Les États européens se sont engagés à accroître sensiblement leur effort de défense pour atteindre a minima 2 % du PIB, voire 3 %. La marche à franchir est haute et suppose une forte mobilisation financière.
La réaction de l’Europe face au défi américain
Présenté le mardi 4 mars dernier à la presse, le plan de la Présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a été adopté par le Conseil européen exceptionnel du 6 mars. Ce plan prévoit de mobiliser près de 800 milliards d’euros. « L’Europe est prête à fortement augmenter ses dépenses pour la défense, devant les urgences à court terme, l’urgence à soutenir l’Ukraine, mais aussi à faire face aux besoins à long terme d’assumer une plus grande responsabilité pour notre propre sécurité européenne », a déclaré la présidente de la Commission européenne. Elle a confirmé sa volonté de suspendre les règles du Pacte de stabilité et de croissance afin que les États membres puissent augmenter leurs dépenses pour la défense sans engager un processus de déficit excessif. La France qui est déjà placée sous la contrainte de ce processus n’est, de ce fait, pas concernée.
La Présidente de la Commission a annoncé la création d’un « nouvel instrument permettant de dégager 150 milliards de prêts aux États membres » pour investir « mieux et ensemble » dans la défense antiaérienne, les systèmes d’artillerie, les missiles, les munitions, les drones, les systèmes de défenses anti-drones, mais aussi pour faire face à d’autres besoins dans le domaine cyber et dans la mobilité militaire.
L’UE veut aussi proposer « des possibilités et des incitations supplémentaires pour les États membres afin qu’ils puissent décider eux-mêmes s’ils souhaitent utiliser les programmes de politiques de cohésion pour renforcer leurs dépenses en matière de défense ».
Des mesures visant à mobiliser les capitaux privés sont également prévues avec une accélération de la mise en place d’un grand marché des capitaux et de l’épargne au niveau européens. Le mandat de la Banque européenne d’investissement devrait évoluer afin qu’elle puisse fournir des prêts en matière de défense.
Mobilisation générale de l’épargne
La loi de finances pour 2025 a prévu 60 milliards d’euros pour la défense, soit 2 % du PIB (dont 9 milliards de contributions aux pensions de retraite des militaires). La Loi de Programmation Militaire prévoit une augmentation des dépenses de 3 milliards d’euros par an jusqu’en 2030. Or, cette montée en puissance devra être accélérée afin de pouvoir relever à 3,5 % du PIB l’effort de défense comme le demande le Président de la République. Pour respecter cet objectif, chaque année, les dépenses pour les armées devront donc augmenter d’environ 10 milliards d’euros. Elles atteindraient ainsi 100 milliards d’euros en 2029. Or, dans le même temps, l’État doit ramener le déficit public de 6 à 3 % du PIB. Les pouvoirs publics espèrent sans nul doute qu’une partie de l’effort puisse reposer sur l’Union européenne. Des fonds de cohésion structurels et des fonds de programmes existants non utilisés pourraient être utilisés.
La possibilité pour la Commission de lancer des emprunts communs ou d’avoir recours au Mécanisme européen de stabilité a été évoquée. La piste de l’appel à l’épargne des Français a été avancée par Emmanuel Macron. Plusieurs pistes sont possibles. La première consisterait à reprendre le fléchage du Livret A vers l’industrie de la défense. Cette proposition a déjà fait l’objet d’amendements dans le cadre de la loi de programmation militaire et de la loi de finances pour 2024, amendements adoptés mais annulés par le Conseil Constitutionnel pour une raison de forme car ils n’avaient pas lieu d’être dans les textes en question (cavaliers législatif et budgétaire). Le sénateur Pascal Allizard a déposé une proposition de loi qui reprend le principe de ce fléchage du Livret A ainsi que du Livret de Développement Durable et Solidaire (LDDS) en faveur de la défense, proposition qui a été adoptée au Palais du Luxembourg fin 2023 mais qui attend toujours une première lecture à l’Assemblée nationale.
Le fléchage proposé est censé de ne pas réduire l’enveloppe de prêts destinés aux bailleurs sociaux. Le ministère de l’Économie n’est guère favorable à ce fléchage. Il considère que rien n’interdit aux banques de prêter à partir des ressources du Livret A aux PME de la défense. Il craint la multiplication des demandes corporatistes et une gestion de plus en plus complexe du Livret A.
Un Livret Bleu Blanc Rouge ou vert kaki
À défaut du fléchage, l’idée de la création d’un Livret d’épargne défense, LED ou Livret Bleu Blanc Rouge à défaut d’être vert kaki, a été avancée. Ce Livret pourrait reprendre la philosophie du Livret A. Les ressources collectées pourraient servir de base à des prêts aux entreprises de la défense. Néanmoins, l’équation d’un tel livret n’est pas évidente. Pour attirer les épargnants, un taux de rémunération convenable doit être proposée. Plus celui-ci est élevé, plus le coût de la ressource l’est. Or, les entreprises doivent pouvoir bénéficier de prêts avec des taux compétitifs. L’exonération fiscale et sociale qui pourrait être associée à ce type de produit est, de son côté, un manque à gagner pour l’État au moment où il recherche des recettes pour réduire son imposant déficit public.
La création d’un ou plusieurs supports de placement « défense nationale »
La création d’un fonds « défense nationale » prendrait la forme d’un Organisme de Placement Collectif. Les investisseurs institutionnels pourraient être appelés à souscrire à ce fonds qui pourrait être également proposé aux épargnants (unités de compte dans l’assurance vie ou le Plan d’Épargne Retraite, parts d’OPC sur les comptes titres ou PEA). Ce fonds pourrait prendre notamment des participations dans des entreprises de la défense ou souscrire à des obligations émises par ces dernières. Les épargnants bénéficieraient des revenus de ce fonds.
Au côté du Label ISR pour la protection de l’environnement pourrait être imaginé un label « souveraineté nationale » qui aurait vocation à inciter les épargnants à choisir les fonds concernés.
Actuellement, selon les chiffres de l’Otan seuls les Pays baltes, la Pologne et la Grèce consacrent plus de 3 % de leur richesse nationale aux dépenses militaires. De leur côté, l’Italie ou l’Espagne réalisent un effort inférieur à 1,5 % de leur PIB.
Les grands emprunts « une fausse bonne idée »
Les gouvernements dans les périodes de conflit militaire ont fait appel public à l’épargne. En novembre 1915 fut lancé le Premier emprunt de la Défense nationale (novembre 1915). Un taux de 5 % était alors offert. Un deuxième fut lancé en octobre 1916 et a rapporté 11 milliards de francs à l’État. Lancé en novembre 1917, le troisième emprunt de la Défense nationale a rapporté près de 15 milliards de francs. Enfin, un quatrième fut lancé en octobre 1918 à la fin de la guerre. Il a permis à l’État de récupérer plus de 20 milliards de francs. Ces emprunts étaient soutenus par des campagnes de communication avec des affiches et des slogans patriotiques destinés à convaincre les Français de soutenir l’effort de guerre.
Après la guerre, les gouvernements mobilisèrent l’épargne des ménages en faveur de la reconstruction. Durant la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement de Vichy lança également des grands emprunts notamment pour financer les contributions imposées par l’Allemagne nazie. Après 1945, des emprunts pour la modernisation du pays et de l’armée ont été lancés. En 1952, Antoine Pinay, Président du Conseil, décide la création d’un emprunt pour rassurer les épargnants et stabiliser la monnaie. Cet emprunt est indexé sur l’or, garantissant aux souscripteurs une protection contre l’inflation. La hausse du cours de l’or dans les années suivantes a alourdi le remboursement, rendant cet emprunt très coûteux pour l’État. Il en sera de même avec l’emprunt Giscard d’Estaing de 1973.
Avec l’augmentation de ses besoins financiers et la mutation des marchés financiers avec notamment leur digitalisation, l’État a abandonné le recours aux grands emprunts publics, préférant recourir à des émissions d’Obligations assimilables du Trésor qui sont souscrites par les établissements financiers de la place. Ces derniers les replacent sur le marché secondaire. Les particuliers n’accèdent aux obligations d’État que de manière indirecte (fonds euros, parts d’Organismes de Placements Collectifs). Le lancement d’un grand emprunt national pourrait s’avérer coûteux pour l’État tant au niveau de sa distribution que de sa gestion. Le gouvernement pourrait avoir l’idée d’un emprunt obligatoire auquel devraient souscrire tous les contribuables. Cette option a été utilisée en 1976 avec l’impôt sécheresse qui était remboursé l’année suivante et en 1983. Ce type d’opération n’est pas, pour le moins, très populaire.
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