Les États membres de l’Union européenne (UE) et la Commission envisagent la création de « centres de retour » vers lesquels pourraient être transférés certains migrants. Cependant, beaucoup ignorent encore en quoi ils pourraient consister, et peu comprennent pleinement les risques juridiques de ces opérations.
Durcissant le ton sur les questions migratoires, plusieurs États de l’UE ont évoqué, tout comme la Commission européenne, la mise en place de « centres de retour ». Cependant, personne ne semble vraiment savoir de quoi il pourrait s’agir.
Le Pacte sur la migration et l’asile, une révision majeure de la politique migratoire de l’UE adoptée en mai dernier, avait été critiqué pour son manque d’ambition. Aujourd’hui, nombre de capitales européennes souhaitent externaliser une partie de la gestion des questions migratoires hors de l’UE.
Des centres de retour : une idée encore floue
Dans une lettre adressée aux États membres en début de semaine, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, affirmait qu’il fallait « continuer à étudier les possibilités de développer des centres de retour en dehors de l’UE, en particulier dans la perspective d’une nouvelle proposition législative sur les retours ».
La cheffe de l’exécutif européen faisait également référence à l’accord migratoire conclu entre l’Italie et l’Albanie.
« Avec le début des opérations du protocole italo-albanais, nous serons également en mesure de tirer des leçons de cette expérience dans la pratique », écrivait la responsable politique allemande.
Seul hic, ni les États membres ni la Commission n’ont jusqu’à présent été en mesure de donner une idée claire de la finalité de ces centres et de la manière dont ils s’aligneraient sur les droits européen et international.
La compréhension générale est « qu’il s’agirait de centres dans des pays tiers où certaines personnes prises au piège de l’asile et de la migration seront forcées de se rendre », explique Catherine Woollard, directrice du Conseil européen sur les Réfugiés et les Exilés (ECRE).
« Mais qui seront ces personnes et ce qu’il se passera dans les centres [reste à voir] », a-t-elle ajouté.
Alors que les dirigeants des Vingt-Sept se réunissent les 17 et 18 octobre à Bruxelles pour un sommet européen dont l’immigration sera le thème central, il semble important d’essayer de clarifier ce que ces « centres de retour » pourraient être.
Option n°1 : Externalisation du traitement des demandes d’asile
La première option s’inspire de l’accord récemment mis en œuvre entre l’Italie et l’Albanie.
En vertu de cet accord, les garde-côtes italiens sont chargés de transférer les réfugiés masculins interceptés en mer vers des centres situés sur le territoire albanais.
De leur côté, les femmes, les enfants et les personnes vulnérables doivent, en vertu de la loi, être autorisés à débarquer en Italie.
Ces centres en Albanie, financés par Rome, fonctionnent sous la juridiction italienne et traitent les demandes d’asile avant de décider si les exilés sont autorisés à entrer sur le territoire italien — et, par extension, dans l’UE.
Cet accord bilatéral, le premier en son genre, a été présenté par plusieurs capitales de l’UE comme une approche prometteuse pour externaliser le traitement des demandes d’asile avant même que les réfugiés ne mettent le pied sur le continent.
Il s’inscrit également dans le cadre de discussions plus larges sur des procédures communes concernant le retour des migrants qui n’ont pas obtenu le droit d’asile dans l’UE. Une révision de la directive sur les retours est envisagée par Bruxelles, de même que la négociation de nouveaux accords de coopération que l’UE pourrait signer avec des pays tiers.
Les défis juridiques de l’accord Italie-Albanie
Mais l’accord entre l’Italie et l’Albanie, et son éventuelle reproduction au niveau européen, entre techniquement en conflit avec la législation européenne, puisque cette dernière précise que les procédures d’asile ne peuvent se dérouler que sur le territoire de l’Union.
« Les protections requises par le droit primaire et secondaire de l’UE [et qui seront appliquées par la Cour de justice de l’Union européenne] ne peuvent être respectées dans un pays tiers », note Catherine Woollard, notamment en ce qui concerne l’accès à l’assistance juridique ou le recours non automatique à la détention.
Les capitales européennes sont bien conscientes de ces limites.
« Il n’existe pas de modèle européen. Il n’y a qu’un concept que certains États membres envisagent », souligne pour sa part un ambassadeur de l’UE auprès d’Euractiv.
La commissaire européenne aux Affaires intérieures, Yvla Johannson, a également nié la semaine dernière que l’idée des « centres de retour » constituait une proposition de la Commission.
Certains dirigeants de l’UE devraient encore faire pression pour une « solution européenne » semblable à l’accord entre Rome et Tirana. Le Premier ministre grec Kyriákos Mitsotákis devrait par exemple défendre ce point de vue lors des discussions au Conseil jeudi.
Mais les défis juridiques et politiques liés au modèle italo-albanais pour l’externalisation des demandes d’asile font qu’il est peu probable que celui-ci devienne un jour une solution à l’échelle de l’UE.
Option n°2 : Renvoyer ceux qui doivent être renvoyés
La deuxième option consiste à créer des centres de retour dans des pays tiers où les personnes auxquelles l’UE a refusé l’asile seraient placées en attendant d’être définitivement renvoyées dans leur pays d’origine.
Contrairement à la première option, ces centres ne seraient pas utilisés pour traiter les demandes d’asile elles-mêmes, mais se concentreraient sur les renvois de demandeurs d’asile déboutés.
Cette conception des « centres de retour » fait écho à une proposition présentée par quinze États membres en mai dernier, appelant la Commission à intensifier ses travaux en matière de politique migratoire et à mettre en place des centres de retour « où les personnes expulsées pourraient être transférées dans l’attente de leur renvoi définitif » dans leur pays d’origine.
Cette approche est jugée plus fonctionnelle que le modèle Italie-Albanie, et elle semble être en accord avec la législation européenne régissant les procédures d’asile, ont expliqué plusieurs experts en migration à Euractiv.
Mais là aussi quelques zones d’ombre subsistent.
Un avenir incertain pour les centres de retour
Certains s’inquiètent du fait que ces centres pourraient permettre une détention illégale et créer des situations dans lesquelles les migrants ne pourraient pas être renvoyés dans leur pays d’origine parce qu’il n’est pas sûr ou parce que ce pays refuse de les accepter.
Cette deuxième option « laisse beaucoup de questions en suspens parce qu’elle créerait un vide juridique pour les personnes qui s’y trouvent, sans accès à leurs droits », souligne pour Euractiv l’eurodéputée néerlandaise Tineke Strik (Verts/ALE), qui a mené les négociations pour une révision de la directive sur les retours en 2019.
Pour l’eurodéputée, cela augmente également les risques de refoulement — c’est-à-dire le renvoi illégal des personnes en situation irrégulière vers des pays d’origine peu sûrs. Cela constituerait une violation de la Convention de Genève relative à la protection des réfugiés.
Il appartient désormais aux dirigeants de l’UE et à la Commission européenne d’envisager une proposition concrète pour ces « centres de retour ». Bien que plusieurs options soient sur la table et que les dirigeants se penchent sur la question, il est peu probable qu’un point de vue clair émerge de sitôt.
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