Pannes diplomatiques

Pannes diplomatiques

Tous les sites web dédiés aux publics des ambassades, consulats et représentations françaises, y compris celui de l’Assemblée des Français de l’étranger, sont tombés en panne, il y a quelques jours. Au bout de quelques heures, le ministère a fait savoir qu’un serveur avait provoqué cette défaillance mondiale. Libre à chacun de croire qu’il n’y avait pas de système de secours alternatif. Si le gouvernement veut croire à cette explication, son affaire devrait être alors de rechercher les responsabilités d’une telle incurie. Sinon, il doit – et je crois que c’est ce qu’il fait- renforcer son arsenal dans la cyberguerre qui a déjà commencé. 

Comme les nouvelles formes de guerre n’effacent pas les anciennes, l’opération Orion, qui a réuni 12000 hommes, dont 17000 étrangers sous commandement français, mimait un « entraînement virtuel à la guerre de haute intensité ». Originalité : si deux divisions sont engagées dans Orion, l’une est virtuelle ; il s’agit de tester les capacités de commandement, de liaison, de coordination. Belges, Allemands, Espagnols sont physiquement présents, Britanniques et Américains ne le sont que virtuellement.

Aux opérations de terrain, la guerre moderne anticipe le cyber, l’espace, l’information. Anticipe-t-elle aussi une panne mondiale de tous les postes diplomatiques ? 

Il n’y a pas si longtemps, la diplomatie française était reconnue pour son excellence. L’influence de la France, par son action diplomatique, sa capacité d’intervention militaire, son réseau culturel, était disproportionnée par rapport à son poids démographique et économique. Est-ce que cela était utile à la France ? Sans doute. A L’Europe ? Certainement. Au monde ? Incontestablement, car les positions françaises étaient équilibrées, défendaient les principes de liberté et de dignité.

« C’est normal. Vous êtes la France » 

Après un coup d’Etat au Honduras, jeune ambassadeur, j’avais été choisi par le pouvoir comme par l’opposition, et par mes collègues, pour négocier un retour à la démocratie. Celui avec lequel je négociais me disait, dans un excellent français : « C’est normal. Vous êtes la France : supériorité du pouvoir civil sur le pouvoir militaire. Droits de l’Homme ». J’ai même été appelé à haranguer officiers et soldats dans les casernes : la voix de la France. Dans la banlieue, une école créée par un médecin, en terre cuite, s’appelait « República francesa ». Personne n’y parlait français, mais ils avaient appris la Marseillaise. Les Lycées français se multiplient dans le monde. La langue française gagne, naturellement, et pas à cause de cette organisation malade qu’est devenue l’OIF. Les principes vantés par la France, quoi que fassent les thuriféraires post fascistes ou post communistes des régimes autocratiques, progressent dans la conscience universelle. L’armée française entend aussi regagner en puissance. Pourtant l’influence française recule. 

On ne peut pas tendre la sébile et tenir le haut du pavé. L’économie française est atone. La dette publique, 700 milliards de plus qu’il y a cinq ans, nous fait passer du côté des pays fragiles. Sans l’Allemagne et la BCE, la France serait soumise à une cure d’austérité gravissime. Et à une crise sociale. La BCE, en rachetant les titres de dette des États entre 2015 et 2021, a permis à la France d’économiser une centaine de milliards d’euros ces dernières années.

On devrait manifester contre les fauteurs de dette   

L’agence de notation internationale Fitch a abaissé la note française. La signature de la France s’affaisse. Les taux d’intérêt sont montés à 3%, ce qui provoque mécaniquement une augmentation du remboursement de 17 milliards par an. Bien plus que l’économie faite par la réforme des retraites. On devrait manifester contre les fauteurs de dette ! Si l’on veut « combattre la finance internationale », comme le disait Hollande, alors il faut un budget en équilibre. L’inconséquence du « toujours plus de dépenses » n’a comme parallèle que l’inconséquence des « souverainistes » qui prétendent qu’une France isolée de ses alliés serait plus forte. Pas de puissance ni d’influence sans finance. Demandez à Athènes, Elisabeth d’Angleterre, Richelieu.

A l’impasse budgétaire, s’ajoute l’impasse diplomatique  

Mais il n’y a pas que la dégradation financière, économique. A l’impasse budgétaire, s’ajoute l’impasse diplomatique. Pour l’Europe, l’ambition présidentielle était affirmée dans le discours de la Sorbonne. Aujourd’hui, le bilan européen est alarmant. L’autonomie stratégique, fortement revendiquée, suscite la méfiance alors qu’elle est une évidence. Les pays de l’est européen considèrent que la France n’est pas fiable. L’Allemagne, les États-Unis, le Royaume-Uni non plus. Même la Suisse. Mille maladresses ont saboté cette urgente nécessité. La récente sortie taïwanaise de Macron en est l’illustration, elle explique à quel point la « stratégie indopacifique » de la France est peu solide, malgré la mise en œuvre de manœuvres navales dans la Pacifique, malgré la présence régulière de la marine dans le détroit de Taïwan (la France est le seul pays européen à être présent en Asie, plus d’un million et demi de Français y vivent). Explique aussi pourquoi les Australiens préfèrent les Etats-Unis à la France ; pourquoi l’Inde, premier pays du monde par sa population, n’entend pas plus que le Brésil les arguments géopolitiques français sur la Russie ou l’Ukraine. Mais le Maroc ou la Tunisie écoutent-ils plus ?  

Quant à la Chine, entre deux voyages présidentiels, le déficit commercial a été multiplié par deux, et la France est apparue manipulée dans les mains de l’Empereur du milieu. S’il se passe quoi que ce soit à Taïwan, « évidemment nous ne ferons rien », laisse entendre la France, pour reprendre la lamentable expression de Cheysson, ministre de Mitterrand, sans doute inspiré par son conseiller Puisais, agent du KGB, lors du Coup d’état en Pologne qui envoya Walesa en prison.

Impasses en Europe, faux pas en Asie, retraites en Afrique, absences aussi au Moyen-Orient   

Tout cela vient de loin : d’un manque de stratégie. Impasses en Europe, faux pas en Asie, retraites en Afrique. Absences aussi au Moyen-Orient, malgré la présence militaire : Liban, Syrie, Israël, Irak, ne sont plus que d’anciennes places fortes de l’influence française. Vendre des armes aux Emirats et en Arabie ne fait pas une politique étrangère, mais mène à une étrange politique, la France est aussi bien à l’écart des « Accords d’Abraham » que du virage saoudien vers la Chine et la réconciliation avec l’Iran. Quant à l’Amérique latine, elle reste en friche, ce qui, il est vrai, n’est pas nouveau, alors qu’elle est le continent le plus proche de la France par sa latinité, et par ses frontières : la plus grande frontière de la France est avec le Brésil, par la Guyane, gangrénée par le narcotrafic. Cela mérite de regarder l’Amérique latine autrement que selon le seul prisme de l’Amazonie. 

Pourtant la France peut s’appuyer non seulement sur un réseau culturel, un soft power bien ancré, mais aussi sur une force militaire qui reste parmi les plus efficaces. On l’a vu lors de l’évacuation de 1000 personnes (dont 216 Français) du Soudan. Seules la France, le Royaume-Uni (et les États-Unis) patrouillent dans le détroit de Taïwan et affirment ainsi la liberté de navigation. 

Jamais les dépenses militaires n’ont été aussi élevées dans le monde : 2240 milliards en 2022. + 13% en Europe, effets de la guerre d’Ukraine. La loi de programmation militaire devrait confirmer la capacité militaire de la France. Il n’y a pas de bonne diplomatie sans appui militaire. Mais aucune politique ne peut se définir seulement par la puissance, fixer les objectifs ne dépend pas des soldats. On l’a vu en Afrique.

Il faut un « reset » au ministère des Affaires étrangères  

Lors de l’évacuation de nos ressortissants du Soudan, les moyens opérationnels ont été à la hauteur. La cellule de crise du Quai a réagi promptement. Pourtant, les témoignages recueillis interrogent. Est-on vraiment préparé, dans les différents pays, consulats, ambassades, aux crises ? Les pannes de tous les sites informatiques de tous les consulats, toutes les ambassades, en même temps, révèlent plus que de la défaillance. Cela mérite une enquête. 

Soudan
Evacuation de Français et Européens du Soudan en avril 2023 ©AFP

Il faut un « reset » au ministère des Affaires étrangères. La bonne volonté ne suffit pas. Un reset stratégique, un reset opérationnel. Voilà un beau défi qui pourrait mobiliser toutes les ressources du Quai, toutes ses intelligences et compétences. Encore faut-il le demander.

Laurent Dominati
Laurent Dominati

Laurent Dominati

a. Ambassadeur de France

a. Député de Paris

Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press

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