Musk, un roi aux pieds d’argile.

Musk, un roi aux pieds d’argile.

Depuis de nombreuses années, Elon Musk réussissait tout ce qu’il entreprenait, défiant les lois de l’économie et des affaires. Il a ainsi fait de Tesla la première capitalisation boursière du secteur de l’automobile. En 2024, cette dernière est devenue la première entreprise mondiale de production de véhicules électriques. Elle se classe au 8e rang de son secteur d’activité pour le chiffre d’affaires et au 4e rang pour la marge opérationnelle. SpaceX est devenue la première société aérospatiale du monde. En 2024, SpaceX a réalisé plus de 90 lancements orbitaux — un record mondial — avec des fusées réutilisables (Falcon 9, Falcon Heavy), contre 6 pour Ariane Espace. SpaceX domine désormais le marché des lancements commerciaux : satellites, constellations, vols habités privés ou pour la NASA. Sa valorisation dépasse 180 milliards de dollars. De son côté, Starlink, l’entreprise d’Elon Musk spécialisée dans les télécommunications, dispose de plus de 7000 satellites. Starlink est le leader incontesté du marché de l’Internet par satellite.

L’empire d’Elon Musk, l’homme le plus riche du monde, n’est cependant pas sans faille. Les deux principales entreprises qui soutiennent son empire, Tesla et SpaceX — représentant environ 90 % de sa valeur et probablement la totalité de ses bénéfices — sont confrontées à une concurrence de plus en plus vive. En 2024, SpaceX a réalisé cinq lancements spatiaux sur six dans le monde. Grâce à sa division Starlink, elle détient 60 % des satellites en orbite. En décembre, elle a vendu des actions sur la base d’une valorisation de 350 milliards de dollars, soit deux tiers de plus que son niveau précédent. Starlink, sa principale source de profits, est en passe de générer plus de 11 milliards de dollars de chiffre d’affaires cette année. Ainsi que 2 milliards de dollars de flux de trésorerie disponible. Cependant, les prises de position iconoclastes de son dirigeant inquiètent désormais les clients de SpaceX à l’heure où ses concurrents gagnent en puissance.

Des craintes de dépendance excessive

Ses menaces intermittentes de mettre fin au soutien de Starlink à l’Ukraine suscitent des craintes de dépendance excessive. La fiabilité d’Elon Musk en tant que fournisseur à long terme de communications stratégiques par satellite est mise en doute. La recherche d’alternatives a contribué à plus que quadrupler le cours de l’action d’Eutelsat, qui développe OneWeb, un fournisseur européen de services satellitaires à haut débit. Pour le moment, aucun fournisseur européen ne peut rivaliser avec les 7 000 satellites en orbite basse de Starlink. Eutelsat n’en possède, en effet, que 600. Aucun n’est capable d’afficher des prix aussi bas que Starlink.

Certes, aux États-Unis, le projet Kuiper d’Amazon pourrait à terme faire de l’ombre à Starlink. Cette entreprise prévoit de placer plus de 3 000 satellites en orbite basse, créant ainsi un réseau spatial haut débit. Si cet objectif est atteint, certains clients hors des États-Unis pourraient changer de fournisseur. Jeff Bezos, fondateur d’Amazon, conscient de l’opportunité de prendre des parts de marché à son concurrent, accélère le rythme des lancements avec Blue Origin. Son entreprise de fusées est indépendante du projet Kuiper, mais a conclu des contrats pour lancer plusieurs de ses satellites. En janvier, la fusée New Glenn de Jeff Bezos a atteint l’orbite du premier coup. Si Blue Origin parvient à effectuer plusieurs vols réussis avec des fusées réutilisables, elle pourrait devenir un concurrent sérieux de SpaceX.

Parmi les autres entreprises capables de placer des satellites figure Rocket Lab, qui, en nombre de lancements, est la plus proche de SpaceX. Elle prévoit de commercialiser un nouveau lanceur, Neutron, capable de rivaliser avec les fusées d’Elon Musk.

La valeur boursière de Tesla a chuté de près de moitié.

Tesla est, pour sa part, confrontée depuis plusieurs mois à des vents contraires. Après avoir atteint un pic de 1 500 milliards de dollars mi-décembre, sa valeur boursière a chuté de près de moitié. Des activistes ont manifesté devant les showrooms Tesla aux États-Unis et en Europe. En effet, des dégradations de magasins et de véhicules ont été constatées, les utilisateurs de Tesla allant jusqu’à être menacés.

Des appels au boycott ont été lancés dans plusieurs pays, notamment en Allemagne, après les prises de position d’Elon Musk en faveur de l’AfD. En mars 2025, les ventes de Tesla ont baissé en France de 37 %, marquant le troisième mois consécutif de recul. En Suède, une baisse de 64 % des ventes a été enregistrée en mars. Du côté de l’Allemagne, la chute a atteint 76 % en glissement annuel en février 2025.

La valeur boursière de Tesla a chuté de près de moitié.
La valeur boursière de Tesla a chuté de près de moitié.

Au-delà des déclarations politiques d’Elon Musk, Tesla affirme faire face à une concurrence de plus en plus vive dans le secteur des véhicules électriques. L’avance de l’entreprise sur ce marché se réduit. General Motors a vendu 50 % de véhicules électriques de plus qu’en 2023 et rivalise désormais avec le Sud-Coréen Hyundai pour devenir le deuxième fournisseur américain de véhicules à batterie. Bien que Tesla reste leader du marché, RBC Capital Markets — banque d’investissement historiquement optimiste pour Tesla — prévoit que sa part des ventes de véhicules électriques en Amérique du Nord chutera à 53 % en 2025, contre 68 % deux ans plus tôt.

Les marges bénéficiaires sont en baisse, l’entreprise réduisant ses prix pour faire face à la concurrence. Le rappel de la quasi-totalité des Tesla Cybertruck aux États-Unis, en raison de problèmes liés à la colle utilisée pour fixer les panneaux extérieurs, nuit à l’image d’une marque qui mettait en avant la fiabilité de ses modèles. Ces derniers, justement, commencent à vieillir. Leur attractivité diminue. L’absence de réseau de garages constitue également une faiblesse, d’autant que le coût des réparations reste élevé.

BYD surpasse Tesla sur le plan technologique

En difficulté en Europe, Tesla l’est aussi en Chine. BYD, son principal concurrent, détient 15 % du marché automobile, soit plus du triple de celui du constructeur américain. L’an dernier, son chiffre d’affaires a dépassé celui de Tesla pour la première fois depuis 2017, franchissant la barre des 100 milliards de dollars. BYD surpasse Tesla sur le plan technologique. Le 18 mars dernier, l’entreprise chinoise a dévoilé un système capable de recharger un véhicule électrique en cinq minutes, soit bien plus rapidement que Tesla.

BYD entend aussi concurrencer Tesla dans le domaine de la conduite autonome. Le système d’assistance à la conduite de l’entreprise américaine oblige encore le conducteur à garder les mains sur le volant et à rester attentif. Les partisans optimistes de Tesla considèrent l’évolution vers les niveaux 4 et 5 — la conduite véritablement autonome — comme la prochaine étape pour révolutionner les transports. Près des trois quarts de la valorisation prévisionnelle de Tesla reposeraient sur la création de flottes de véhicules autonomes. Fin mars, BYD a surpris les professionnels du secteur automobile en lançant une technologie avancée d’assistance à la conduite, baptisée « God’s Eye », sans surcoût. Cette annonce a coïncidé avec le lancement par Tesla d’une version chinoise simplifiée de son système de conduite semi-autonome (FSD), facturée environ 9 000 dollars — soit le prix du véhicule le moins cher de BYD. Les prix pratiqués par BYD et les avancées des constructeurs traditionnels en matière de conduite autonome ont conduit certains analystes à revoir à la baisse leurs prévisions de valorisation à long terme pour Tesla.

Les nouveaux atouts de Musk

Elon Musk conserve toutefois quelques atouts pour résister à la montée de la concurrence. La fusée Starship de SpaceX, encore en phase de test, pourrait transformer le secteur spatial en permettant la mise en orbite de constellations bien plus vastes que celles rendues possibles par la Falcon 9, actuel vaisseau amiral de l’entreprise. Par ailleurs, les droits de douane de 25 % sur les importations de voitures, annoncés par Donald Trump le 26 mars, pourraient pénaliser moins Tesla que ses concurrents, l’entreprise assemblant ses véhicules aux États-Unis.

Elle espère également percer dans le domaine des robots humanoïdes. Elle collabore avec xAI, l’entreprise d’intelligence artificielle fondée par Elon Musk. Cette dernière a levé 10 milliards de dollars pour une valorisation de 75 milliards.

Le réseau de communication X aurait levé des fonds à hauteur de 44 milliards de dollars, soit le prix payé par Elon Musk. Ce réseau entend s’imposer comme un outil de communication incontournable à l’échelle mondiale. Mais aussi à contribuer à la diffusion de la « bonne parole » de son président. Le 20 mars dernier, Elon Musk a galvanisé ses équipes en leur fixant de nouveaux objectifs. Produire en moins de cinq secondes un « Robotaxi », ainsi que 5 0000 robots humanoïdes par an dès 2026. Il estime que la déréglementation facilitera son activité et l’augmentation de la valeur de ses entreprises.

Si Tesla et SpaceX ont bouleversé leurs secteurs respectifs, elles n’échappent pas à la loi du marché ni aux tensions géopolitiques, aux contraintes réglementaires ou encore à la montée en puissance de concurrents souvent plus discrets mais redoutablement efficaces.

Les prises de position politiques clivantes d’Elon Musk, son goût du choc médiatique et sa vision parfois messianique de l’avenir peuvent fragiliser la confiance indispensable au succès de ses entreprises. Des rumeurs circulent sur son éventuel départ de la Maison Blanche afin qu’il puisse reprendre réellement la direction de Tesla. Cette rumeur accrédite à la fois les difficultés de cette entreprise et la difficulté de mener de front une carrière politique et entrepreneurial de premier plan.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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