Pourquoi le modèle allemand bouscule les certitudes françaises ?

Pourquoi le modèle allemand bouscule les certitudes françaises ?

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Contribution de Mathieu Pouydesseau, entrepreneur français en Allemagne

Depuis le 7 juillet au soir, chaque groupe politique cherche des partenaires, des alliés, pour gouverner la France en inventant une majorité. Mais en France, cette situation semble encore « indétricotable » tant elle est rare dans notre pays depuis l’avènement de la Ve République. Pour autant, la création d’alliance pour diriger une nation est de « coutume » parmi bon nombre de démocraties. Ils existent donc des solutions.

LAllemagne a décidé de soutenir ses entreprises par des crédits dimpôts de 46 Mds€, et de ramener à 10% son taux dIS fédéral » déclarait Patrick Martin en séance inaugurale de la rentrée du MEDEF (Mouvement des entreprises de France) fin août, soulignant le pragmatisme économique outre-Rhin et l’urgence pour la France de repenser ses leviers de compétitivité.

À chaque rentrée économique et politique, le modèle allemand” revient comme une injonction implicite à réformer la France. Pourtant, derrière cette référence récurrente se cachent des divergences profondes dans les manières de travailler, de manager et de dialoguer.

En matière de temps de travail, la France s’appuie sur une norme législative (35h), tandis que l’Allemagne privilégie les temps partiels, notamment pour les femmes. En matière la fiscalité du travail, alors que les emplois qualifiés sont lourdement taxés en France à l’inverse de l’Allemagne à la fiscalité plus homogène, notre pays pénalise-t-elle ses talents ?

Prélèvement à la base, une majorité de la population qui paye des impôts, un taux d'impostion plus élevé : le modèle allemand est bien éloigné de son homologue français. © MAXPPP
Prélèvement à la base, une majorité de la population qui paye des impôts, un taux d'impostion plus élevé : le modèle allemand est bien éloigné de son homologue français. © MAXPPP

Temps de travail : deux modèles distincts

La gestion du temps de travail n’est pas comparable, dans l’entreprise comme au niveau des deux nations : alors que la France, culture romaine, valorise la norme législative avec les 35h, l’Allemagne, culture nordique, part du bureau à 17h, et incite fiscalement les femmes à des temps partiels en dessous de 27 heures. En France le nombre d’heures travaillées par actif est ainsi deux heures par semaine supérieur à l’Allemagne, qui compte également plus de jours fériés et d’arrêts maladie.  Si l’Allemagne compense le déficit d’heures travaillées par un plus fort taux d’activité, c’est aussi au prix d’une démographie en berne. 

Fiscalité du travail : une politique française contre-productive ?

La France a choisi de subventionner massivement les bas salaires, rendant les emplois peu qualifiés très attractifs grâce à des exonérations ciblées sur les rémunérations inférieures à 30 000 €. En revanche, les emplois qualifiés et bien rémunérés sont fortement taxés, avec des cotisations sociales pouvant atteindre 42 % du salaire brut.

Mathieu Pouydesseau, entrepreneur français en Allemagne
Mathieu Pouydesseau, entrepreneur français en Allemagne

À l’inverse, l’Allemagne applique une fiscalité plus homogène : l’impôt sur le revenu y est plus élevé dès les premiers niveaux de salaire, mais les cotisations sociales diminuent avec la rémunération. Les salariés hautement qualifiés sont considérés capables de financer eux-mêmes leur protection sociale, comme l’assurance maladie.

Conséquence : la France est pénalisée dans les comparaisons internationales. Les aides aux entreprises sont concentrées sur les secteurs les moins productifs et les moins qualifiés, tandis que les emplois à haute technicité deviennent trop coûteux pour les investisseurs étrangers. Il est donc juste de dire que les entreprises françaises sont parmi les plus aidées… mais que les emplois les plus stratégiques sont aussi les plus imposés.

Représentants du personnel : alliés stratégiques ou opposants systématiques ?

La conception du rôle des représentants du personnel diffère également. En France, ils sont souvent perçus comme des opposants systématiques aux directions. Le patronat n’a pas non plus de culture du compromis.

image illustration ©adobestock

En Allemagne, la cogestion fait des comités d’entreprise des partenaires intégrés aux décisions stratégiques, comme le rêvait avec audace Jacques Chaban-Delmas…en 1969 dans son projet de « Nouvelle Société » : participation, concertation et solidarité.

Deux visions du temps et du risque.

Le manager français est souvent à l’aise dans la gestion de crise. L’Allemand, lui, planifie, sécurise, mais néglige l’investissement nécessaire pour permettre des changements rapides. Là où le Français valorise lagilité et la hiérarchie, lAllemand mise sur la prédictibilité et le contrat

L’Europe peut-elle devenir le laboratoire d’un nouveau contrat social du travail ?

La France gagnerait à intégrer davantage de délégations aux niveaux intermédiaires, de stabilité managériale, et de culture du consensus en amont.  L’Allemagne, elle, pourrait s’inspirer de la créativité française, de sa capacité à contourner le cadre, à parier sur l’avenir. Dans un monde où l’innovation est aussi une affaire de gouvernance, ce dialogue est vital.

Au-delà des différences culturelles, un obstacle persistant demeure : labsence de cadre commun en droit du travail. Autant un travailleur détaché bénéficie d’un statut encadré fiscalement et juridiquement contraignant autant embaucher des salariés en France, en Allemagne ou en Espagne relève de régimes juridiques et de pratiques profondément différentes.

C’est aussi cela, une vraie Europe : une capacité à harmoniser les conditions de travail, sans uniformiser les cultures.  Et si ce qui unissait l’Europe était une histoire partagée et une volonté d’avenir ? 

 

Auteur/Autrice

  • Mathieu Pouydesseau

    Mathieu Pouydesseau est entrepreneur du numérique depuis 25 ans en Allemagne. Il mène de front activités économiques et engagement politique. Il a été à la tête d’organisations de 50 à 200 salariés avec des clients allant des PME-ETI aux grandes entreprises. Mathieu a une formation d’historien, fut conseiller du commerce extérieur de la France (CCEF) rattaché à Bercy et membre de l’Institut français des administrateurs (IFA). Mathieu est expert des questions du travail avec une vision d’ensemble sur la France et l’Allemagne. Avec sa formation d’historien, il écrit en faisant dialoguer les sociétés allemande et française.

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