Les capitales des États sont uniques. Elles reflètent l’histoire de chacun d’entre eux. Certaines sont le fruit d’une décision politique, comme Brasília au Brésil, ou d’une volonté de ne pas choisir une grande cité dont l’influence pourrait interférer avec les intérêts du reste du pays. C’est le cas d’Ottawa au Canada. Les pays centralisés comme la France ou le Royaume-Uni ont opté pour des capitales politiques qui sont également le cœur de l’économie nationale : Paris et Londres. À travers les continents, trois forces dominent : le contrôle du territoire, la neutralité politique, la représentation symbolique de la nation.
Le premier des critères : sécuriser et gouverner le territoire : le cas de Paris
Dans la plupart des pays européens, la capitale politique se situe dans un espace militairement défendable et central au regard du territoire. Paris a été choisie parce qu’elle se situe au cœur du Bassin parisien, loin, mais pas trop loin des frontières. Les rois de France avaient pour objectif de fixer celles-ci sur le Rhin. La capitale devait être suffisamment proche des champs de bataille tout en étant en retrait. Cette position fut préjudiciable au pays en 1814, 1870, 1914 et 1940 : Paris fut rapidement menacée par les forces arrivant de l’Est.
Le choix de Paris répondait également à la nécessité de se protéger des envahisseurs venus du Nord, les Vikings, et de l’Ouest, les Britanniques. Rouen, qui disposait d’atouts indéniables (proximité de la mer, présence d’un fleuve, carrefour de routes terrestres), souffrait d’être trop exposée face à la perfide Albion. Lyon, au centre du pays et à l’intersection de grandes routes commerciales, avait l’inconvénient d’être éloignée des zones de conquête. Marseille avait l’histoire pour elle mais demeurait mal reliée aux grandes agglomérations et ne disposait pas de terres agricoles riches comme Paris, entourée de la Beauce et de la Brie. La capitale française avait la capacité de nourrir une armée importante et de la déplacer rapidement vers les quatre points cardinaux.

Se méfiant de Paris, les rois installèrent longtemps leur pouvoir dans la vallée de la Loire. Région riche et au climat favorable, elle offrait au XIVᵉ siècle une position équilibrée : trop au sud pour être prise facilement, trop centrale pour être isolée. Ce choix était également politique : contrairement à la Normandie ou à la Bourgogne, la vallée ligérienne n’abritait pas de grands princes susceptibles de contester l’autorité royale. Les villes y étaient fidèles à la Couronne depuis Charles VII. Les rois souhaitaient en outre s’éloigner de Paris, réputée peu sûre et sujette aux frondes. La mobilité royale ne prit réellement fin qu’avec Louis XIV quand il décida de s’installer à Versailles. Depuis la Fronde, il avait une sainte horreur de Paris. Il aurait pu choisir Saint-Germain-en-Laye, sa ville natale, mais préféra un lieu marécageux entouré de forêts, à la fois proche de Paris et à distance des agitations urbaines. La réputation de Paris comme ville frondeuse, ville de révoltes et de révolutions se perpétua jusqu’en mai 1968.
En Europe, Madrid présente un profil proche de Paris : située au centre de la péninsule Ibérique. Elle permet de gouverner depuis un lieu protégé des puissances maritimes et des empires continentaux. En Russie, Moscou est une capitale de profondeur stratégique, loin des mers et éloignée des armées d’invasion tout en restant connectée à l’Europe centrale. En Chine, Pékin contrôle l’axe Nord de l’Empire, région décisive pour la survie des dynasties. Ces capitales sont des postes de commandement : leur choix traduit un impératif, tenir le territoire.
Le compromis pour préserver l’unité politique
Le choix de la capitale peut aussi viser à préserver l’unité d’un pays. Washington est ainsi un compromis entre Nord et Sud. Bruxelles équilibre Flandre et Wallonie. La Haye permet d’éviter une mainmise excessive du commerce, et donc d’Amsterdam sur les affaires des Pays-Bas. Ottawa a été privilégiée pour éviter une confrontation entre Montréal, francophone, et Toronto, anglophone : un choix de neutralité linguistique et politique.
Les capitales historiques ou symboliques
Certaines capitales sont choisies pour leur poids historique, même si elles ne sont ni centrales ni les plus peuplées ni les plus productives. Rome symbolise la continuité avec l’Empire romain pour un pays longtemps difficile à unifier. New Delhi incarne à la fois l’autorité impériale et la démocratie indienne. Rabat, capitale administrative créée sous le protectorat, est devenue un symbole de stabilité monarchique.
Les capitales conçues pour ouvrir le pays vers l’extérieur
D’autres villes se sont imposées comme capitales en raison de leur position géographique et de leur ouverture commerciale. Lisbonne appartient à cette catégorie. Située à l’embouchure du Tage, dans une baie naturelle, elle fut un point de départ idéal pour les grandes expéditions maritimes. Elle devint la capitale du Portugal au XIVᵉ siècle en supplantant Coimbra, mieux adaptée à une monarchie vouée à l’expansion navale. Dans cette catégorie figurent Stockholm, Copenhague, Oslo, Athènes, Londres ou Tokyo.
Les capitales construites par compromis : Canberra et Brasília
Plusieurs capitales sont le produit d’un compromis politique. C’est le cas de Brasília ou de Canberra.
À la fin du XIXᵉ siècle, quand l’Australie progresse vers la fédération (1901), Sydney, la plus ancienne et la plus peuplée, et Melbourne, capitale économique, se disputent le rôle de capitale. Aucune des deux ne pouvait être choisie sans provoquer une rupture politique. La solution fut donc la création d’une capitale neutre, située à distance comparable des deux villes. Le choix d’un site intérieur répondait aussi à des raisons de sécurité : en 1901, l’Australie craignait une attaque navale allemande, russe ou japonaise. Un concours international fut lancé en 1911 pour construire la nouvelle capitale, remporté par l’architecte américain Walter Burley Griffin.
Brasília répond à la même logique : corriger un déséquilibre territorial dans un pays dominé par les villes littorales (Rio, São Paulo, Salvador). Le Président Juscelino Kubitschek (1956–1961) concrétisa un vieux projet en lançant la construction d’une capitale nouvelle, symbole d’une république moderne. Brasília, ville sans passé colonial ni aristocratique, reflète l’ambition rationaliste du Brésil positiviste, avec Oscar Niemeyer et Lúcio Costa comme artisans.
Economie et politique associées ou dissociées
Paris, Londres et Tokyo se distinguent en cumulant les pouvoirs politiques et économiques. La région parisienne concentre 18 % de la population française, 30 % du PIB et la quasi-totalité des sièges sociaux. Londres concentre finance, population et pouvoir administratif. Dans d’autres pays, le pouvoir est moins concentré : en Allemagne, Stuttgart, Francfort, Hambourg, Munich ou Düsseldorf contrebalancent Berlin. En Chine, Shanghai, forte de 25 millions d’habitants, pèse trois fois Pékin en puissance d’exportation. En Inde, Mumbai, 20 millions d’habitants, génère à elle seule 6 % du PIB du pays. Au Brésil, São Paulo est un moteur industriel majeur du continent. Toronto, métropole la plus peuplée du Canada, incarne la puissance économique du pays. Madrid doit partager ce rôle avec Barcelone.

Une capitale n’est jamais un simple point sur une carte : elle est la cristallisation d’un rapport au territoire, d’une vision du pouvoir et d’une certaine idée de la nation. Certaines naissent des nécessités de la défense, d’autres d’un compromis politique, d’autres encore d’un geste symbolique destiné à inscrire un pays dans l’histoire ou dans l’avenir. Elles révèlent les fractures à surmonter, les ambitions à affirmer et les contraintes à dompter. En observant leurs choix, nous voyons se dessiner la manière dont les États se pensent, se protègent et se projettent. Les capitales sont capitales parce qu’elles racontent, mieux que tout discours, ce que chaque pays veut être et ce qu’il redoute de devenir.
Auteur/Autrice
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Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.
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