L’ancien eurodéputé italien Pier-Antonio Panzeri, « cerveau » du Qatargate, a accepté de collaborer avec la justice belge afin de faire la lumière sur le scandale qui secoue actuellement le Parlement européen.
Étant donné que M. Panzeri devra livrer la vérité afin d’obtenir une peine limitée, les responsables européens s’interrogent déjà sur l’identité du prochain coupable et sur l’institution européenne qui sera concernée par les prochaines révélations de l’Italien.
Mardi (17 janvier), M. Panzeri a reconnu sa participation au système de corruption en lien avec le Qatar et le Maroc mis en place au sein même du Parlement ainsi que son rôle de supervision dans cette affaire. Hier, le parquet fédéral a annoncé qu’il a signé « un mémorandum avec le procureur fédéral en vertu des articles 216/1 à 216/8 du Code d’instruction criminelle », selon l’agence de presse Belga.
Le parquet a indiqué que M. Panzeri avait signé un « accord de repenti » et qu’il collaborerait avec les autorités en échange d’une réduction de peine. Il devrait écoper de 5 ans de prison (dont un an ferme) ainsi que d’une amende de 80 000 euros. Ses avoirs saisis, estimés à un million d’euros selon le parquet, devraient également être confisqués (notamment les 60 000 euros trouvés à son domicile).
M. Panzeri devra expliquer en détail aux autorités belges le fonctionnement de l’organisation, ses structures et les paiements effectués, ainsi que l’implication éventuelle d’autres personnes ou pays dans cette affaire.
Le groupe des socialistes et démocrates (S&D) au Parlement européen a déjà été sévèrement touché par le scandale du Qatargate. En effet, outre l’ancien eurodéputé socialiste M. Panzeri, l’eurodéputée et vice-présidente du Parlement, la socialiste Eva Kaili, ainsi que son partenaire Francesco Giorgi, ont également été incarcérés.
Le 10 décembre 2022, M. Panzeri, qui venait d’être arrêté dans le cadre des enquêtes sur le Qatargate, a accusé le socialiste Marc Tarabella — vice-président de la Délégation du Parlement pour les relations avec la péninsule arabique (DARP) — d’avoir reçu des « cadeaux » du Qatar.
Le domicile du Belge avait été perquisitionné le lendemain et aucune somme d’argent n’y avait été trouvée. M. Tarabella n’avait donc pas été arrêté. Il avait toutefois été suspendu de son parti national, le Parti socialiste (PS, Wallonie), et s’était lui-même suspendu du groupe S&D au Parlement européen pour toute la durée de l’enquête.
Mardi, une révélation du journal L’Écho a causé une nouvelle onde de choc. Le 10 décembre dernier, lors de son audition, M. Panzeri aurait déclaré à la justice belge qu’il avait versé entre 120 000 et 140 000 euros en espèces à M. Tarabella pour le récompenser d’avoir pris « certaines positions » en faveur du Qatar.
L’avocat de M. Panzeri, Laurent Kennes, a déclaré hier soir sur le plateau de la RTBF que « l’une des raisons » pour lesquelles son client avait souhaité s’exprimer est qu’« il sait qu’il a trahi la confiance de certaines personnes », notamment l’eurodéputée belge Marie Arena (S&D), de qui il était « très proche » et qui a également été évoquée par la presse dans le cadre du Qatargate. « Il citera son nom pour dire qu’elle n’avait strictement rien à voir avec [le système de corruption] et qu’il n’aurait jamais osé lui proposer quoi que ce soit », précise l’avocat.
Des sources à Bruxelles ont également confié à EURACTIV que la décision d’extrader la fille de M. Panzeri d’Italie vers la Belgique le mettait dans une situation délicate et que c’était également pour cette raison qu’il a décidé de parler.
Concernant les révélations de son client sur M. Tarabella, Maître Kennes souligne que « l’information provient d’une fuite » et qu’il ne peut pas « communiquer sur le dossier qui est à l’instruction ». « Il est désolant qu’il y ait des fuites qui évoquent le nom de personne qui n’ont même pas encore été entendues », ajoute-t-il.
L’avocat de M. Tarabella, Maxim Toller, maintient que son client n’a rien reçu. « Il faut d’autant plus mettre en doute les paroles de M. Panzeri qu’il parle en échange de quelque chose », estime-t-il, selon Le Soir.
La semaine dernière l’eurodéputée française Manon Aubry (La Gauche) a déclaré sur le plateau de LN24 que M. Tarabella lui avait demandé de mettre fin à son « obsession » avec le Qatar, arguant que le pays avait fait « des progrès ». « Maintenant, je comprends mieux pourquoi Marc m’avait parlé de ce sujet », a-t-elle poursuivi.
La Française avait déjà dénoncé les activités du Qatar au moment d’un vote important sur une résolution relative aux violations des droits de l’homme dans le cadre de la Coupe du monde, ainsi que « le lobbying agressif du Qatar ».
Une source proche du dossier a déclaré que des eurodéputés du précédent mandat du Parlement européen étaient également visés. Des rumeurs suggèrent toutefois que des personnes appartenant à d’autres institutions européennes chargées de la libéralisation des visas pourraient également être dans la ligne de mire des autorités.
Exclusion du groupe S&D et levée d’immunité parlementaire
Mardi, avant les dernières révélations, la présidente du S&D, Iratxe Garcia Perez, a demandé à M. Tarabella de s’auto-exclure du groupe et de devenir un membre non-inscrit du Parlement.
Son avocat, Maître Toller, a déclaré que son client ne pouvait pas accepter cette proposition. « S’il était condamné, il serait compréhensible qu’il soit exclu, mais comme il n’est pas inculpé, accusé, et qu’il n’a même pas été entendu, cela semblerait prématuré et injuste », a-t-il déclaré, rapporte L’Écho.
Toutefois, M. Tarabella et l’eurodéputé italien Andrea Cozzolino — ancien président de la Délégation pour les relations avec les pays du Maghreb (DMAG), également lié au scandale — seront exclus du groupe s’ils continuent à refuser de s’auto-exclure. « S’ils ne [s’excluent] pas de leur propre initiative, le groupe prendra une décision cette semaine », aurait déclaré Mme Garcia Perez.
En outre, la justice a demandé la levée de l’immunité des deux eurodéputés. La procédure a été lancée lundi (16 janvier) lors de la plénière du Parlement, et une décision devrait être prise avant le 13 février.
M. Tarabella se dit favorable à une levée de son immunité, car il ne se « cachera » pas derrière celle-ci. Une fois son immunité levée, il pourra être entendu par la justice belge.
La commission des Affaires juridiques (JURI) sera chargée de donner un avis sur les levées et aura l’occasion d’entendre les deux députés à huis clos. Manon Aubry sera la rapporteure sur la question, précisait L’Écho lundi.
L’affaire Eva Kaili
L’eurodéputée grecque Eva Kaili sera à nouveau auditionnée par les autorités belges concernant sa demande de libération le 19 janvier. Reste à savoir dans quelle mesure la décision de M. Panzeri de parler affectera la demande de libération temporaire de Mme Kaili.
À Athènes, les juristes estiment que M. Panzeri pourrait soit nuire davantage soit alléger la situation pour Mme Kaili.
De son côté, cette dernière avait déjà laissé entendre que M. Panzeri avait profité de l’immunité d’eurodéputée dont elle bénéficiait pour dissimuler de l’argent dans son appartement.
Une source proche du dossier a confié à EURACTIV que, en raison des nombreuses accusations auxquelles Mme Kaili fait face, il serait difficile de prouver qu’elle n’était pas impliquée dans le blanchiment d’argent. De plus, aucune procédure de levée d’immunité n’a été nécessaire pour la Grecque puisqu’elle a été prise en flagrant délit, de l’argent ayant été trouvé à son domicile.
Mercredi (18 janvier), en séance plénière, les eurodéputés devraient élire un nouveau vice-président pour remplacer Eva Kailli.
Le PPE se montre prudent
Selon les informations d’EURACTIV, une réunion à huis clos du Parti populaire européen (PPE) a eu lieu en marge de la plénière de décembre 2022 à Strasbourg afin de déterminer l’approche que le parti devait adopter en matière de communication dans le cadre du scandale.
Bien que des appels aient été lancés en faveur d’une « attaque » contre le groupe socialiste, le chef du PPE, Manfred Weber, aurait suggéré une approche plus prudente consistant à « attendre et voir ». Selon une source présente lors de la discussion, M. Weber aurait fait référence aux « responsabilités individuelles » et non à celles des partis politiques dans cette affaire.
« C’était une position officieuse consistant à s’abstenir d’attaquer les socialistes sur cette question », a expliqué une source du PPE à EURACTIV.
Selon nos informations, étant donné que toute la lumière n’a pas encore été faite sur le scandale, le centre droit préfère faire discret au cas où un membre de leurs rangs venait à être cité au cours de l’enquête.
Le « groupe d’amitié » entre l’UE et le Qatar, qui a été immédiatement suspendu après les premières révélations, comprenait également sept eurodéputés du PPE.
Le site web du groupe d’amitié, figurant sur le site de l’ambassade du Qatar, a été supprimé et l’ambassade n’a pas donné suite à une demande d’EURACTIV de fournir la liste complète des participants à ce groupe.
Laisser un commentaire