L’« accélération » de la réduction de la dette que souhaite le gouvernement est-elle ambitieuse et compatible avec le financement de la transition verte ? Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes, fait le point pour EURACTIV et Lesfrancais.press sur la santé budgétaire française, les réformes européennes pour favoriser la solvabilité des États membres, et les outils nécessaires à une transition verte juste.
Pierre Moscovici est Premier président de la Cour des comptes, et président du Haut Conseil des finances publiques. Il a notamment été commissaire européen aux Affaires économiques et financières (2019-2024) et ministre de l’Économie de la France (2012-2014).
EURACTIV France : La Cour des comptes publiait jeudi (29 juin) son analyse de la situation et des perspectives des finances publiques françaises. Quels enseignements retenez-vous ?
Pierre Moscovici. Les finances publiques françaises sont très dégradées.
En 2022, le déficit budgétaire était de l’ordre de 4,7 points de PIB, tandis que la dette dépassait les 111 % du PIB.
Ces niveaux sont plus élevés que dans la majorité des États européens.
2023 devait être une année de redressement, mais ce sera vraisemblablement une année blanche, malgré la volonté du gouvernement d’accélérer la réduction de la dette. Dans le rapport présenté jeudi, nous anticipons une augmentation du déficit à 4,9 points de PIB, tandis que la dette baissera à 109,6 points de PIB, essentiellement du fait de l’inflation.
Enfin, le Programme de stabilité français pour les années 2023-2027, qui guide l’action du gouvernement en matière de finances publiques, est basé sur des hypothèses économiques que le Haut Conseil des finances publiques estime optimistes, avec une croissance potentielle supérieure au consensus.
L’effort de désendettement de la France se fait attendre.
Comment expliquer une telle dégradation ?
Les crises des dernières années, et la sortie lente du « quoi qu’il en coûte », nous ont empêché de redresser nos finances publiques.
En outre, la préférence collective pour la dépense publique, très marquée en France, n’a pas été levée. En cinquante ans, la France n’a jamais réduit ses dépenses ! En 2001, la France et l’Allemagne avaient exactement le même niveau de dette publique, à 58 points de PIB. En vingt ans, la dette allemande a augmenté de huit points, celle de l’Italie de 36 points et la nôtre de 53 points !
Enfin, la dette n’est pas gratuite : en période d’inflation et d’augmentation des taux d’intérêt, la charge de la dette française augmente. Elle est passée des 20 milliards d’euros de l’époque des taux quasi-négatifs à 74 milliards d’euros en 2027.
Doit-on se préparer à une nouvelle « cure » d’austérité ?
Absolument pas ! Ce n’est pas la bonne réponse. Le désendettement permettra au contraire de financer les investissements nécessaires dans la transition écologique, la défense, la santé, l’éducation, ou encore le numérique. Préparer l’avenir est sa raison d’être.
Par où commencer ?
Pour trouver les 60 milliards d’euros d’économies nettes à horizon 2027 que la Cour des comptes juge nécessaires, nous avons besoin de procéder à une vraie revue des dépenses publiques.
La prise de conscience de l’impératif du désendettement est chose faite après les Assises des finances publiques : tant mieux ! Maintenant, nous devons opérer une analyse profonde de la totalité des politiques publiques, avec une approche ouverte, dans la durée, exigeante, et qui inclut la société civile.
Une telle revue des dépenses serait une révolution culturelle.
Le rapport Pisani-Mahfouz préconise plus de 60 milliards d’euros de dépenses, privées et publiques par an à l’horizon 2030 pour la transition écologique. Cet objectif est-il contradictoire avec la nécessité de réduire la dette publique ?
Le rapport Pisani-Mahfouz a permis d’établir que la transition écologique aura un coût très élevé. Les chiffres avancés, environ 34 milliards d’euros par an d’argent public, sont peu contestés. Cette dépense est vitale, elle ne peut être évitée.
Pour la financer, il faut être audacieux et innover. Cela exige que nous ayons un grand débat, sans totems ni tabous, car c’est une question de société.
Si nous décidons de recourir à de la « dette écologique », alors un désendettement supplémentaire à celui qui est déjà nécessaire est à identifier. C’est une question de crédibilité.
Comment rendre socialement acceptables des mesures, surtout fiscales, qui peuvent être socialement dures ?
Le rapport Pisani-Mahfouz aborde ce sujet. La crise des gilets jaunes ne condamne pas la fiscalité écologique, elle met en exergue la nécessité de compenser ses effets pour ceux qui en sont les plus touchés.
Si nous devions nous endetter pour financer la transition écologique, s’agirait-il là d’une « bonne dette » ?
L’endettement pour la transition écologique est plus légitime que celui contracté pour des dépenses de fonctionnement. Pour autant, c’est une dette ! Refusons d’empiler la bonne dette sur de la mauvaise dette.
Face à la crise climatique, et en guise de réponse à l’Inflation Reduction Act (IRA), l’UE a assoupli les règles relatives aux aides d’État, et se dote d’une plateforme de financement européen. Ces mesures sont-elles adaptées ?
L’IRA est un grand défi pour l’Europe, car il risque d’attirer les investissements outre Atlantique, mais surtout, à travers cet outil, les États-Unis agissent pour le verdissement de leur économie. Nous devons le faire aussi.
Les mesures mises en œuvre sont un bon début, au moment où la réponse européenne doit être à la hauteur sans être protectionniste.
La Commission européenne a vocation à guider les États membres. Elle le fait déjà en matière climatique, le « Green Deal » aura été la colonne vertébrale de cette mandature, il sera nécessairement au cœur de la prochaine.
La Commission a présenté fin avril une réforme du Pacte de stabilité et de croissance (PSC), qui permettrait la mise en œuvre de plans de réduction de dette plus spécifiques à chaque État membre. Est-ce une bonne chose ?
J’y suis d’autant plus favorable que j’avais entamé le mouvement dès 2014 lorsque j’étais commissaire à l’Économie et aux Finances. Avec Jean-Claude Junker, nous avions introduit la notion de flexibilité dans l’appréciation des finances publiques nationales. Cela nous avait permis de ne pas sanctionner l’Espagne, le Portugal ou encore l’Italie, ce qui aurait pu empirer leur situation.
Les règles du PSC n’étaient pas adaptées avant la crise sanitaire, elles ne le sont pas davantage après.
La proposition de réforme de la Commission va dans le bon sens en adoptant une approche moins procyclique, plus lisible, économiquement cohérente et spécifique à chaque État.
Elle renforce aussi le rôle des institutions indépendantes comme le Haut Conseil des finances publiques, puisque chaque État membre devra analyser la soutenabilité de sa dette publique.
L’Allemagne souhaite rétablir des « critères communs » pour assurer une réduction effective de la dette dans chaque pays. Cet ajout est-il le bienvenu ?
C’est aux ministres européens de négocier entre eux. Viser une réduction de la dette d’un point de PIB par an pour les pays les plus endettés, comme le demande l’Allemagne, n’est pas insurmontable. Pour autant, il n’est pas indispensable de l’inscrire dans les textes : c’est avant tout une volonté politique.
Un récent rapport du Conseil d’orientation des retraites (COR) a établi que la réforme des retraites n’était probablement pas suffisante pour résorber le déficit du système de retraites. En janvier, la même institution expliquait que les dépenses de retraites étaient maîtrisées. Est-ce que ce type de décalage nuit à la lisibilité du débat public ?
Le COR fournit des chiffres étayés et nourrit le débat public : il ne faut pas l’instrumentaliser. Pour la Cour des comptes, qui n’a pas à se prononcer sur les choix politiques opérés, il est important que le système soit équilibré. Il l’est davantage depuis la réforme et jusqu’en 2030. La question n’est pas évacuée pour toujours.
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