Quand Donald Trump donne les clefs du monde à la Chine

Quand Donald Trump donne les clefs du monde à la Chine

Depuis son retour au pouvoir en janvier 2025, Donald Trump s’est-il engagé dans un grand sabordage de l’économie américaine ou poursuit-il une vision de long terme pour son pays dans les trente prochaines années ? Le président américain est parti d’un constat : celui d’un déclin des États-Unis, exploités selon lui par des nations qui profiteraient du travail et de la richesse des Américains. Cette analyse, a priori surprenante au regard du taux de croissance et des gains de productivité enregistrés ces dernières années, s’appuie sur l’évolution de la balance commerciale et sur le processus de désindustrialisation.

Pour rétablir l’équilibre des échanges commerciaux et réindustrialiser son pays, Donald Trump a opté pour une politique de repli fondée sur la majoration des droits de douane et une réduction drastique de l’immigration. Reste à savoir si cette stratégie permettra de préserver la suprématie américaine pour les prochaines décennies ou si elle entraînera, au contraire, le basculement du centre de gravité économique mondial vers la Chine et l’Asie.

Le rejet de l’immigration

Depuis mars 2025, le nombre d’immigrés ayant un emploi aux États-Unis a reculé de 1,5 million de personnes. Ce changement de cap historique n’est pas sans conséquences. Les immigrés jouent un rôle essentiel, comme en Europe, dans les secteurs de la restauration, de l’hôtellerie, de la logistique ou du bâtiment. Mais ils sont également présents au cœur de la haute technologie : 29 % des entrepreneurs américains sont issus de l’immigration, alors qu’ils ne représentent que 15 % de la population totale. 44 % des fondateurs de licornes (entreprises valorisées à plus d’un milliard de dollars) sont d’origine étrangère. 26 % des immigrés travaillent dans les secteurs des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques.

La vitalité de la Silicon Valley, la puissance d’innovation américaine, la productivité globale du pays reposent en grande partie sur ces talents venus d’ailleurs. Nombre de figures emblématiques, symboles de la réussite américaine — Elon Musk pour Tesla, Andrew Grove pour Intel — sont des immigrés. Longtemps, l’immigration hautement qualifiée a permis de compenser les faiblesses du système de formation américain.

L’anti-politique climatique

Depuis le début de l’année 2025, les émissions de CO₂ américaines ont augmenté de 4,2 % par rapport à l’année précédente, conséquence directe d’une hausse de 14 % de la consommation de charbon pour produire de l’électricité. Donald Trump a décidé de retirer à nouveau les États-Unis des Accords de Paris qui visent la décarbonation des activités humaines d’ici 2050. Les États-Unis empruntent ainsi une trajectoire inverse de celle de toutes les grandes économies développées.

Tandis que la Chine, paradoxalement, accélère ses investissements dans les énergies renouvelables, l’Amérique de Donald Trump rouvre des mines, annule des projets solaires et supprime les subventions aux filières vertes. Le coût économique de ce virage est considérable. En affaiblissant ses filières technologiques vertes (batteries, éoliennes, cellules photovoltaïques), les États-Unis compromettent leurs positions industrielles sur les marchés de demain.

Donald Trump
Donald Trump - Montage AFP

La désorganisation sanitaire

En 2025, le ministère de la Santé a été amputé d’un tiers de ses effectifs : 25 000 licenciements sur 82 000 agents. Cette mesure sans précédent a été décidée par le nouveau secrétaire d’État à la Santé, Robert Kennedy Jr., connu pour avoir défendu plusieurs thèses dites complotistes. Le budget des National Institutes of Health a été réduit de 18 %, tandis que les programmes de recherche médicale sont gelés. Le budget de Medicaid, assurance santé destinée aux plus modestes, devrait être amputé de 610 milliards de dollars sur dix ans. Ce démantèlement du système de santé américain risque d’accélérer le recul de l’espérance de vie à la naissance, amorcé depuis 2016 et toujours en baisse. Celle-ci atteint désormais 77 ans, soit quatre ans de moins qu’en France.

Le freinage de la productivité : le talon d’Achille américain

Les conséquences de ces politiques se lisent déjà dans plusieurs chiffres. La productivité par tête stagne depuis 2023, après deux décennies de progression continue. La croissance du PIB réel ralentit à moins de 1,5 %, et les créations d’emplois sont désormais inférieures à 100 000 par mois.

La Chine trace sa route

Malgré le déclin de sa population, la Chine continue de progresser et de gagner des parts de marché à l’échelle mondiale. Ses investissements en recherche et développement ont atteint 723 milliards de dollars en 2023, presque à parité avec les 784 milliards des États-Unis. Ses dépenses publiques ciblent massivement les secteurs d’avenir : semi-conducteurs, intelligence artificielle, batteries, biotechnologies.

En parité de pouvoir d’achat, le PIB chinois devrait dépasser celui des États-Unis de près de 4 000 milliards de dollars (40 000 milliards contre 36 000). Même en valeur nominale, le croisement des courbes pourrait survenir avant 2030. Dans de nombreux domaines — terres rares, batteries, voitures électriques, informatique — la Chine est désormais incontournable. Les grandes entreprises américaines de haute technologie exercent une forte pression sur Donald Trump pour qu’il mette un terme à la guerre commerciale. La Chine, de son côté, entend devenir le numéro un mondial dans tous les domaines, à l’horizon 2049, centenaire de la prise de pouvoir du Parti communiste.

Une erreur de vision

En optant pour le protectionnisme, Donald Trump pense protéger les États-Unis et défendre leur souveraineté nationale. Mais en réalité, il risque de priver le pays de son moteur historique : sa capacité à absorber le monde, à transformer la diversité en innovation. Les politiques menées depuis 2025 tournent le dos à celles qui ont fait la grandeur des États-Unis au cours des quatre-vingts dernières années.

Donald Trump estime que la Chine mène une politique hostile à l’Amérique, ce qui l’obligerait à réagir avec fermeté. Mais ces mesures apparaissent avant tout comme un aveu de faiblesse de la part de la première puissance mondiale.

Le déclin des grandes puissances provient plus souvent de l’intérieur que de l’extérieur. Les États-Unis n’ont pas, à ce jour, de raisons objectives de se sentir menacés par la Chine. Pourtant, leurs dirigeants adoptent une politique qui pourrait, à terme, renforcer leur rival. La Chine, pragmatique, disciplinée, investit, innove, apprend. Les États-Unis, eux, doutent et contestent. Le XXIᵉ siècle pourrait bien être marqué par le retour de la Chine à la première place des puissances économiques et militaires mondiales — non pas parce que Pékin l’aura conquise, mais parce que Washington l’aura abandonnée.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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