Aux sources de l’exil : la route du Sud
Dans les ports de Bordeaux ou de La Rochelle, au milieu du XIXᵉ siècle, des familles françaises embarquent pour un voyage sans retour. Leur destination : le Nouveau Monde, mais pas celui des mythes nord-américains. Le leur s’étend du Rio de la Plata aux Andes, des vignobles de Mendoza aux vallées fertiles du Chili. Beaucoup sont vignerons du Jura ou du Bordelais, ruinés par le phylloxéra. Ils rêvent de recommencer ailleurs, là où la vigne pourrait renaître. Ce sont les ancêtres imaginaires des Lonçonnier, cette famille jurassienne qui traverse un siècle d’histoire dans « Héritage », le roman de Miguel Bonnefoy, prix des Libraires 2021. Ce sont ces Français d’Amérique du Sud qui irriguent l’œuvre de Miguel Bonnefoy, lui-même plume métisse de la littérature francophone.
Du Jura à Santiago : la saga des Lonçonnier, miroir d’une diaspora
Dans « Héritage », Miguel Bonnefoy condense l’épopée des Français du Chili, entre tragédies et renaissances. Les Lonçonnier quittent leur terre jurassienne dévastée pour s’installer au Chili, dans la vallée de Maipo, au milieu des vignes et des volcans. À travers leurs générations successives, l’auteur évoque l’exil comme un fil génétique, porteur d’un double héritage : la fidélité à la France et l’enracinement dans une autre terre.
Le roman fait résonner les destins réels de ces familles venues du sud de la France qui, au XIXᵉ siècle, ont bâti les premières caves chiliennes et donné naissance à un vin d’âme française et de cœur latino-américain : le carmenère. Miguel Bonnefoy en tire un mythe poétique : celui d’une France exportée, transplantée, puis métissée.
« Le plus bel héritage, c’est celui du métissage »
Miguel Bonnefoy
Un Français du monde
« Le plus bel héritage, c’est celui du métissage », écrit Miguel Bonnefoy. Né à Paris d’un père chilien exilé politique et d’une mère vénézuélienne, il incarne cette double appartenance. Son père, journaliste chilien, a fui la dictature de Pinochet dans les années 1970. Sa mère, vénézuélienne, descend d’une lignée issue du cacao et de la culture caraïbe. Elle exerce comme attaché culturelle et possède le goût de l’éclectisme. L’enfant naît et grandit entre le Venezuela, le Portugal et la France, un parcours que reflète aussi son passage par les lycées français de Caracas et de Lisbonne, symboles de cette France du monde qui continue à former des citoyens pluriels.
« Il y a dans les lycées français à l’étranger quelque chose de très beau qui est ce creuset dans lequel viennent se fondre plusieurs cultures différentes. D’un côté bien sûr la française avec une architecture, un échafaudage, une rigueur qui est essentielle car elle ordonne (…) et de l’autre les cultures locales, portugaise ou vénézuélienne dans mon cas, et qui ont un tout autre flux, d’autres vitesses, d’autres outrances, d’autres voix et d’autres éventails. C’est la rencontre entre les deux qui permet le profil psychologique type des enfants des lycées français à l’étranger qui ont des camaïeux de couleurs dans le cœur. »
Chez notre invité de ce Vagabondage, l’exil n’est jamais seulement politique ou géographique : il est une condition existentielle, celle d’hommes et de femmes toujours en mouvement, à la recherche d’une terre où poser leur nom. Son dernier roman en témoigne « Le rêve du Jaguar a été écrit grâce à ce métissage de deux cultures, grâce à ce croisement (…) entre deux pays, deux traditions, deux langues. J’ai essayé de tirer richesse des deux côtés ».
« Une France qui s’isole va fatalement pourrir sur pied »
Héritage d’une France du monde :
L’histoire des Français d’Amérique du Sud dépasse le simple cadre de la migration. Elle raconte une France qui s’est exportée autrement : par ses missionnaires au Venezuela et en Amazonie, par ses ingénieurs dans les mines du Chili, par ses coopérants et enseignants dans les lycées français de Buenos Aires, Lima ou Montevideo, et par ses réfugiés politiques, qu’ils fuient le Second Empire, la Commune, Vichy ou les dictatures militaires.
« Je trouve ça très beau de bien représenter la France à l’étranger »
Miguel Bonnefoy
C’est cette France mobile, généreuse et aventureuse que l’auteur ressuscite dans ses romans, où les lignées se mêlent, les langues s’embrassent et les frontières sont poreuses et mobiles . «La France n’est la France que parce qu’elle a été dans l’accueil, parce qu’elle a su ouvrir les bras, qu’elle a su créer du mélange, parce qu’elle a su être le pays des droits de l’homme et de la liberté et parce qu’elle compose aujourd’hui son patrimoine culturel grâce au patrimoine culturel des autres pays. Une France qui s’isole, qui s’enferme, qui s’enmuraille, qui se replie sur elle-même est forcément, fatalement et mathématiquement une France qui va pourrir sur pied. »
De l’exil à la littérature : un retour par les mots
En une dizaine d’années, Miguel Bonnefoy a construit une œuvre d’une grande cohérence : Le Voyage d’Octavio (2015), fable sur un pays mythique entre le Venezuela et la Caraïbe ; Jungle (2017), hommage aux explorateurs et à l’Amazonie ; Héritage (2020), roman de la filiation et de l’exil ; Le Rêve du jaguar (2024), prix Médicis et prix du Roman de l’Académie française, réflexion sur la frontière entre le réel et le légendaire latino-américain.
Une œuvre-monde, un pont entre les langues
Miguel Bonnefoy est aujourd’hui l’un des rares écrivains français à incarner cette littérature-monde francophone ouverte sur l’Amérique latine. Son écriture, nourrie de réalisme magique et de clarté française, tisse un lien entre la tradition littéraire du Nouveau Monde et la langue de Molière.
Un écrivain « pétri par la glaise des Français de l’étranger »
Un legs pour les Français de l’étranger
Dans un monde en quête d’identité et de racines, Miguel Bonnefoy rappelle aux Français de l’étranger qu’ils ne sont pas seulement des expatriés, mais des héritiers d’une longue histoire d’échanges et de métissages. L’écrivain se dit « pétri par la glaise des français de l’étranger » qu’il rencontre à la faveur de ses conférences et interventions dans les instituts ou alliances françaises comme dans les lycées de l’AEFE.
Plutôt chien que loup avec Miguel Bonnefoy
Il n’a pas peur d’être un jour défini comme un écrivain officiel qui représente son pays. « Je n’aurais pas peur de devenir un jour un officiel. Je ne me place pas du tout dans la position de l’écrivain rebelle, en révolte permanente et qui serait toujours libre. Dans la fable de la Fontaine, le chien et le loup, ce serait le loup qui préférerait avoir faim et être libre plutôt que d’être attaché à un arbre avec une chaîne; je n’aurais pas du tout peur d’être ce chien-là, et de représenter la France à l’étranger, comme ma mère , diplomate, a représenté le Venezuela à l’étranger et avait une position officielle, naturellement , mais avait aussi la liberté de pouvoir montrer de l’intelligence, de la beauté, de la puissance, de la dignité et de l’inspiration.
« J’écris mon nouveau projet comme j’écris tous les livres, avec honnêteté.
Les meilleurs livres sont toujours écrits avec honnêteté »
Miguel Bonnefoy
Et il poursuit « quand je suis invité en tant que français à l’étranger je suis très fier de me comporter avec dignité, avec élégance, de dire des choses intelligentes et inspirantes, d’être généreux, d’être à l’écoute et d’avoir des gens qui me regardent comme si j’étais un petit fragment de la France. Je trouve ça très beau de bien représenter la France à l’étranger. Face aux Français hors de France il se retrouve naturellement à « leur parler, comme dans un effet miroir, pour faire sentir des ressemblances et des similitudes dans nos destins ».
Des personnages ascensionnels, des Jean Valjean modernes
Le trait commun entre les personnages de ses plus grands romans, le voyage d’Octavio, le rêve du Jaguar ou Héritage, c’est de commencer dans la détresse, d’être l’orphelin recueilli sur les marches d’une église, puis d’emprunter un itinéraire ascensionnel, baroque, parfois vertigineux, vers la gloire et la réussite.
« Ça me plaît énormément ces personnages qui sont des transfuges de classe, je le suis à travers mes parents et mes grands-parents qui ont tenté de rompre avec ce déterminisme de celui qui est dans la misère et restera dans la misère, de celui qui est riche et qui demeurera riche. Au contraire, avec persévérance, ténacité et effort, avec abnégation on peut casser ces codes là et avancer vers un siècle différent. Je trouve que cette idée est intéressante au niveau social mais aussi au niveau littéraire car dans les structures narratives ces personnages ont un je ne sais quoi de destinée glorieuse et homérique et il se trouve que j’aime les livres qui sont un peu épiques. Vous parlez d’Hugo, et Hugo a toujours ces personnages qui arrivent à s’affranchir et à aller vers le ciel, car Hugo a toujours un côté messianique et biblique ».
Et la suite alors ?
Son prochain roman il est naturellement en cours d’écriture et le meilleur reste selon lui à venir « je n’ai pas encore écrit les livres pour lesquels je suis né ». « J’ai encore trente années d’écriture, qui sont sans doute mes meilleures années d’écriture. J’écris mon nouveau projet comme j’écris tous les livres, avec honnêteté. Les meilleurs livres sont toujours écrits avec honnêteté. Avec sincérité. Avec la transparence de l’âme. Et on arrive ainsi à sortir des livres qui sortent de nos tripes et non pas d’un calcul géométrique. Je veux garder cette honnêteté jusqu’à la fin. »
Auteur/Autrice
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Boris Faure est l'ex 1er Secrétaire de la fédération des expatriés du Parti socialiste, mais c'est surtout un expert de la culture française à l'étranger. Il travaille depuis 20 ans dans le réseau des Instituts Français, et a été secrétaire général de celui de l'île Maurice, avant de travailler auprès des Instituts de Pologne et d'Ukraine. Il a été la plume d'une ministre de la Francophonie. Aujourd'hui, il collabore avec Sud Radio et Lesfrancais.press, tout en étant auteur et représentant syndical dans le réseau des Lycées français à l'étranger.
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