Quand la musique est bonne

Quand la musique est bonne

Depuis quelques semaines, les investisseurs ont le moral en berne à Wall Street. Les indices sont orientés à la baisse en raison d’une cascade d’annonces sur les droits de douane. Un secteur semble néanmoins faire de la résistance : celui des divertissements.

Les responsables de Live Nation, l’un des principaux promoteurs mondiaux de concerts, ont déclaré s’attendre à ce que le secteur de la musique live batte des records en 2025. Son application Ticketmaster a enregistré une hausse de 70 % du trafic en février par rapport à l’année précédente, selon Sensor Tower, une société spécialisée dans les données numériques. Depuis 1990, les dépenses en faveur des concerts ont été multipliées par plus de quatre aux États-Unis. Tandis que celles allouées aux musées et aux librairies ont triplé. Le chiffre d’affaires des événements sportifs a également été multiplié par trois, et celui des parcs à thème a doublé. Seul le cinéma fait figure d’exception, avec une stagnation de ses recettes.

Les concerts, des achats « passion »  

En période de crise, l’industrie musicale se révèle particulièrement résiliente. Bien que les concerts aient été mis à mal par les confinements liés à la Covid-19 en 2020-2021, lors des trois précédentes récessions américaines, le spectacle vivant a su résister, contrairement à d’autres formes de loisirs, selon la banque Goldman Sachs. Les concerts relèvent de ce que l’on appelle des achats « passion ». Les spectateurs réservent leurs billets plusieurs mois à l’avance, preuve d’un attachement émotionnel fort.

Par ailleurs, la mondialisation de la musique permet aux promoteurs de lisser les effets d’une récession localisée. Si la demande baisse en Europe en raison d’une érosion du pouvoir d’achat, elle peut parallèlement croître aux États-Unis, où la croissance reste soutenue.

Face à cette demande croissante, l’industrie des concerts adopte de plus en plus la tarification dynamique. Cette pratique permet d’ajuster en temps réel le prix des billets, de limiter les sièges vides et d’optimiser les recettes en fonction du profil du public. Les promoteurs misent sur quelques têtes d’affiche pour remplir les salles et les stades.

Beyoncé, 579 millions de dollars ; Taylor Swift, 2 milliards.

L’industrie musicale repose désormais largement sur les vedettes du rap et du RnB. En 2023, selon la RIAA (Recording Industry Association of America), le hip-hop/RnB représentait environ 26,6 % du chiffre d’affaires de l’industrie musicale américaine. Pour Live Nation, les artistes de ces genres figurent désormais parmi les têtes d’affiche les plus rentables. En RnB, Beyoncé a vendu plus de 2,7 millions de billets en 2023. Les revenus de sa dernière tournée ont été évalués à 579 millions de dollars. Quant à Taylor Swift, sa tournée « The Eras Tour » (2023/2024) a généré plus de 2 milliards de dollars de recettes pour plus de 10 millions de billets vendus, devenant ainsi la tournée la plus lucrative de l’histoire. La fortune de l’artiste dépasse aujourd’hui 1,6 milliard de dollars, faisant d’elle la musicienne la plus riche au monde.

Logo de Live Nation Entertainment
Logo de Live Nation Entertainment

Du côté du rap, Kendrick Lamar a vendu près d’un million de billets dans le cadre de sa tournée « Big Steppers Tour », dont plus de 300 000 en Europe. En France, le rap est également devenu le genre musical le plus écouté, représentant plus de 60 % des titres « streamés » en 2023. En Allemagne, au Royaume-Uni, en Italie et aux Pays-Bas, ce genre domine également les écoutes.

Côté concerts, les vedettes du rap et du RnB (PNL, Aya Nakamura, Booba, Ninho, SCH, etc.) ont supplanté les groupes de rock qui bénéficient de moins en moins du soutien des maisons de disques et des tourneurs.

Les Rolling Stones contraints de différer leur tournée

Cette année, faute de pouvoir disposer d’enceintes disponibles et de s’insérer dans un calendrier saturé, les Rolling Stones ont été contraints de différer leur tournée. En France, Ninho est devenu, en février dernier, le premier rappeur à remplir à deux reprises le Stade de France, et le quatrième à s’y produire en solo, après Gims (2019), Booba (2022) et Soprano (2023).

Dans une société anxiogène où les incertitudes se multiplient, l’industrie du spectacle vivant s’impose comme une valeur refuge. Dopée par des logiques de rareté perçue et d’émotion forte, elle combine croissance des revenus et optimisation algorithmique des prix. En misant sur les nouvelles stars du rap et RnB, les promoteurs redéfinissent les règles du jeu culturel. Le live devient un produit d’appel stratégique. Un vecteur d’image et un levier de rentabilité à haute intensité qui s’est substitué à la vente de disques.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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