Pourquoi l’industrie automobile européenne est-elle en crise ?

Pourquoi l’industrie automobile européenne est-elle en crise ?

BRUXELLES — La présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a invité ce jeudi les principaux acteurs de l’industrie à un « dialogue stratégique » sur l’avenir du secteur automobile. Quelles sont les causes du marasme actuel?

Raison 1 : Une faible demande

Le principal problème des constructeurs automobiles européens se résume en un mot : la demande.

En 2024, l’Europe a produit deux millions de voitures de moins qu’avant la pandémie de Covid-19. Avec l’augmentation du coût de la vie et les taux d’intérêt élevés, les Européens sont de moins en moins en mesure de s’offrir une nouvelle voiture.

« La classe moyenne européenne perd du pouvoir d’achat », a déclaré l’année dernière Luca de Meo, PDG de Renault.

L’absence de demande est particulièrement marquée pour les voitures électriques, dont les prix ont augmenté ces dernières années. Une réduction des coûts était pourtant espérée, grâce à la baisse du coût des batteries et à des économies d’échelle.

Le déclin de la production européenne est accéléré par la tendance du « local pour local ». Cette logique pousse les constructeurs automobiles, tels que les marques allemandes, à produire et s’approvisionner de plus en plus dans le pays de destination de leurs voitures. Les voitures destinées au marché américain par exemple, sont alors construites dans le nord de l’Amérique.

« L’analyse de rentabilité de la fabrication en Europe doit être améliorée », explique à Euractiv Sigrid de Vries, directrice générale de l’Association des constructeurs européens d’automobiles (ACEA), le principal lobby de l’industrie automobile de l’Union européenne (UE).

Raison 2 : Pertes d’emplois et fermetures d’usines

La diminution du nombre de voitures produites en Europe signifie également la diminution du personnel nécessaire à leur construction.

Au total, 88 000 suppressions d’emplois ont été annoncées en 2024, selon les données d’Eurofound. Volkswagen, le plus grand constructeur automobile européen, compte supprimer de 35 000 emplois d’ici 2030. L’entreprise promet toutefois de ne pas licencier de personnel.

De toute manière, la main-d’œuvre de l’industrie automobile vieillit. Ces prochaines années, des milliers de travailleurs partiront donc à la retraite.

En outre, même les représentants des travailleurs reconnaissent l’existence d’une « surcapacité » . Volkswagen, par exemple, construit neuf millions de voitures par an avec 680 000 employés dans le monde. Alors que son rival japonais Toyota en construit autant avec seulement 375 000 employés.

« Il y a bien une crise, mais c’est une crise où le fardeau pèse moins sur les épaules des travailleurs que sur celles des fournisseurs et des petits acteurs de la chaîne de valeur », souligne Judith Kirton-Darling, secrétaire générale de la fédération syndicale européenne IndustriAll, à Euractiv.

Une voiture à moteur à combustion Volkswagen Tiguan (à gauche) et une voiture électrique Volkswagen ID. 7 se tiennent sur des plates-formes élévatrices à l'intérieur de l'une des tours d'exposition jumelles de l'usine Volkswagen, le 15 novembre 2024 à Wolfsburg, en Allemagne. ©Krisztian Bocsi/Getty Images
Une voiture à moteur à combustion Volkswagen Tiguan (à gauche) et une voiture électrique Volkswagen ID. 7 se tiennent sur des plates-formes élévatrices à l’intérieur de l’une des tours d’exposition jumelles de l’usine Volkswagen, le 15 novembre 2024 à Wolfsburg, en Allemagne. ©Krisztian Bocsi/Getty Images

William Todts, directeur exécutif de l’ONG Transport & Environment, a récemment remis en question l’existence d’une crise dans le secteur automobile en général, soulignant les profits records des constructeurs automobiles ces dernières années.

Ces profits ont été réalisés en « tirant le maximum du moteur à combustion interne ». Notamment en retardant les investissements dans l’électrification, explique Judith Kirton-Darling, ainsi qu’en « comprimant leur main-d’œuvre » en versant des salaires plus bas.

Le problème des pertes d’emplois est accéléré par le passage aux véhicules électriques. Avec moins de personnel nécessaire pour les assembler, des chaînes de valeur entières pour les pièces des moteurs à combustion interne disparaissent.

Aux côtés d’autres syndicats, IndustriAll souhaite un « moratoire dans toute l’Europe sur la mise au rebut des actifs industriels et les licenciements forcés afin de garantir un espace pour des solutions négociées pour chaque site et chaque travailleur ».

Sigrid de Vries n’est toutefois pas d’accord. « Je ne pense pas que l’industrie se contente de licencier ». Selon elle, les constructeurs automobiles « ne manquent pas d’efforts » pour essayer de recycler et de réemployer les travailleurs.

Raison 3: Le passage aux voitures électriques se fait au ralenti

Le principal point de désaccord est le passage à la mobilité électrique.

Bien qu’il y ait un consensus sur le fait que « la technologie dominante sera la voiture électrique ou la pile à combustible », comme l’a indiqué Sigrid de Vries, les chiffres de vente sont loin d’être à la hauteur des besoins.

« Cette transition est bien plus difficile que tout le monde ne l’imaginait ou ne le souhaitait », explique la directrice générale de l’ACEA.

« Les constructeurs automobiles font ce qu’ils peuvent » pour augmenter la part des voitures électriques. Le problème réside toutefois dans le fait que les consommateurs ne se sentent peu confiants pour acheter une voiture électrique. Principalement en raison du manque d’infrastructures de recharge.

« Nous ne sommes pas en présence d’une demande naturelle du marché pour ces véhicules », souligne-t-elle, arguant que, chaque fois que les subventions à l’achat ont été supprimées, la demande de voitures électriques s’est effondrée.

C’est ce qui s’est passé en Allemagne, où la fin de la prime pour les voitures électriques du jour au lendemain — au plus fort de la crise budgétaire — a entraîné une chute spectaculaire de la part des véhicules électriques.

Olaf Scholz, qui se bat actuellement pour un second mandat en tant que chancelier allemand, a demandé à l’UE d’intervenir. Pour cela, il a appelé à la mise en place d’un système de subvention à l’achat à l’échelle européenne. L’industrie automobile européenne a également fait pression dans l’espoir d’éviter les pénalités pour avoir vendu trop de voitures polluantes en 2025.

Le groupe Transport & Environment accuse toutefois les constructeurs automobiles d’être responsables de l’augmentation des prix des véhicules électriques. Car ils se sont concentrés sur les modèles haut de gamme les plus chers.

Alors qu’en 2025 les constructeurs automobiles comptent accorder des rabais sur les voitures électriques afin d’atteindre leurs objectifs en matière de CO2, l’ONG espère que la situation changera.

Mais « les constructeurs automobiles vendent déjà les VE [voitures électriques] à perte », explique Sigrid de Vries. « Vous pouvez donc travailler avec vos prix, mais vous ne pouvez le faire que pendant un certain temps ».

L’ACEA appelle l’UE à libérer les constructeurs automobiles des amendes qui les menacent en cas de non-respect des objectifs en matière de CO2. Cette demande est soutenue par Olaf Scholz et d’autres États membres de l’UE, dont la France, l’Italie et la République tchèque.

Dans sa « Boussole pour la compétitivité » dévoilée hier, la Commission s’engage à « identifier des solutions immédiates » aux amendes imminentes en « examinant les flexibilités possibles », « sans toutefois réduire l’ambition globale des objectifs de 2025 ».

Cela laisse entrevoir un compromis selon lequel les objectifs pourraient être comptabilisés sur plusieurs années, comme l’a proposé le ministre allemand de l’Économie, Robert Habeck.

La Commission européenne souhaite également « identifier des solutions immédiates » pour préserver la capacité d’investissement des constructeurs automobiles. Le tout « sans réduire l’ambition globale » de l’objectif de réduction des émissions de CO2 fixé par l’UE pour 2025, dans le cadre de sa campagne en faveur de la compétitivité industrielle.

Les syndicats, quant à eux, expriment leur sympathie pour les difficultés des constructeurs automobiles. « Si la demande ne pousse pas le parc automobile à changer, il est alors très difficile d’atteindre les objectifs », souligne Judith Kirton-Darling.

Selon elle, il était « urgent » que l’UE prenne des mesures pour augmenter la demande de voitures électriques, mais cela était « en contradiction fondamentale avec la politique macroéconomique que l’Europe poursuit actuellement, qui est l’austérité ».

Aujourd’hui, le langage de la Commission a été interprété comme si l’exécutif rencontrait les constructeurs automobiles à mi-chemin, et abandonnait une position ferme sur les pénalités. « Imposer des amendes dans la situation critique actuelle n’aide personne », explique Peter Liese, eurodéputé en charge de l’environnement pour le Parti populaire européen (PPE), ajoutant qu’« apparemment, la Commission pense également de cette manière ».

Un projet de document du PPE datant de décembre indique que les entreprises qui n’atteignent pas les objectifs en 2025 pourraient éviter les pénalités en atteignant les objectifs en 2026 et 2027.

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