son retour au pouvoir en janvier dernier, le dollar peut-il perdre son statut de monnaie de réserve dominante et, dans cette hypothèse, quelle devise pourrait alors le remplacer ?
Même si son poids dans les réserves de change mondiales décline depuis plusieurs années, le dollar reste la première monnaie de réserve. 57 % des réserves mondiales de devises sont libellées en dollars en 2024, contre 65 % en 2014. L’application des sanctions contre la Russie et des règles d’extraterritorialité a conduit certains pays à réduire leur exposition au dollar. Néanmoins, le billet vert devance de loin les autres devises. L’euro occupe la deuxième position, représentant 20 % des réserves en devises.
La dépréciation du dollar pour réindustrialiser les États-Unis
L’administration républicaine estime que la dépréciation du dollar est nécessaire pour réindustrialiser et améliorer leur compétitivité. Le taux de change du dollar par rapport aux autres grandes monnaies est assez proche de sa moyenne de longue période (2002-2024). De 2002 à 2014, la monnaie américaine a connu une phase de dépréciation marquée, compensée par une appréciation entre 2015 et 2024. En 2025, son taux de change est environ 10 % supérieur à son niveau de 2006. L’appréciation s’est surtout produite après 2020 avec l’épidémie de COVID-19 et la guerre en Ukraine, le dollar jouant pleinement son rôle de valeur refuge.
La dépréciation du dollar peut intervenir spontanément, en raison de la politique menée par Donald Trump, ou volontairement, par des mesures spécifiques.
Plusieurs éléments de la politique en place depuis janvier contribuent à la baisse du dollar. La montée des incertitudes liées aux décisions et contre-décisions de Trump incite les investisseurs à la prudence. Ceux-ci réduisent leurs achats en dollars. Les prévisions de ralentissement de la croissance, liées à la hausse des droits de douane, provoquent un effet similaire. Le niveau élevé du déficit public, autour de 7 points de PIB, pèse également sur le dollar. Le recul des cours boursiers depuis le début de 2025 incite les investisseurs étrangers à réduire leur exposition aux actions américaines, d’autant que le dollar s’est déjà déprécié.
Un « Mar-a-Lago Accord » pour coordonner une dépréciation du dollar
Au sein de l’équipe de Donald Trump, certains membres souhaitent adopter » des mesures favorisant explicitement la dépréciation du dollar. Stephen Miran, président du Council of Economic Advisors à la Maison-Blanche, propose une stratégie visant à affaiblir le dollar. Il soutient que la surévaluation chronique du billet vert découle de son statut de monnaie de réserve mondiale. Pour y mettre fin, il suggère un nouvel accord international, surnommé le « Mar-a-Lago Accord », inspiré du Plaza Accord de 1985. Cet accord viserait à coordonner une dépréciation du dollar en échange de concessions tarifaires et d’un accès maintenu à la protection militaire américaine. À défaut d’un accord multilatéral, Miran envisage plusieurs mesures unilatérales :
• Imposer des droits de douane élevés pour forcer les partenaires commerciaux à réévaluer leurs devises ;
• Convertir la dette américaine à court terme en obligations très long terme (jusqu’à 100 ans), pour réduire la pression sur les taux d’intérêt ;
• Appliquer des « frais d’utilisation » aux détenteurs étrangers de dette américaine, pour compenser les coûts liés au rôle du dollar.
Ces propositions ont suscité des critiques d’économistes et d’investisseurs qui les jugent risquées et potentiellement déstabilisantes pour les marchés financiers. Certains estiment qu’elles pourraient être perçues comme un défaut de paiement déguisé, nuisant à la confiance dans le dollar.
Des facteurs extérieurs peuvent également provoquer une dépréciation du dollar. En Europe, la transition écologique, la modernisation des infrastructures et le réarmement nécessitent des financements massifs. Cela pourrait mobiliser l’épargne européenne, aujourd’hui en partie placée aux États-Unis. Les flux d’achats de dollars en provenance d’Europe pourraient ainsi se tarir. Depuis le 1er janvier, le dollar a perdu 10 % par rapport à l’euro — une dépréciation jugée encore insuffisante par Donald Trump qui souhaite voir la Réserve fédérale abaisser ses taux directeurs.
Aucune autre monnaie n’est en mesure de se substituer rapidement au dollar.
Pour l’instant, le président de la Fed temporise. À ce jour, aucune menace systémique ne remet sérieusement en cause le rôle dominant du dollar. Il représente 57,5 % des réserves de change mondiales ; 61,6 % des prêts bancaires internationaux sont libellés en dollars ; 69,7 % des émissions de dette en devises sont réalisées en dollars. La moitié des exportations mondiales sont facturées en dollars, et 88 % des transactions de change impliquent le dollar. Au premier trimestre 2025, 50 % des transactions Swift étaient libellées en dollars.
Aucune autre monnaie n’est aujourd’hui en mesure de se substituer rapidement au dollar.
Deuxième devise de réserve mondiale, l’euro repose sur un marché intégré, un commerce extérieur dynamique et une stabilité politique relative. Il est largement utilisé dans les paiements internationaux, notamment en Afrique, en Europe de l’Est et au Moyen-Orient. Mais son talon d’Achille reste son incomplétude institutionnelle : pas d’union budgétaire, pas de Trésor commun, pas de dette fédérale comparable aux Treasuries. Cela limite sa liquidité. La BCE jouit certes d’une indépendance reconnue, mais l’absence d’un État fédéral demeure un obstacle. Cette faiblesse pourrait aussi être perçue comme une force, car elle protège l’euro d’influences politiques directes.
La Chine, deuxième puissance économique mondiale, promeut l’usage du yuan dans ses échanges, notamment via la Belt and Road Initiative. L’inclusion du yuan dans le panier des DTS du FMI en 2016 fut symbolique. Le développement du yuan numérique témoigne d’une volonté de jouer un rôle mondial. Mais une monnaie internationale suppose des marchés ouverts, prévisibles et transparents. Or, le système chinois reste centralisé, bureaucratique, contrôlé. Le manque de démocratie nuit aussi à l’internationalisation du yuan.
Nés du rejet des banques centrales et de la crise de 2008, les cryptoactifs ont émergé mais ne sont pas de vraies monnaies. Leur extrême volatilité, leur usage encore marginal, l’absence de régulation homogène et leur exposition à la spéculation limitent leur rôle.
l’e-euro ou le Fedcoin sont des hypothèses crédibles d’ici la fin de la décennie
Les stablecoins, comme l’USDT ou l’USDC, offrent une alternative plus stable, adossée à des monnaies classiques. Leur succès est réel, notamment auprès des acteurs non bancarisés, mais ils restent sous surveillance. L’échec du projet Libra/Diem montre que la souveraineté monétaire reste un enjeu majeur. Les monnaies numériques de banque centrale (MNBC) apparaissent comme une réponse institutionnelle. La Chine teste son yuan numérique à grande échelle. La BCE et la Fed avancent plus prudemment, mais l’e-euro ou le Fedcoin sont des hypothèses crédibles d’ici la fin de la décennie. Ces MNBC pourraient transformer le commerce international, en réduisant les coûts de transaction et en renforçant la souveraineté monétaire.
Parmi les alternatives évoquées, mais sans perspective concrète, figurent les Droits de tirages spéciaux (DTS) du FMI. Créés en 1969, ils visaient à :
• Compléter les réserves officielles ;
• Réduire la dépendance au dollar (et à l’or) ;
• Favoriser la stabilité monétaire mondiale.
Les DTS ne sont pas une monnaie, mais peuvent être échangés entre États. Leur valeur est indexée sur un panier de monnaies (dollar, euro, yuan, yen, livre). Leur rôle est marginal, faute de liquidité, de convertibilité directe et de véritable usage commercial. Les États-Unis s’opposent à leur généralisation.
L’idée d’une monnaie mondiale remonte à John Maynard Keynes qui proposa en 1944 la création d’une monnaie supranationale, le bancor, émise par une Union internationale de compensation. Elle aurait permis d’éviter les déséquilibres chroniques et les politiques déflationnistes. Ce projet fut écarté au profit du plan américain (plan White) qui fit du dollar le pivot du système monétaire.
Un système fondé sur l’or reste théorique
Certains rêvent d’un retour à l’étalon-or. Même sans rôle officiel, le métal précieux conserve son attrait. Ces dernières années, la Chine, la Russie ou la Turquie ont accru leurs réserves d’or. Mais un système fondé sur l’or reste théorique : manque de flexibilité, inégalités de répartition, faible capacité à refléter la croissance mondiale.
Le dollar ne sera probablement pas détrôné du jour au lendemain. Sa résilience repose sur des piliers solides : la taille de l’économie américaine, la profondeur de ses marchés financiers, son rôle dans les dettes privées et publiques. Mais le temps du monopole monétaire touche à sa fin. Des alternatives émergent. Or, dans l’histoire, la coexistence de plusieurs devises dominantes a souvent été synonyme d’instabilité. Le déclin progressif du dollar pourrait ainsi générer de nouvelles tensions financières.
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