Si les difficultés budgétaires de la France et son instabilité politique générale sont préoccupantes, il est peu probable qu’elles conduisent à une crise de la zone euro similaire à celle déclenchée par l’effondrement financier de la Grèce il y a plus de dix ans, d’après les analystes.
La suggestion émise par le Premier ministre Michel Barnier selon laquelle la zone euro pourrait « exploser » si son budget de réduction du déficit n’était pas adopté, n’est guère étayée, selon les experts — soulignant le fait que Paris, contrairement à Athènes, n’a pas menti sur son déficit fiscal et n’a pas fait défaut sur sa dette.
Ils ont également noté que l’avertissement de l’ancien négociateur de l’Union européenne (UE) pour le Brexit — réitéré dans un discours devant les députés lundi 2 décembre — est possiblement une tentative de faire pression sur les blocs politiques, en particulier le Rassemblement national (RN), pour qu’ils soutiennent son projet de 60 milliards d’euros de réductions de dépenses et d’augmentations d’impôts.
« En fin de compte, on pourrait se retrouver dans une situation où les marchés deviennent plus nerveux, donc je pense que [Michel Barnier] a raison de s’inquiéter », a confié à Euractiv Sander Tordoir, économiste en chef au Centre for European Reform, à Londres. « Mais dessiner un scénario apocalyptique vraiment sombre — [c’est] juste un outil politique pour rappeler à tous les partis en France qu’ils doivent trouver une solution. »
Lundi, le Premier ministre a activé l’article 49.3 de la Constitution pour faire passer la partie de son budget relative à la sécurité sociale sans vote parlementaire, s’exposant ainsi à une motion de censure de la part des députés de gauche et de droite.
Cette motion de censure — qui pourrait entraîner la démission de Michel Barnier trois mois seulement après son entrée en fonction — devrait probablement être votée mercredi.
Les rendements des obligations françaises à 10 ans s’élevaient à 2,91 % lundi soir, soit un peu plus que le taux de 2,89 % enregistré à l’ouverture des marchés plus tôt dans la journée.
La semaine dernière, les rendements des obligations grecques à 10 ans sont tombés en dessous de ceux de la France pour la première fois. Les obligations grecques s’échangeaient à peu près au même niveau que les obligations françaises lundi soir.
Les analystes ont toutefois minimisé l’importance des récents développements sur le marché des obligations, certains rappelant que les rendements des obligations grecques avaient frôlé les 40 % lors de la crise de la dette souveraine de la décennie précédente.
« Les rendements français ne sont pas encore incroyablement élevés », a affirmé Sander Tordoir, continuant « [qu’]ils ont convergé vers les rendements grecs à dix ans, mais cela reflète principalement une amélioration incroyable et impressionnante sur le front grec plutôt qu’une détérioration massive sur le front français ».
L’évaluation de l’économiste a été reprise par Nicolas Véron, chargé de recherche pour le think tank Bruegel, à Bruxelles, et au Peterson Institute for International Economics, à Washington.
« Nous connaissons une forte instabilité politique, cela ne fait aucun doute », a tranché Nicolas Véron, « mais je ne pense pas que nous soyons en territoire d’instabilité financière à ce stade ».
Un débat budgétaire plus large
Le conflit budgétaire de la France s’inscrit dans un débat plus large sur les risques que les niveaux élevés de déficit et de dette font peser sur la stabilité financière de la zone euro.
Selon les dernières prévisions de la Commission européenne, qui se basent sur la proposition de budget de Michel Barnier, le déficit budgétaire de la France passera de 6,2 % du PIB cette année à 5,3 % l’année prochaine, ce qui représente une baisse significative, mais reste bien supérieur à la limite de 3 % fixée par l’Union européenne.
La Commission européenne estime en outre que le ratio dette/PIB annuel de la France passera de 112,7 % cette année à 115,3 % l’année prochaine, ce qui la poussera encore plus loin du seuil de 60 % fixé par l’Union européenne.
Le mois dernier, la Banque centrale européenne (BCE) a averti que les déficits et les niveaux d’endettement élevés constituaient une menace croissante pour l’économie de la zone euro.
« Des niveaux d’endettement et des déficits budgétaires élevés, associés à un faible potentiel de croissance à long terme et à l’incertitude politique, augmentent le risque que les dérapages budgétaires ravivent les inquiétudes du marché quant à la viabilité de la dette souveraine », a déclaré la BCE.
Sander Tordoir a fait remarquer que l’avertissement de la BCE devrait être interprété comme « un signal d’alarme » pour encourager les États membres à s’attaquer à leurs niveaux d’endettement et à leurs déficits élevés, plutôt que comme un avertissement de l’imminence d’un effondrement financier.
« Je pense que le fait qu’une institution de l’UE, en l’occurrence la BCE, alerte sur ce problème fait partie de cette discipline, qui inclut une pression des pairs [et] une discipline de marché », a-t-il expliqué.
La Commission européenne, qui a annoncé la semaine dernière que Paris avait défini une « trajectoire budgétaire crédible » pour garantir la conformité avec les nouvelles règles budgétaires de l’Union, s’est montrée relativement optimiste quant à l’impasse budgétaire de la France.
« Les amendements au projet de budget au cours du débat parlementaire qui s’ensuit ne sont pas rares, car il reste la prérogative des parlements nationaux de proposer et de discuter des amendements aux projets de budget, et finalement de voter le budget », a réagi un porte-parole de l’exécutif de l’UE à Euractiv.
De leur côté, les États membres ont exprimé leur plus grande inquiétude quant aux difficultés fiscales de Paris.
« Ayant vu les effets que la crise de la dette grecque a eus sur l’UE, on ne peut qu’imaginer la vague massive qui s’abattra sur nous si la France entre en crise », a confié un diplomate de l’UE.
La stratégie « machiavélique » d’Emmanuel Macron ?
Les évènements de lundi ont eu lieu alors que Michel Barnier avait déjà fait plusieurs concessions au RN au cours de la semaine dernière pour tenter de faire adopter son budget, y compris l’abandon d’un projet de taxe sur l’électricité et des coupes dans les remboursements médicaux.
Le RN a toutefois demandé que d’autres mesures soient supprimées, notamment une proposition visant à retarder l’indexation des pensions sur l’inflation.
Claus Vistesen, économiste en chef de la zone euro chez Pantheon Macroeconomics, a déclaré que le président Emmanuel Macron, dont la décision de convoquer des élections législatives rapides en juin a déclenché la crise politique actuelle en France, est possiblement en train de « jouer à la poule mouillée » avec la dirigeante du RN, Marine Le Pen.
Selon Nicolas Véron, la mise en garde de la BCE suggère qu’il existe un large accord parmi les responsables politiques européens sur l’importance de maintenir la discipline budgétaire.
« [Emmanuel] Macron essaie de donner à [Marine] Le Pen suffisamment de corde pour qu’elle puisse se pendre », a-t-il estimé. « Il pourra alors dire : “Écoutez [Marine] Le Pen avait une chance. Il y avait un budget. Nous lui avons donné quelques morceaux de viande. Mais elle a quand même choisi de le rejeter. Elle ne peut pas gouverner” ».
Claus Vistesen a ajouté que la France payait « un prix relativement élevé » pour la stratégie « machiavélique » d’Emmanuel Macron.
« L’écart [entre les obligations allemandes et françaises] se creuse et la France perd beaucoup de crédibilité. Cela n’est donc pas sans coût », a-t-il conclu.
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