Toute la planète n’a d’yeux que pour les J.O. Paris en fête, « Reine du monde ». Oubliés les ingérences russes, les espions, les fake news ; oubliés les sabotages des voies ferrées, les touristes bloqués, les grillages, les barrières, les QR codes, les ponts fermés, les menaces d’attentats : la Seine, transformée en piste de cirque, avec danseurs, funambules, pianos en feu ou détrempé, cheval métallique et drag queen à gogo, a mené en bateau un milliard de téléspectateurs et des milliers d’athlètes jusqu’à la tour Eiffel.
Le commandant de la Garde républicaine, Frederic Foulquier a dansé, avec Aya Nakamura, sur les rythmes de Djadja : « C’était incroyable pour nous, cette rencontre entre deux mondes (…) On a immédiatement perçu que le show était réussi. Tout le monde était aux anges ».
Critiques et éloges sont compétition entre « élites bourgeoises » plus ou moins cultivées que toute querelle amuse.
Ils s’amusaient les anges, goûtant ou non les provocations, dans un ciel de Paris illuminé comme jamais, berçant la vasque olympique débordant de feu d’or sa montgolfière. Bien sûr, tout n’était pas réussi. Bien sûr, c’était un show télévisé, une parade. Bien sûr, il y a des polémiques, des ratés, des clichés. Et puis ? On peut préférer Jean Genet à Benjamin Constant, ou l’inverse, écrivit le second. Critiques et éloges sont compétition entre « élites bourgeoises » plus ou moins cultivées que toute querelle amuse. Le principe des jeux, de la fête, c’est forcément l’audace, l’excès, le bon et le moins bon. Il en faudra plus désormais. Qu’est-ce que l’on va imaginer pour les J.O. d’hiver dans les Alpes : Mahomet en danseuse étoile du patinage artistique ? Déjà vu. Avec mille célébrités, des milliers de champions, à l’évidence, la seule star, c’est Paris.
Quelques pays ont censuré telle ou telle scène. Paris censuré ! Eh bien Paris a osé, comme, en leur temps, le French cancan ou Michou. Ils avaient l’air heureux, les athlètes, reçus comme les invités du Roi Soleil un soir de pluie, avec des masques et des bouffonneries ; jamais ville ne leur avait accordé une telle voie triomphale : la Seine.
Désormais, personne n’accueillera plus les Jeux dans un stade. Le monde défilait, un monde en joie, malgré la pluie, autant de larmes oubliées dans la joie : Toutes les délégations agitaient les drapeaux, émues.
Souriaient les réfugiés, les Syriens, les Iraniens, les Palestiniens, les Israéliens, les Vénézuéliens, les Haïtiens, Soudanais, Ukrainiens, autant de peuples malheureux, meurtris. À regretter que les Russes ne soient pas là, eux aussi, pour voir que le monde peut être autre chose que la guerre, le poison et la prison.
Oubliés les malheurs du monde, la bêtise, la misère, la guerre… Les obèses affalés dans les canapés, la corruption du CIO, les dopages, les tricheries…
Oubliés les dévoiements du sport, les obèses malheureux affalés dans les canapés à commenter les exploits sportifs, (15% de la population mondiale selon l’OMS, un tiers d’Européens obèses), les tristes écoles où l’on dresse des enfants dans l’espoir d’en faire des champions cousus d’or ; oubliés la corruption du CIO, de la FIFA, les achats de voix, les dopages, les tricheries, la course aux médailles de dirigeants avides de gloriole ; oublié tout ce qui est malsain dans le sport business depuis que les Jeux ont renoncé à l’amateurisme, depuis que les Etats achètent des clubs de foot, que le loto broie vrais et fausses stars. Pour un moment, les images, les lumières, les regards naïfs gommaient un drôle de monde, pas très différent des mondes d’avant.
« Du pain et des jeux », tranchaient les Romains pour contenter, de peu, le peuple. Des jeux, il y en a. Du pain, cette année, un peu moins.
« Du pain et des jeux ». Pour la première fois la malnutrition a augmenté dans le monde.
Depuis 1900, depuis que les Jeux sont les Jeux, hormis les périodes de guerre mondiale, la formidable révolution économique industrielle a permis de nourrir de mieux en mieux la planète, avec une population passant de 1,6 milliard à huit milliards aujourd’hui. Échec monumental, pour la première fois la malnutrition a augmenté dans le monde. L’objectif du Millénium des Nations Unies, éradiquer la faim d’ici 2030, ne sera pas atteint. En cause : les guerres, la perturbation des circuits de distribution, la « démondialisation ». La part de la population mondiale en état de malnutrition était de 12,7% en 2000. Elle a baissé jusqu’à 7, 5% en 2019. Elle augmente, depuis le Covid, atteint, 9,2%. 22,5 % en Afrique.
Il en faudrait peu, pourtant, pour éviter la malnutrition : 12 milliards par an, selon la Banque mondiale. Ce n’est pas l’argent qui manque. C’est le système, l’organisation, l’inadéquation des systèmes politiques. On a beau dire, dans les démocraties, on a moins faim. Amartya Sen a expliqué la mécanique de pouvoir entre la démocratie et la disparition de la famine en Inde.
Le G20 propose de taxer les riches pour réduire la misère. Des taxes, pour qui ? Pour les vraies gens ou pour les dirigeants ?
Au Brésil, le G20 propose de taxer les riches pour réduire la misère. Tout le monde applaudit. Pauvre idée, en fait. Les taxes ne créent pas de richesse. La démagogie ne rend pas les pauvres plus riches. Derrière cette bonne volonté de réduire les inégalités frappantes et scandaleuses, la volonté des Etats de se renforcer. Des taxes, pour qui ? Pour les vraies gens ou pour les dirigeants ? Pour acheter du pain ou des armes ? Démonstration est faite que les meilleurs systèmes d’allocations sont ceux qui vont directement aux personnes, qui ne passent pas par des organismes de coopération ou des Etats.
En vérité, à nouvelle économie, nouvelle fiscalité, nouveaux circuits de distribution. C’est l’ensemble des systèmes fiscaux qu’il faut repenser, des systèmes de financement pour lutter contre la misère. C’est possible, nécessaire. Tout enfant mal nourri, au-delà de son malheur, est une chance qui s’amenuise pour le monde.
Démonstration est faite que les meilleurs systèmes d’allocations sont ceux qui vont directement aux personnes.
Les J.O. ont saisi Paris. Aucun incident, aucun attentat, pour l’instant : Un exploit. La foule fait partie du spectacle. Paris est devenu théâtre. Images planétaires, émotion reine, l’immédiat gouverne, la peur de l’immédiat aussi. D’où une société de contrôle, de surveillance. C’est ce monde étrange qu’il faut penser. Un drôle de mélange étonnant, détonnant. Ce qui est vrai pour le sport spectacle l’est aussi pour l’économie et la géopolitique. On ne reviendra plus jamais aux Jeux d’avant, confinés dans un stade. On ne reviendra plus jamais au sport amateur. On ira toujours plus haut, toujours plus vite, toujours plus fort. Qu’on le veuille ou non. Beaucoup rêvent de revenir en arrière, de faire une pause, parce que le monde est de plus en plus compliqué à comprendre, de plus en plus perturbant. Les solutions ne sont pas dans la maîtrise et le surcontrôle, plutôt dans le pari d’accepter la pluie pendant une fête de quatre heures en plein air. Et d’inventer. Surtout de nouvelles ressources.
Oser, se tromper, accepter l’orage et les critiques, accepter l’imprévu, danser malgré tout. « Paris, reine du monde » chantaient Misstinguett il y a un siècle (qui se souvient d’elle ? sic transit gloria mundi). Paris fait le pari d’un monde ouvert au monde, un monde, grossier, subtil, drôle et tragique, le nôtre.
Laurent Dominati
a. Ambassadeur de France
a. Député de Paris
Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press
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