En 2023, une bouteille de Château d’Yquem valait 60 % de plus qu’en 2015. À l’époque, tous les produit de luxe connaissait des augmentations à deux chiffres faisant le bonheur des grands groupes comme LVMH, Kering ou Hermès. De 2015 à 2023, l’indice des investissements de luxe publié par le cabinet immobilier Knight Frank s’était envolé de 70 %. Depuis son sommet de 2023, l’indice a reculé de 6 %. Les grands crus classés de Bordeaux — Lafite-Rothschild, Margaux et consorts — ont perdu près de 20 %. Aux États-Unis, les prix des jets privés et des yachts ont baissé de 6 %. Les Rolex d’occasion se négocient près de 30 % en-dessous de leurs niveaux de 2022. Le marché de l’art contemporain est en berne. À Londres comme à Paris, les logements “prime” reculent. À San Francisco, une villa de la fameuse Billionaires’ Row, affichée 32 millions de dollars il y a deux ans, cherche aujourd’hui preneur à 26 millions.
La banalisation du luxe
La baisse du marché du luxe ne s’explique pas par celle du nombre de milliardaires ni par le recul de leurs revenus. Selon Forbes, leur nombre est de plus de 3 000 dans le monde, contre 2 800 l’an dernier. Les 0,1 % d’Américains les plus riches détiennent désormais 14 % du patrimoine des ménages — un record depuis plusieurs décennies.
Contrairement aux ménages modestes, les 3,3 % d’Américains les plus aisés ont accru leurs dépenses depuis 2022. Le ralentissement ne vient donc pas d’un appauvrissement des riches, mais de l’économie même du luxe en mutation rapide.
Le marché du luxe repose sur deux piliers : la rareté et la rivalité. Un bien n’est véritablement luxueux non pas parce qu’il est cher, mais parce que sa possession empêche les autres de l’obtenir. Le problème, pour les ultra-riches, est que les biens d’exception ne le sont plus vraiment. Des dizaines de domaines produisent désormais d’excellents vins. Le meilleur Bordeaux vaut-il encore tant mieux que les autres ? Les diamants de laboratoire sont identiques aux naturels.
Avec un peu d’argent, il est possible de s’offrir une veste Kiton d’occasion ou d’affréter un jet privé pour quelques heures. Le monde de l’art expérimente la “fractionnalisation” : plusieurs centaines d’investisseurs peuvent désormais détenir ensemble un fragment d’un tableau de Rembrandt. La tokenisation de l’art aboutit à la banalisation des œuvres. Les plaisirs jadis réservés à quelques-uns se sont démocratisés et, surtout, affichés sur les réseaux sociaux. Le raffinement est devenu reproductible. Ces biens ne sont plus rares, ni vraiment enviables. Le luxe en se banalisant ne relève plus du « luxe », et avec lui, le désir qu’il suscitait s’amoindrit.
L’exclusivité d’un service ou d’un produit
Les riches se tournent donc vers d’autres horizons : plus grands, plus exclusifs, plus personnels. Les riches comme le reste de la population se détournent des biens matériels pour des services et des univers plus immatériels. Assister à un concert des Rolling Stones en statut VIP offrant droit à une rencontre avec Mick Jagger prime désormais sur la possession d’une Ferrari ou d’une Porsche. Les billets du Super Bowl ont doublé en quelques années. La hausse des prix des services de luxe obéit à la même logique que le déclin des objets de luxe : la rareté absolue.
L’hôtellerie de luxe l’a bien compris. Les palaces offrent des suites avec des piscines privées et avec des vues impossibles comme sur la Tour Eiffel ou l’Arc de Triomphe à Paris. Avec moins de 200 chambres, le Bristol à Paris illustre cette soif d’identité de la part des riches, la demande excède largement l’offre, ce qui a permis de multiplier par deux le prix d’une nuit en six ans. En période de déclin démographique et de lutte contre l’immigration, le personnel de maison devient une denrée rare aux États-Unis. Aux États-Unis, le salaire d’un employé de maison a ainsi augmenté de 50 %. À Palm Beach, en Floride, certains gagnent plus de 150 000 dollars par an. Les Philippins sont particulièrement recherchés.
La finale de la prochaine coupe du monde devrait être l’occasion d’une nouvelle envolée des tarifs. Il en sera de même pour les prochains concerts de Taylor Swift ou des Stones. Pour ces derniers, la rareté sera d’autant plus présente que la probabilité que cela soit la dernière tournée augmente.
Auteur/Autrice
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Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.
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