Pourquoi la crise politique française n'est pas (encore) une crise économique ?

Pourquoi la crise politique française n'est pas (encore) une crise économique ?

Avant de perdre la confiance de l’Assemblée nationale lundi 8 septembre, François Bayrou avertissait le mois dernier que le « surendettement » représentait un « danger immédiat » pour la prospérité du pays. Le ministre des Finances, Eric Lombard, a même indiqué que l’explosion de la dette nationale pourrait contraindre Paris à demander un renflouement au Fonds Monétaire International (FMI).

Exacerbant le sentiment d’une catastrophe imminente, les coûts d’emprunt de l’État français sont désormais plus élevés que ceux de la Grèce, ce qui fait craindre que l’Europe ne subisse un effondrement économique bien pire que celui déclenché par la situation financière d’Athènes en 2009.

Les analystes notent toutefois que les risques imminents posés par l’augmentation des rendements obligataires et des niveaux d’endettement de la France sont largement exagérés. « Il est certain que la France est confrontée à une crise politique, mais pas à une crise financière », a déclaré à Euractiv Nicolas Véron, chercheur principal à Bruegel et à l’Institut Peterson pour l’économie internationale.

Les experts soulignent que l’inversion des rendements des obligations grecques et françaises est principalement due à une nette amélioration de la confiance du marché dans la Grèce, plutôt qu’à une détérioration de l’attitude des investisseurs à l’égard de la France. Le rendement de 3,41 % des obligations d’État françaises à 10 ans est également bien inférieur au taux d’intérêt de 3,50 % payé par l’Italie, qui n’est pas en situation de péril financier immédiat.

L’affirmation d’Eric Lombard selon laquelle Paris pourrait bientôt avoir besoin d’une intervention du FMI « n’a absolument aucun sens », selon Nicolas Véron. Il a ajouté que, dans le cas improbable où la deuxième économie de l’UE aurait besoin d’un renflouement, ce serait le Mécanisme européen de stabilité (MES), et non le FMI, qui viendrait à la rescousse de la France.

Vue sur les quais de Seine, la tour Eiffel et les quartiers historiques de Paris
Vue sur les quais de Seine, la tour Eiffel et les quartiers historiques de Paris. ©Frédéric Soltan/Corbis via Getty Images

Économie faible, politique fragile

Plutôt qu’un danger économique imminent, les experts avertissent que la crise politique insoluble de la France risque de freiner l’investissement et la croissance à long terme.

L’Assemblée nationale est divisée en trois blocs : gauche, centre et extrême-droite, qui resteront probablement profondément hostiles les uns aux autres, quel que soit le successeur de François Bayrou. Les sondages suggèrent également qu’aucune faction ne disposera d’une majorité parlementaire si, au lieu de nommer son cinquième premier ministre en deux ans, Emmanuel Macron convoque de nouvelles élections législatives.

« L’une ou l’autre voie injecterait une nouvelle incertitude dans un paysage politique déjà fragile » 

Charlotte de Montpellier, économiste senior chez ING Research

Selon le FMI, le PIB de la France ne devrait croître que de 0,6 % cette année, soit moins de la moitié de l’expansion de 1,4 % prévue par les économies avancées du monde. Le rythme de croissance de la France devrait aussi rester inférieur au taux d’expansion anémique de la zone euro jusqu’en 2027, les tensions commerciales mondiales et l’incertitude géopolitique infligeant de graves dommages aux secteurs de l’industrie manufacturière et des services du pays.

En plus d’entraver la croissance, l’instabilité politique de la France rend plus difficile la maîtrise du déficit et de la dette du pays, a estimé Maria Demertzis, qui dirige le centre de stratégie économique et financière du Conference Board Europe.

Selon les dernières prévisions de la Commission européenne, la France devrait enregistrer un déficit budgétaire de 5,6 % du PIB annuel cette année, soit près du double de la limite officielle de 3 % fixée par l’Union européenne. Le ratio dette/PIB de la France, qui s’élève à 114,1 %, est également près de deux fois supérieur au seuil de 60 % fixé par l’Union européenne.

« On peut se demander si la trajectoire de la dette peut rester viable », s’interroge Maria Demertzis, notant que le prédécesseur de François Bayrou, Michel Barnier, a été destitué après avoir échoué à faire passer un budget similaire de réduction des déficits l’année dernière.

« Il faut une voie crédible en termes économiques et politiques. C’est l’économie qui permettra d’y arriver, mais c’est la politique qui soutiendra cette voie. Mais si vous devez subir cette crise politique tous les ans et demi, ce n’est pas un problème facile à résoudre. »

Maria Demertzis

Une lueur d’espoir ?

Certains analystes ont toutefois suggéré que la crise politique française pourrait avoir un côté positif, dans la mesure où les niveaux élevés de la dette et du déficit du pays font désormais l’objet d’une discussion politique sérieuse.

« Il y a plus de 20 ans — on pourrait dire une génération, au moins — de laxisme fiscal en France. Il n’y a jamais eu de véritable moment d’assainissement budgétaire ou de correction de trajectoire. Le fait que la situation fiscale soit au cœur de la conversation nationale française est donc, je pense, une bonne chose, et non une mauvaise »

Nicolas Véron

Maria Demertzis a également fait remarquer que le moment actuel souligne à quel point il est essentiel que la France mette de l’ordre dans ses finances publiques, étant donné que les institutions financières de l’UE, en particulier le MES et la Banque centrale européenne, n’ont sans doute pas le poids nécessaire pour sauver l’économie française. Avec 3 000 milliards d’euros, elle est environ douze fois plus importante que celle de la Grèce.

« Le problème français, si je puis l’appeler ainsi, n’est pas non plus un petit problème : il met en évidence l’incapacité de l’UE à prendre le relais en cas de véritable crise »

Maria Demertzis

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