Pouvoir d’achat : le compte n’y est pas

Pouvoir d’achat : le compte n’y est pas

Depuis le début du siècle, les ménages ont le sentiment que leur pouvoir d’achat se dégrade même s’il a augmenté de plus de 30 %. Leur ressenti n’est pas infondé. En monnaie trébuchante, leurs revenus augmentent mais moins vite que le coût de certains biens ou services indispensables au quotidien. Leur niveau de vie relatif baisse en raison, notamment, de la hausse du prix des logements à l’achat ou en location.

Depuis 2000, les prix de l’immobilier ancien ont été multipliés par 2,7 sur l’ensemble du territoire français. À Paris, le ratio est de 3,4. Sur la même période, le montant des loyers au sein des grandes agglomérations a progressé de plus de 40 %. Les dépenses liées au logement, à la plomberie, à l’électricité, ou bien encore à la peinture ont augmenté plus rapidement que les salaires moyens du fait notamment de la pénurie d’artisans.

Le prix des voitures neuves a augmenté en vingt ans de plus de 50 %, soit plus vite que les salaires réels. Le poids des dépenses pré-engagées au sein du budget (logements, assurances, abonnements téléphoniques et services financiers) est passé de 2004 à 2023 de 27 à 30 %. Pour les locataires du secteur privé, ce ratio dépasse 32 % et 41 % pour les ménages les plus modestes.

La part « libre d’usage » du budget familial tend à rétrécir. 

En intégrant les prélèvements obligatoires, la part « libre d’usage » du budget familial tend à rétrécir. Une augmentation du prix de l’énergie ou de l’alimentation expose ainsi un nombre croissant de ménages à d’importantes difficultés financières.

Pour expliquer l’érosion du niveau de vie, un mauvais partage des revenus est souvent avancé. Or, en la matière, la France se distingue par rapport aux autres pays occidentaux. La part des salaires dans la valeur ajoutée est passée de 61 à 59 % de 2000 à 2023, quand les valeurs respectives sont de 63 et 58 % en Allemagne et de 59 et 54 % aux États-Unis. En France, ce partage de revenus jugé plus égalitaire est en partie, responsable du processus de désindustrialisation.

Le pays s’est spécialisé malgré lui dans les services domestiques à faibles rémunérations et valeur ajoutée. Cette évolution n’est pas sans lien avec l’apparition, depuis 2003, d’un important déficit commercial. La France n’a pas su tirer profit de ses atouts. Les touristes étrangers y dépensant par exemple deux fois moins qu’en Espagne.

La France a un cruel besoin de croissance économique

Le pays manque de croissance économique. Tant pour mettre un terme au malaise général que pour financer son système de protection sociale. Hors évènement exceptionnel, celle-ci avoisine 1 % depuis une dizaine d’années, ce qui est notoirement insuffisant. Pour certains, ce petit train est une fatalité. Pour d’autres, la voie vers la décroissance est indispensable pour assurer la pérennité de la planète. Or, sans croissance, le pays ne pourra pas s’acquitter des dépenses de retraite, de santé, de dépendance, d’éducation ou de défense dans les prochaines années et, dans le même temps, rembourser son imposante dette.

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La population pressent les menaces qui s’accumulent et renforce constamment son épargne. En 2024, les Français ont mis de côté 18 % de leur revenu disponible brut de côté, contre 15 % avant la crise sanitaire.

Les problèmes sont pourtant connus, de même que les solutions

Pourtant, il n’y a pas de fatalité en matière économique ou budgétaire. D’autres pays le prouvent comme l’Espagne dont le taux de croissance est de près de 3 % par an ou le Portugal, au bord du gouffre en 2010 qui dégage désormais un excédent budgétaire. Placée sous tutelle financière en 2012, de son côté, en 2024, la Grèce a emprunté à un taux inférieur à celui de la France.

En France, l’économie ne fait pas rêver. Lors des dernières élections législatives, peu de discours avaient trait à la croissance, aux gains de productivité, à la compétitivité, aux secteurs de pointe, etc. Les problèmes sont pourtant connus, de même que les solutions. Le volume de travail est insuffisant, son coût est élevé et les prélèvements n’encouragent pas à la montée en gamme. Or l’augmentation du nombre d’heures de travail, la relance de l’investissement, la refonte du barème des cotisations sociales, la baisse des prélèvements en parallèle à la réalisation d’économies budgétaires sont des propositions hautement conflictuelles.

La France possède des atouts uniques

Pour débloquer la société, pour bouger les lignes, les réformes doivent être gagnantes pour toutes les parties. La suppression des niches fiscales, plus de 450 dénombrées en 2023, devrait donner lieu en contrepartie à une réduction des taux d’imposition. L’augmentation du volume du travail doit s’accompagner d’une hausse des rémunérations et d’une meilleure prise en compte de la pénibilité. L’instauration d’un barème de cotisations sociales sans effet de seuils doit donner lieu à l’allègement de ces dernières.

Le champ de la négociation sociale devrait être constitutionnellement protégé afin de permettre aux partenaires sociaux d’être réellement responsables des régimes d’assurances sociales. L’État ne devrait avoir de compétences qu’en matière d’assistance aux plus modestes ou aux plus fragiles.

En ce début d’année 2025, la France est confrontée à un ralentissement de son économie, à l’absence de budget et à un malaise profond de sa population. Récemment l’Espagne, le Portugal ou la Grèce ont prouvé que des trajectoires de redressement étaient possibles. Cela, même dans une situation plus que délicate. L’Italie est en voie d’avoir un déficit public inférieur à 3 % du PIB.

La France possède des atouts uniques comme un haut niveau de qualification ou un réseau d’infrastructures performant. Mais aussi une créativité reconnue à l’international, un patrimoine riche et varié. Une croissance durable et inclusive n’est pas hors d’atteinte. Il suffirait de recentrer les efforts sur l’innovation ou encore la montée en gamme des produits et services. Sans oublier la valorisation de secteurs stratégiques. Une croissance durable et inclusive n’est pas hors d’atteinte. Celle-ci suppose évidemment un minimum de consensus. La modernisation du dialogue social et le renforcement de la responsabilité des partenaires sociaux sont une ardente nécessité.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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