Pas question d’imaginer un salaire minimum commun aux Vingt-Sept, mais plutôt un cadre garantissant des revenus décents aux travailleurs les plus pauvres, assure le commissaire européen à l’Emploi. Un article de notre partenaire Euractiv.
L’idée fait tiquer les pays nordiques, qui craignent un alignement des revenus vers le bas… La Commission européenne veut rassurer : la création d’un salaire minimum européen ne vise qu’à « créer un cadre » pour garantir aux travailleurs les plus pauvres un niveau de revenu décent. Elle doit adopter, ce mardi 14 janvier 2020, à Bruxelles, un texte sur lequel les partenaires sociaux auront six semaines pour plancher. Entretien avec Nicolas Schmit, commissaire européen à l’Emploi et aux droits sociaux.
Que va proposer la Commission européenne, cette semaine, en matière de rémunération des travailleurs européens ?
Ce mardi 14 janvier nous allons adopter un texte, qui servira à consulter les partenaires sociaux et les employeurs sur le projet d’établir un cadre légal pour les salaires minimums en Europe.
Les partenaires sociaux auront à peu près six semaines pour émettre leurs commentaires, leurs propositions, leurs idées. Puis la Commission reprendra sa copie, la retravaillera et lancera une nouvelle consultation des partenaires sociaux. Elle précisera alors ses intentions, sans pour autant fournir un texte définitif. Ce n’est qu’à l’issue de cette deuxième consultation, qui devrait se terminer en avril, que nous présenterons un projet ou une proposition de directive au Parlement européen – la nature du texte n’est pas définitivement arrêtée. Pourra alors s’ouvrir une consultation publique, plus large.
Faut-il craindre un alignement des salaires vers le bas ?
Finie l’époque où l’Europe parlait de réduire les salaires minimums ! Nous voulons une convergence sociale vers le haut : rétablir la valeur du travail, avec des salaires justes. Tout l’enjeu étant de faire en sorte que les gens qui travaillent ne connaissent pas, en même temps, la pauvreté.
Plusieurs pays, notamment les Nordiques, n’y croient pas…
L’idée de salaire minimum légal suscite beaucoup de peur chez ceux qui n’en ont pas (Suède, Finlande, Danemark, Italie, Autriche, Chypre). Là, tout passe par des négociations collectives. Nous ne toucherons pas à ce modèle : nous allons même encourager la conclusion de conventions collectives partout. Dans les pays où le niveau de rémunération est très faible, c’est le meilleur moyen de protéger les travailleurs. Le salaire minimum est un outil par défaut : il s’appliquera notamment dans les États qui ont intégré l’Union récemment. Comme en Europe centrale, où beaucoup de salariés échappent à ces négociations collectives et où le dialogue social n’est même pas encore sérieusement établi.
Y a-t-il trop de disparités pour envisager un salaire minimum commun ?
Nous n’allons pas fixer un salaire minimum pour toute l’Europe, mais une méthode pour parvenir à des systèmes de salaires équitables. Il faut faire en sorte qu’ils soient adaptés au coût de la vie, mais aussi à l’évolution économique, à l’amélioration de la productivité… En Europe, vous avez un écart de productivité globale des pays de 1 à 3. L’écart, pour les salaires minimums, se situe de 1 à 5 voire 6. C’est ce fossé-là que nous voulons corriger.
L’idée est-elle bien de fixer un cadre, avec un minimum à 60 % du salaire médian (la moitié des salaires se situant au-dessus, l’autre moitié en dessous) ?
Oui, mais cela ne suffit pas. En France, le Smic atteint ce niveau. Dans mon pays, le Luxembourg, nous sommes en-dessous… mais c’est parce que les salaires y sont très élevés ! A l’inverse, il y a des États où ce taux est déjà atteint, mais où les gens vivent mal car les salaires y sont globalement très bas. Il faut donc prendre en considération toute l’évolution des salaires, dont le « minimum » n’est qu’un élément. En Croatie, où le « minimum » tourne autour de 400 €, les jeunes partent dans l’espoir de mieux gagner leur vie ailleurs. Même problème en Bulgarie et en Roumanie…
Instaurer un salaire minimum européen suffira-t-il à les retenir ?
Non, mais c’est toute une dynamique. Le salaire minimum est un déclencheur : si vous l’augmentez, les autres salaires suivent. Si un jeune peut s’assurer une vie décente dans son pays, il sera moins enclin à le quitter. Les choses bougent déjà en Pologne et au Portugal, où de fortes augmentations des salaires minimums sont annoncées.
Est-ce la clef pour éviter une concurrence déloyale entre les États ?
Si la divergence sociale s’accroît, la solidarité des États membres s’affaiblira. Nous avons besoin de convergence économique, mais aussi sociale. Les accusations faites à l’Europe de favoriser le dumping social, avec le détachement de travailleurs, sont dangereuses.
Cette question du salaire minimum s’inscrit dans le cadre, plus large, du socle social européen ?
Oui, nous allons d’ailleurs aussi adopter, cette semaine, notre feuille de route pour l’Europe sociale. La présidente de la Commission, Ursula Von der Leyen, a annoncé sa volonté d’élaborer un plan d’action sur le socle des droits sociaux. Avec vingt principes clefs, dont le salaire minimum, mais aussi la question de la formation et des compétences ; la protection sociale ; l’égalité, notamment salariale… L’écart entre les salaires des hommes et des femmes demeure de 16 % en moyenne, dans l’Union européenne. Mais il est bien supérieur dans certains pays…
Pour tous ces sujets, nous consulterons nos partenaires sociaux, le Parlement européen, mais aussi les parlements nationaux.
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