La France compte 67 millions de sélectionneurs de l’équipe de France de football ou de gouvernements, à la nuance près que peu souhaitent réellement occuper l’une ou l’autre de ses fonctions. Les Français ont tous des avis tranchés que ce soit pour les joueurs devant être sélectionnés ou pour le choix des ministres. Ils demandent que les femmes et hommes politiques taisent leurs divergences et privilégient l’intérêt général. Le problème est que celui-ci est polyphonique et que nul n’est d’accord pour en définir les contours.
Selon une enquête IFOP réalisée pour l’observatoire Hexagone visant à établir le budget idéal pour les Français, ces derniers ont majoritairement demandé une réduction des dépenses de retraite de 60 %, soit deux cents milliards d’euros, quand dans le même temps ils se sont opposés au report de l’indexation de 1,6 % des pensions en 2025 qui portait sur trois milliards d’euros. De même, unanimement, les Français réclament la suppression des niches fiscales à la condition qu’ils ne soient pas concernés. Ils demandent une augmentation des dépenses de santé, de sécurité, de défense, d’éducation, etc. mais refusent catégoriquement la réalisation d’économies. Le matin, en se levant, ils s’inquiètent de l’envolée de la dette publique tout en se répétant, dans la journée, qu’elle augmente depuis cinquante ans sans que cela ne change quoi que soit à leur vie. Ils en rejettent la responsabilité sur les autres, sur les élus jugés incompétents voire corrompus ainsi que sur les étrangers.
Le déficit de travail cerné par les chiffres et visible à l’œil nu ne donne pas lieu à un réel débat.
Dans l’un ou l’autre cas, dédouanement en forme de déni et défaut de responsabilités vont de pair. Le déficit de travail cerné par les chiffres et visible à l’œil nu dans la gestion au quotidien de nombreuses activités ne donne pas lieu à un réel débat, chacun restant campé sur ses positions. De même, en matière de retraite, majoritairement les Français veulent abroger la réforme de 2023, voire revenir à l’âge légal à 60 ans. Revendication compréhensible mais dont le financement reste une arlésienne.
Augmenter le coût du travail ne fera que et peser sur les rémunérations des salariés qui sont déjà faibles.
Augmenter le coût du travail ne fera que dégrader un peu plus la compétitivité de l’économie française et peser sur les rémunérations des salariés qui sont déjà faibles au vu des comparaisons internationales. Augmenter les impôts, certes, mais avec un taux de prélèvements obligatoires de 45 % du PIB, les marges sont faibles. Tout comme l’idée de taxer les ultra-riches est amplement partagée avec comme limite qu’ils ne sont pas nombreux et qu’ils sont mobiles.
L’autre voie serait de recourir à l’immigration permettant d’accroître le volume de travail, la croissance et les recettes publiques mais la population y est plutôt opposée.
Les échanges commerciaux sont également un sujet où l’émotion l’emporte sur la raison. Une majorité de Français est opposée aux accords de libre-échange comme celui du Mercosur, mettant en avant leurs dangers pour l’emploi, pour l’agriculture ou pour la culture. Ces critiques ne sont pas nouvelles. Elles ont été de mise lors de l’adoption du Traité de Rome en 1957 et plus récemment lors de la mise en œuvre du traité avec le Canada. Pourtant, in fine, la France tire profit de ces accords en termes d’exportations et de production. Les invasions de bovins en provenance du Canada ou de Nouvelle Zélande n’ont pas eu lieu. Que les secteurs pouvant souffrir des traités de libres échange soient accompagnés, c’est logique, qu’ils en empêchent la signature en pénalisant d’autres activités l’est moins. L’Union européenne étant justement une Union, les Etats membres sont censés réaliser des concessions, ne pouvant faire, en permanence, prévaloir leurs seuls intérêts. La France a par ailleurs tout à gagner à ce que l’Allemagne exporte davantage vers l’Amérique latine car il ne faut pas l’oublier qu’elle est notre premier partenaire économique en Europe.
Evidemment, certains pourraient rêver de courir en solitaire mais ils seront rapidement prisonniers des réalités, le poids de l’économie française ne dépassant guère les 3 % du PIB mondial.
Un monde globalisé où l’illusion d’un isolement protecteur n’a plus sa place
En démocratie, les divisions sont naturelles le pluralisme étant une de ses caractéristiques fondamentales. Les forces politiques sont amenées à s’en nourrir tout en s’en extrayant pour fixer une ligne. Le Parlement est logiquement un lieu d’expression et de dépassement de ce pluralisme. La démocratie suppose de la part de ses acteurs le respect des institutions, des différents pouvoirs et des opinions. Il suppose de leur part de la vertu. L’Assemblée nationale, dans son actuelle tripartition, représente assez fidèlement la fragmentation de la société française. La démocratie française, riche de son pluralisme et de ses débats passionnés, demeure confrontée à une double exigence : celle de concilier l’intérêt général avec des aspirations souvent contradictoires, et celle d’agir avec lucidité dans un monde globalisé où l’illusion d’un isolement protecteur n’a plus sa place.
Comme l’écrit Ivo Andrić dans Le Pont sur la Drina : « Le pont ne jugeait pas ceux qui le traversaient, qu’ils soient victorieux ou vaincus. Il offrait simplement son passage. » Ce pont, symbole de permanence et de lien, illustre l’essence même de la démocratie : un espace où les divisions et les divergences peuvent coexister, mais où un passage commun doit toujours être trouvé. La démocratie exige de ses acteurs un effort constant pour dépasser les postures partisanes et intégrer une réalité complexe où les sacrifices collectifs s’avèrent souvent nécessaires pour maintenir un équilibre fragile. À l’image de ce pont, elle doit résister aux torrents des passions humaines tout en unissant les rives d’une société fragmentée, offrant à chaque génération l’opportunité de construire et de transmettre, plutôt que de céder aux divisions. Plus qu’un régime politique, elle reste un exercice permanent de réconciliation entre les aspirations individuelles et les nécessités collectives.
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