Quatre stratégies bancales pour des stratèges planétaires

Quatre stratégies bancales pour des stratèges planétaires

« Je dirige le monde » Trump n’a pas tort, le chaos du monde se gonfle de mégalomanie aléatoire. Il n’est pas seul frappé de cette épidémie. Xi Jinping et Poutine se pensent aussi stratèges planétaires. Xi a pensé les « nouvelles routes de la soie », toile quadrillant la terre au bénéfice d’une universelle aragne.  Le vrai dessein s’appelle le « Rêve chinois », depuis 2012. Cet idéal, sous la direction du PCC, doit placer la Chine au centre du monde en 2049, centenaire de la République populaire.

La stratégie chinoise serait de circonvenir le Rimland, la ceinture des côtes de l’Europe à l’Extrême Orient, en passant par le Moyen-Orient. « Qui contrôle le Rimland dirige l’Eurasie, qui dirige l’Eurasie contrôle les destinées du monde » pontifiait un universitaire écouté par Roosevelt. Inutile d’être bien savant pour deviner que le contrôle d’un tel foisonnement de peuples, mers et richesses, possèderait un avantage certain. Plus subtile, moins théorique, la stratégie chinoise pénètre en Asie centrale, l’ancien empire russe (Kazakhstan et Turkménistan), s’appuie, face à l’Inde, aussi bien sur l’Afghanistan que sur le Pakistan, pousse son avantage au Moyen-Orient, avec une base à Djibouti, une alliance avec l’Iran, un soutien aux Houthis du Yémen.  Comme l’eau, elle s’insinue partout où elle le peut, selon les circonstances. Elle assure son imperium régional à travers le crédit, les infrastructures, sa marine, au Vietnam, en Birmanie, au Cambodge, au Sri Lanka.

Une vraie propagande : la Chine défend un commerce équitable, l’anti-impérialisme, la paix.

Elle conclut un partenariat avec l’Afrique du Sud pour des infrastructures reliant toutes les capitales africaines, domine déjà le commerce africain. Premier partenaire du continent sud-américain, elle se pose en Afrique du Nord comme en Europe (Algérie, Bulgarie, Roumanie, Grèce, Serbie). La guerre d’Ukraine lui offre la Russie. Routes et relais maritimes et terrestres deviennent spatiaux, technologiques, financiers. Sans oublier une vraie stratégie de propagande : la Chine défend un commerce équitable, l’anti-impérialisme, la paix. Face à elle, le méchant, l’américain, dispose d’atouts puissants.

Alliances, monnaie, technologie, idéologie, science, armée, soft power, les États-Unis ont tout. Trump le wokiste les déconstruit un à un. Trump rejette les amis de la liberté, soutient les « illibéraux », caricature le « rêve américain » en « business ». Si Wall Street et quelques autres l’ont fait reculer, le mal est fait.

Quelle est la stratégie de Trump ? Contrer la Chine ! Pour cela, donner à Poutine ce qui lui plaît en Ukraine, l’arrimer aux intérêts américains, régler le sort de l’Iran par l’argent ou la force ; imposer la paix au Moyen-Orient dans une nouvelle alliance regroupant Israël, l’Arabie, l’Égypte.  l’Union Européenne divisée, les Européens s’aligneront sur les intérêts américains, payeront la protection américaine. L’accès au marché américain se monnaie. Ainsi la Chine sera bien obligée, seule contre le monde entier, de plier.

Les États-Unis ont tous les atouts. Trump le wokiste les déconstruit un à un.  

Trump se trompe, il ne dirige pas plus le monde que le coq n’ordonne au soleil de se lever. Trump déchante, renonce, varie, fol qui s’y fie. Au moins il n’est pas obtus. Tout ce qui brille comme l’or l’attire.  Une promesse de minerais, plus ou moins rares, lui fait enfin reconnaître la Russie comme agresseur.  Qu’importe : que vaut sa parole, sa signature ? Le « Rêve américain » est fissuré par un immense doute, dont profite évidemment la Chine, et la Russie.

Poutine a compris : Les États-Unis ne défendront pas l’Europe. Déjà, Biden avait annoncé qu’il ne défendrait pas l’Ukraine. Poutine avait vu un feu vert, comme Saddam lors de l’invasion du Koweït. Cette fois, c’est un vert fluo : Trump se moque de l’Ukraine, de la Pologne, de l’Allemagne, comme de la Suède et de la Finlande. Ces naïfs ont adhéré à l’OTAN pour bénéficier du parapluie américain au moment où Trump passe à l’Est. Poutine construit des installations aux frontières finlandaises et norvégiennes. Qu’un cessez-le-feu s’impose en Ukraine, ces installations accueilleront armes et soldats.

L’économie russe est devenue une économie de guerre, il faudra qu’elle tourne. Le pays s’appauvrit, l’armée tient. Alors il sera possible de faire pression sur ces pays; non pour les attaquer – inutile- mais pour les faire revenir dans l’aire russe, comme la Biélorussie. Les États baltes n’ont aucune raison d’être. Qui les défendra ? La Pologne ? l’Allemagne, la France ? Il les absorbera sous la forme d’un traité, ce qui disloquera l’Union Européenne. Alors la Russie naviguera en maître entre les intérêts redevenus contraires des petits européens désunis. Après le rêve chinois, le bonheur russe.

Toute critique devient trahison morale.  

Pourquoi ce désir d’expansion ? Pour consolider son pouvoir interne. Affirmer rêve et puissance justifie censure, prison, assassinats. Toute critique devient trahison morale. C’est le processus de tout pouvoir autocratique, en Algérie, en Tunisie, en Iran, au Venezuela en Chine, et désormais pour une partie de l’administration américaine.

Poutine ne cherche pas au Donbass des terres rares. Il veut casser le « Rêve européen ». Cet horrible modèle occidental de la paix a brisé l’URSS, absorbé l’Europe de l’Est, provoqué la révolution de Maïdan, bouleversé la Géorgie, tenté la démocratie en Biélorussie. La fièvre démocratique a failli contaminer la Russie. Eltsine avait harangué la foule sur un char, s’opposant au coup d’État. Le peuple russe est comme les autres peuples; il aimerait plutôt la paix et la liberté. Poutine resserre les garrots, tue, emprisonne, avec pour justification la patrie. «Tout l’art de gouverner est d’avilir son peuple. On renforce ses états en faisant faire à ses armées ce qu’aucune n’ose faire ; on tire du profit en perpétrant des actes dont rougiraient les autres princes », le rêve de l’Ordre absolu du Prince Shang, débarrassé de l’idéologie communiste, est celui de Poutine. Dans son salon d’apparat, le portrait de Nicolas II rembobine le fil de « la Russie éternelle ».

Poutine veut casser le « rêve européen ». La fièvre démocratique a failli contaminer la Russie.

Cible de ces trois stratégies, l’Europe pourrait en avoir une. Elle prend conscience de sa faiblesse, s’organise pour résister à la pression russe, aux diktats américains. Elle est même prête à s’accommoder de la Chine. Tactiques de circonstances, l’Europe – la France- peut positionner des soldats en Roumanie, dans les États baltes, c’est nécessaire, mais ce n’est qu’en réaction.

L’Europe peut avoir ses propres objectifs. Lesquels ? La grande stratégie européenne devrait être le partenariat euro-russe. Ce qui fut tenté. L’Europe comme la Russie sont des partenaires naturels. Aucune puissance ne pourrait dominer le monde si existait un tel accord. Indépendance, sécurité, énergie,  technologies, un tel partenariat, multiplierait les bénéfices de tout ordre. Hélas, c’est impossible. Poutine ne veut pas. Le poison démocratique européen ruinerait son système. Les démocraties libérales sont un poison, elles sont l’ennemi.

À l’inverse, les démocraties européennes devraient comprendre que pour atteindre leur objectif : un partenariat avec la Russie – il faut miner le pouvoir de Poutine. Seule une Russie libre, démocratique, serait l’alliée fiable de l’Europe. Le peuple russe y est prêt, comme l’ont prouvé les Ukrainiens, les Polonais, les Baltes.  

La grande stratégie européenne devrait être le partenariat euro-russe.  Avec une Russie Libre.

Le pouvoir poutinien est si fragile qu’il emprisonne plus que la Russie soviétique en son temps. Le rêve chinois ne sera jamais celui de l’humanité. Les régimes policiers sont des châteaux de cartes. Les guerres ne se gagnent pas que par les armes.

Si l’Europe, suivant ce que la France dit seule depuis longtemps, croit en elle, en un message universel, alors tous ces stratèges dans leurs bureaux de plâtre verront leurs chimères tomber en poussière. Les Ukrainiens se battent donc aussi pour la liberté du peuple russe. Ils ne seront en paix, libres, qu’avec pour voisins des Russes libérées. C’est à cela, par mille moyens, que les Européens doivent travailler. « Qui libérera l’Eurasie (la Russie)  libérera le monde ». Et si ça ne marche pas, ce sera un ferment utile pour tous, à commencer par nous-mêmes.

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press et de l’app bancaire France Pay

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