Montre-moi comment tu construis

Montre-moi comment tu construis

« Montre-moi comment tu construis, je te dirai qui tu es » (Christian de Portzamparc). En France, toute création architecturale est une source infinie de polémiques. La reconstruction de Notre-Dame nous en a fourni un exemple éclatant. Après l’incendie, la vox populi a réclamé à cor et à cri de tout rebâtir à l’identique. La décision de créer de nouveaux vitraux a été perçue comme un sacrilège. On oublie pourtant que la cathédrale que nous avons, aujourd’hui, le plaisir d’admirer est le fruit de transformations, parfois importantes, réalisées depuis le XIIᵉ siècle.

Un manque de confiance dans notre société

La déification des vieilles pierres, symbole d’une idéalisation du passé, témoigne avant tout d’un manque de confiance dans notre société. Ce phénomène n’est certes pas totalement nouveau. Aujourd’hui sacralisée, la tour Eiffel fut contestée lors de son édification. Il en fut de même pour la ville du Havre, reconstruite après-guerre par Auguste Perret, architecture détestée durant des décennies et classée aujourd’hui au Patrimoine de l’Unesco. Mais la tentation du statu quo est désormais dominante. La maire de Paris, Anne Hidalgo, a certes obtenu la construction de la tour Triangle, malgré de nombreux recours, mais celle-ci trône à la limite de Paris et ne constitue pas, en soi, une véritable révolution architecturale.

Depuis la fin des grands travaux de François Mitterrand, la tendance est au pointillisme ou au minimalisme architectural, dont l’expression la plus marquante est sans doute le musée du quai Branly – Jacques Chirac. Nous sommes loin de la « Maison dansante », emblématique, située sur les quais de Prague, conçue par les architectes Vlado Milunić et Frank Gehry en hommage aux célèbres danseurs Ginger Rogers et Fred Astaire.

En Pologne, aux Pays-Bas, en Espagne ou même en Allemagne, les autorités acceptent, au prix parfois d’amples controverses, des constructions audacieuses témoignant d’une vitalité intellectuelle assumée. Ces édifices sont les preuves tangibles qu’un pays croit encore à l’idée de progrès et de rupture.

D’un côté, des villes-musées ; de l’autre, des banlieues sans âme.

En France, la ville du XXIᵉ siècle est souvent perçue comme une menace, un lieu qu’il faudrait figer pour rassurer plutôt que transformer pour inspirer. Dans le même temps, à la périphérie, un nihilisme urbanistique s’impose, caractérisé par une succession, sans plan d’ensemble, d’entrepôts, d’espaces commerciaux, de mornes lotissements et de bureaux. D’un côté, des villes-musées ; de l’autre, des banlieues sans âme.

Sans innovation, sans création, sans rupture, une économie ne peut ni se réinventer ni croître. L’économie est dans le geste et dans le mouvement. Il existe souvent une concomitance entre la vitalité du monde des arts et celle de l’économie. Durant le Second Empire ou les Trente Glorieuses, activités économiques et culturelles allaient de pair. Certaines créations peuvent susciter la critique, mais elles témoignaient d’une volonté de changement. Accepterions-nous, aujourd’hui, la Cité radieuse de Le Corbusier à Marseille, le musée Beaubourg de Renzo Piano et Richard Rogers ou la tour Montparnasse ? Sans doute pas !

Dans ce contexte, il n’est guère surprenant qu’il soit si difficile de réformer la protection sociale, de simplifier la carte administrative, de réaliser 40 milliards d’euros d’économies sur un volume de dépenses publiques dépassant 1 600 milliards d’euros ou de remettre à plat la fiscalité.

L’audace ne se décrète pas, elle se cultive. 

En France, le conformisme prend de plus en plus le pas sur l’élan, la prudence sur l’ambition, la réglementation sur l’esthétique. Retrouvons le goût de surprendre, voire de choquer, que ce soit sur le terrain de l’architecture ou sur celui de l’économie. Le vieillissement démographique, la transition écologique et la révolution numérique appellent un effort collectif d’imagination.

L’audace ne se décrète pas, elle se cultive. Elle suppose de valoriser ceux qui créent : architectes, ingénieurs, urbanistes ou entrepreneurs. Elle exige aussi d’alléger les carcans réglementaires qui transforment chaque initiative en parcours du combattant.

Auteur/Autrice

  • Philippe Crevel est un spécialiste des questions macroéconomiques. Fondateur de la société d’études et de stratégies économiques, Lorello Ecodata, il dirige, par ailleurs, le Cercle de l’Epargne qui est un centre d’études et d’information consacré à l’épargne et à la retraite en plus d'être notre spécialiste économie.

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