Ce pourrait être le nom d’une ONG : « Murs sans frontières », dans laquelle tous les douaniers pourraient se donner la main, de la Biélorussie au Mexique, du Maroc à la Hongrie. 2000 migrants manipulés par l’un des derniers dictateurs d’Europe auront mobilisé 15.000 soldats polonais, (et 10 soldats britanniques), plus encore de commentateurs. Ainsi l’Europe aurait-elle été menacée par le cynisme de Loukachenko, et sa propre hypocrisie : soit elle accueillait les migrants, conformément à ses discours « droit de l’hommistes », soit elle les repoussait tous les deux. Surtout, elle devait se dissocier : les uns prônant la fermeture des frontières (les Polonais), les autres l’accueil (l’Allemagne de Merkel en 2015). Comme personne ne s’est vraiment proposé de les accueillir, l’Union ne s’est pas disloquée, Poutine n’a pas pu jouer les médiateurs, et Loukachenko a renvoyé les pauvres migrants chez eux.
Ils reviendront, par une autre voie, un autre pays, d’autres passeurs. Onze sont morts, seulement. En 2015, la photo d’un enfant avait ému le monde et ouvert la porte à un million de réfugiés.
En Méditerranée, des milliers tentent la traversée, la plupart réussissent, de nombreux se noient. Dans la Manche, la crise diplomatique (assez absurde) entre le Royaume-Uni et la France s’alimente de boat-people. Pourtant, loin de la Biélorussie, ensemble, en 2016, ils avaient construit un mur « antimigrants » sur l’autoroute de Calais. Un exemple, car cela ne suffit pas.
Une soixantaine de murs dans le monde
« Abattez ce mur » avait lancé Ronald Reagan à Gorbatchev, à propos de l’ex-Mur de Berlin. Depuis sa chute, la mondialisation a provoqué une réaction de repli et élevé de nouveaux murs, contre le terrorisme (Maroc, Israël, Irak), ou l’immigration : Etats-Unis, Europe (Bulgarie, Hongrie, Autriche, Grèce, et maintenant Pologne). Même l’Inde a son mur pour éviter les migrants du Bengladesh. De tous, seul le mur qu’a construit Israël a été condamné par l’Assemblée générale des Nations unies (2003), puis par la Cour internationale de justice de La Haye (2004) : privilège d’Israël.
Une soixantaine de murs au total qui réaffirment la souveraineté de l’Etat, message de politique intérieure plus que de politique migratoire. A la longue, un mur interdit peu, sauf à vivre dans un système extrêmement contrôlé, qui suppose un appareil militaire et policier. Les murs au Sahara occidental ou en Israël ont leur efficacité, mais leur « tranquillité » armée s’explique par d’autres actions, comme le renseignement, et reste fragile. Le mur installe une surveillance, pas la paix. Si Israël a édifié un mur, c’est moins pour lutter contre une intifada possible que pour tracer « sa » frontière, différente de celle de 1967.
Il y a les pro-murs et les anti-murs, comme si la posture suffisait.
Il y a les pro-murs et les anti-murs, comme si la posture suffisait. En Europe, douze Etats réclament des financements européens pour ériger des murs. Curieuse demande de ceux qui revendiquent hautement leur souveraineté. La Commission n’en voulait pas : Le mur polonais a changé les choses, l’Europe s’est montrée « solidaire ». La Commission ne financera peut-être pas mais soutiendra.
Les 2000 migrants à la frontière polonaise auraient pu, dans un monde civilisé, être accueillis en Pologne, et … renvoyés. Un naufragé en mer doit être secouru. Des familles abandonnées dans les bois aussi. Ce n’est pas pour cela qu’ils ont le droit de s’installer chez leurs sauveteurs. C’est le droit du pays qui décide, ou non, d’accueillir. Certes, rien n’interdit d’être ouvert, c’est rarement le cas. L’illégalité d’un franchissement de frontière est passible de « peines » dans la plupart des pays du monde. La certitude du renvoi devrait surtout dissuader les clients des passeurs.
Une politique de renvoi, d’examen unifié du droit d’asile, de refus de l’immigration économique illégale (une exploitation quasi servile), rendrait superflue la construction de murs. Expulser ceux qui ont franchi une frontière de façon illégale ne semble pas scandaleux, demander aux pays de reprendre leurs ressortissants non plus.
Les populations et les gouvernements veulent des murs parce que cela donne le sentiment de retrouver un contrôle. Les murs n’empêchent pas les migrants de venir, pas plus que les mers. C’est la quasi certitude de pouvoir s’installer, à la longue, qui les pousse, avec courage et raison, à franchir tous les obstacles. Le droit actuel donne à celui qui pose le pied sur le sol européen, à Ceuta, Lampedusa, Roissy ou en Pologne, une garantie d’y rester plusieurs mois, voire des années, donc d’y (re)faire sa vie. Avec 2.5 milliards d’habitants en 2050, l’Afrique est un réservoir presque inépuisable d’hommes jeunes, pauvres et bien informés des facilités européennes, et qui commencent d’ailleurs leur émigration en Afrique, continent qui connait le plus d’immigrés…
Chaque mur renforce donc les réseaux criminels, pour la drogue, les armes, les hommes.
Les murs et les mers ne feront pas obstacle. A la frontière mexicaine, malgré les murs, la contrebande de drogue, de migrants, continue. En revanche, le prix des passages a augmenté, les cartels se sont renforcés, le coût de la surveillance aussi. Et le non droit des clandestins permet une main d’œuvre bon marché. Seuls les Cartels savent franchir les murs, au détriment des petits passeurs. Chaque mur renforce donc les réseaux criminels, pour la drogue, les armes, les hommes.
La vraie sécurité ne peut s’obtenir que par le droit, la loi, nationale et internationale
Le traitement de l’immigration, le contrôle, la vraie sécurité ne peuvent se faire que par le droit, la loi, nationale et internationale. Or les pays riches ont tous les moyens, diplomatiques, économiques et technologiques, pour la faire respecter. Curieux de croire qu’au temps du « grand confinement » mondial, on ne pourrait contrôler les frontières.
Si les Biélorusses ont pu renvoyer les migrants kurdes en Irak, pourquoi les Polonais n’auraient-ils pu le faire ? Si les Turcs laissaient demain les réfugiés s’installer en Grèce, qu’est ce qui empêcherait les Européens de couper toute relation avec les Turcs, en fonction du principe, que le pays de la dernière frontière, celui d’où l’on vient, est le dernier pays responsable ?
C’est parce que les Européens ne sont pas clairs qu’un Loukachenko, un Erdogan, utilisent les migrants comme des instruments de chantage: 3.5 milliards pour la Turquie qui pourraient être utilisés à intégrer les migrants déjà installés en Europe. Aucune immigration ne peut être réussie sans intégration, sans apprentissage de la langue, sans travail. Une politique de renvoi et des règles communes en matière de droit d’asile (notamment pour les combattants des droits de l’homme, ceux qui combattent Loukachenko par exemple), supprimerait ce type de chantage et cette menace. Si cette crise pouvait amener à une vision commune de la politique migratoire, il faudrait remercier le dictateur biélorusse.
Laurent Dominati
A. Ambassadeur de France
A. Député de Paris
Président de la société éditrice du site Lesfrancais.press
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