Le 3 mai dernier, l’OPEP+, qui représente 40% de l’offre mondiale de brut, a annoncé une augmentation de sa production de 411 000 barils par jour (bpj) à compter du mois de juin, soit trois fois plus que ce qu’anticipaient les analystes. Cette hausse équivaut à 0,4 % de la demande mondiale. Sans surprise, l’annonce a provoqué une baisse du cours du pétrole. Le baril est brièvement passé sous la barre des 60 dollars, frôlant ses plus bas niveaux depuis quatre ans. L’OPEP+ a justifié cette décision par des « fondamentaux de marché sains ». Une explication que les analystes jugent peu crédible.
Face aux tensions commerciales récentes, source de ralentissement de la croissance mondiale, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a abaissé de 400 000 bpj sa prévision de demande mondiale pour la fin 2025. Par ailleurs, plusieurs producteurs non-membres de l’OPEP+, notamment les États-Unis, augmentent leur production. Avant même l’annonce du 3 mai, les prix du brut avaient déjà reculé de 25 % depuis la mi-janvier.
Conjuguer prix bas et volumes faibles est intenable pour de nombreux pays
Depuis 2016, l’OPEP+ applique des quotas stricts pour soutenir les prix. La production du groupe avait ainsi été réduite de près de 6 millions de barils par jour. En décembre dernier, l’organisation avait annoncé une diminution progressive de ces restrictions, à raison de 122 000 bpj par mois à compter d’avril. Pourtant, le cartel a désormais décidé de relever sa production de 411 000 bpj, décision confirmée pour le mois de juin. Les pays membres peuvent supporter des volumes faibles si les prix sont élevés, ou des volumes élevés si les prix sont bas. En revanche, conjuguer prix bas et volumes faibles est économiquement intenable pour de nombreux pays confrontés à des besoins budgétaires élevés.
Le poids du cartel sur les prix mondiaux tend à diminuer. Une réduction d’un million de barils par jour ne provoque plus qu’une hausse de 4 dollars du baril, contre 10 dollars en 2023 et 20 en 2022. L’OPEP+ estime donc pouvoir accroître sa production sans déclencher un effondrement brutal des cours.
Au-delà des considérations économiques, l’Arabie saoudite, chef de file du groupe, cherche à sanctionner les membres qui ne respectent pas les quotas. L’Irak, le Kazakhstan et les Émirats arabes unis ont dépassé leurs plafonds depuis des mois. Ils ont certes promis des coupes compensatoires, mais Riyad semble avoir perdu patience. Dotée d’un fonds souverain puissant et d’un accès facilité aux marchés obligataires, l’Arabie saoudite estime pouvoir mieux encaisser un choc sur les prix que ses partenaires plus vulnérables. Elle entend punir les tricheurs pour reprendre ensuite la main sur le marché. Cette stratégie a déjà été utilisée, notamment en 1986 et en 2014.
Les tricheurs plieront-ils face à l’Arabie saoudite ?
Pour l’instant, la chute des prix reste limitée : les marchés anticipent une hausse saisonnière de la demande cet été. Mais de nouvelles hausses de production, ou même des signaux en ce sens, pourraient faire chuter les prix sous les 50 dollars le baril. Un tel scénario menacerait la rentabilité du pétrole de schiste américain, fragilisant ainsi un allié stratégique des Saoudiens. Il compromettrait également les équilibres budgétaires russes, rendant plus difficile le financement de l’effort de guerre pour un autre membre de l’OPEP+.
Les tricheurs plieront-ils face à l’Arabie saoudite ? Rien n’est moins sûr. Le 23 avril dernier, Erlan Akkenzhenov, le ministre kazakh de l’Énergie, a déclaré que son pays ferait primer ses intérêts nationaux sur ceux du cartel. Et même en cas de revirement politique, la production kazakhe reste largement entre les mains de compagnies pétrolières internationales, dans un contexte où l’État contrôle peu directement les volumes extraits.
En somme, la partie de poker engagée par Riyad ne fait que commencer. En relevant sa production dans un contexte de demande affaiblie, l’Arabie saoudite ne se contente pas de jouer avec les curseurs du marché : elle impose un rapport de force, à la fois économique et politique, au sein d’un cartel fracturé. Face aux tricheurs, Riyad renoue avec une vieille tactique – provoquer la douleur pour rappeler qui tient la manette. Mais cette stratégie, efficace hier, pourrait s’avérer risquée demain. Car le monde du pétrole a changé : l’influence de l’OPEP+ s’effrite, la transition énergétique s’accélère, et les marges de manœuvre budgétaires s’amenuisent pour les pays du Golfe.
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