Plafond des prix du gaz : la proposition de la Commission est « une blague », même pour ses défenseurs

Plafond des prix du gaz : la proposition de la Commission est « une blague », même pour ses défenseurs

La Commission européenne dévoilait mardi 22 novembre une proposition de plafond des prix du gaz « inopérante » pour un certain nombre d’observateurs et États membres. D’autres y voient un moyen d’amorcer des négociations.

Un certain nombre d’États membres, acteurs économiques et politiques, réclament depuis quelques mois un plafonnement sur le marché européen pour maintenir les prix du gaz à des prix acceptables. Ils ont récemment baissé, mais après s’être emballés furieusement après un déséquilibre dû à la crise pandémique aggravée par l’arrêt des approvisionnements russes.

Aujourd’hui, les prix remontent (autour de 117€/MWh) à la faveur des problèmes de production que rencontre la Norvège, tandis que l’Europe commence à frissonner. La Commission a donc une solution : un plafond, dont les conditions d’application laissent songeurs les chercheurs, acteurs économiques, politiques et syndicalistes.

Triple conditions inatteignables

La Commission propose que le plafond s’active si le prix du MWh sur l’indice TTF (référence pour 80% du marché de l’UE) dépasse les 275€ pendant deux semaines d’affilée et que l’écart avec le prix mondial du GNL est égal ou supérieur à 58€.

Seulement voilà, si le MWh a déjà atteint 275€, il n’est jamais resté à ce prix deux semaines d’affilée.

« Même au plus fort de la manipulation gazière de [Vladimir] Poutine, en août dernier (turbine de Nord Stream), le prix n’était pas resté plus d’une semaine au-delà des 275€/MWh… »rappelait Phuc-Vinh Nguyen, chercheur en politique énergétique près l’Institut Jacques Delors.

De plus, la mesure ne sera valable qu’un an à partir de son entrée en vigueur, précise un responsable européen. Elle ne couvrira en outre que les produits mensuels, soit seulement « 22% » des échanges sur le TTF, 18% des échanges européens.

La commissaire à l’Énergie Kadri Simson ne s’en étonne pas et précise bien qu’il s’agit là d’un « mécanisme de dernier ressort pour prévenir et, si nécessaire, traiter les épisodes de prix excessivement haut ».

Cette proposition n’en reste pas moins « une blague » déclare Simone Tagliapietra, chercheur près le think tank économique Bruegel. « Nous avons maintenant un plafond qui ne plafonne pas. Un plafond bruxellois »s’amuse Javier Blas, journaliste spécialisé en énergie chez Bloomberg.

En l’état, la mesure « ne protège absolument pas ‘des hausses trop rapides’ du gaz en Europe » commente Nicolas Goldberg, senior manager Energy près le cabinet de consulting Colombus, contrairement à ce que défend le commissaire au Marché intérieur, Thierry Breton, monté au créneau mercredi matin sur LCI pour défendre la proposition de l’exécutif européen.

Elle « risque » même « de stimuler la spéculation au lieu de la freiner » craint le ministre de l’Environnement italien Gilberto Pichetto dans une interview à SkyTg24.

Pour la France, le constat est sans appel : la Commission doit « réviser très significativement à la hausse son ambition » qui, actuellement, ne répond pas à la « réalité du marché », avance le ministère de la Transition énergétique.

Le problème viendrait d’ailleurs plutôt de la non-couverture de l’ensemble des marchés que du prix du plafond, plaide-t-il également. Position que défend aussi l’Association française du gaz, contactée par EURACTIV France à ce sujet et qui fait savoir qu’elle réunira jeudi après-midi (24 novembre) pour partager avec l’industrie gazière son analyse et son positionnement.

Ouverture des négociations

Mais M. Goldberg relativise. Ce plafonnement « inopérant » est une façon de « continuer les discussions » confie-t-il à EURACTIV France. « Charge aux États membres de discuter entre eux du niveau », ce que ces derniers feront jeudi lors du conseil réunissant les 27 ministres de l’Union chargés de l’Énergie.

« La Commission va entendre des choses très dures demain de la part de la grande majorité des ministres », prévient Teresa Ribera, ministre de l’Énergie d’une Espagne qui attendait impatiemment, tout comme 14 autres États membres déclarés, une proposition de plafond.

Mais pour elle aussi, la proposition actuelle est « une blague », une « définition de faire ‘quelque chose’ que l’on ne veut pas faire » complète Jude Kirton-Darling, secrétaire générale adjointe du syndicat de l’énergie, des mines et de l’industrie européens IndustriAll Europe.

Rien d’étonnant pour un diplomate européen qui confiait à EURACTIV que l’exécutif européen faisait tout pour « considérablement retarder  » le processus.

Évidemment, « si on garde ce niveau, c’est totalement inopérant », concède M. Goldberg. C’est pourtant la position que pourraient défendre les « pays du Nord », réticent à un plafond.

Selon eux, un plafond pourrait en effet « pénaliser les livraisons en volume, ce qui est la priorité, en particulier pour l’industrie allemande » conclut l’analyste.

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